Analyse linéaire : Le Misanthrope, Scène d'exposition (I, 1)
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Introduction de l'analyse
Aujourd’hui, je vais vous présenter un extrait de Le Misanthrope, une comédie moraliste de Molière, écrite en 1666.
Dans cette pièce, Molière met en scène Alceste, un homme qui rejette la société parce qu’il y voit trop de mensonge, d’hypocrisie et de complaisance.
Il discute ici avec son ami Philinte, qui, lui, pense qu’il faut faire preuve de tolérance et accepter les défauts des autres.
Dans cette scène, on assiste à un dialogue très tendu entre ces deux visions opposées de la société : Alceste est radical, Philinte plus modéré.
L’extrait que je vais analyser est la scène d’exposition, et Alceste y exprime une haine très violente envers ses contemporains. Il dénonce ce qu’il considère comme les vices de la société, notamment le fait de fermer les yeux sur les fautes des autres, par intérêt ou par lâcheté.
Je vais maintenant procéder à la lecture du passage.
Problématique et annonce du plan
On peut alors se demander :
Dans quelles mesures la haine d’Alceste permet-elle à Molière de critiquer la société de son temps, et notamment la complaisance ?
Pour y répondre, j’analyserai le passage en deux temps :
- D’abord, un échange fondé sur l’incompréhension entre Alceste et Philinte (vers 1 à 13),
- Puis, l’expression brutale de la misanthropie d’Alceste dans une longue tirade (vers 14 à la fin).
I. Un dialogue marqué par l’incompréhension (vers 1 à 13)
La scène commence directement par une double question de Philinte : “Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous ?” Ce sont des interrogations courtes, qui montrent qu’il s’inquiète pour son ami.
Mais la réponse d’Alceste est sèche : “Laissez-moi, je vous prie”. On a un mélange entre une formule polie et un rejet clair. Alceste ne veut pas parler.
Philinte insiste : “Dites-moi…” avec un ton plus doux, presque suppliant, comme le montre l’impératif et l’adverbe “encor”.
Il utilise le mot “bizarrerie” pour qualifier le comportement d’Alceste, ce qui montre bien qu’il ne comprend pas du tout ce qu’il lui reproche.
En réponse, Alceste s’énerve encore plus : “Laissez-moi là, vous dis-je”.
L’expression “vous dis-je” est un rappel — comme s’il avait déjà demandé à être laissé tranquille. Le ton devient agressif, on sent l’irritation monter.
Philinte généralise alors, en utilisant “on”, un pronom impersonnel qui donne une valeur universelle à ses propos.
Mais Alceste, lui, insiste sur “moi”, “je”… Il se distingue de l’humanité entière. Il ne veut pas entendre parler des autres, il ne supporte plus leur comportement.
Il va même remettre en cause leur amitié, ce qui est fort : “Moi, votre ami ?” C’est une question rhétorique violente, qui surprend.
Puis il dit : “Rayez cela de vos papiers”, une injonction claire, qui signifie “oubliez qu’on est amis”.
Il enchaîne : “J’ai fait profession de l’être”, mais c’est du passé. Avec le mot “mais”, il oppose le passé au présent : leur amitié n’existe plus.
Il finit ce premier mouvement en déclarant que Philinte est comme les autres, qu’il fait partie des “cœurs corrompus”.
Alceste généralise son rejet : il ne vise plus seulement son ami, mais toute l’humanité.
II. La tirade d’Alceste : une misanthropie assumée (vers 14 à la fin)
À partir du vers 14, Alceste prend toute la parole. Le dialogue laisse place à une tirade violente, où il développe ses idées avec passion.
Il commence par une accusation forte : “vous devriez mourir de honte”. Il utilise le conditionnel, qui exprime un jugement moral sévère.
Et il ajoute : “cela ne saurait s’excuser” : ce qu’a fait Philinte est impardonnable à ses yeux.
Il évoque ensuite l’idéal de l’honnête homme, un modèle d’intégrité au XVIIe siècle. Alceste compare cet idéal à l’hypocrisie de Philinte. C’est une opposition forte.
Puis il raconte ce qu’il lui reproche : “je vous vois”… Il passe au présent de narration, ce qui rend la scène plus vivante.
Il décrit les gestes d’amitié exagérés, les “tendresses”, “caresses”, “embrassements”, envers quelqu’un qu’on ne connaît même pas !
On a ici une critique claire de la flatterie et du mensonge social.
Il enchaîne avec une énumération de marques d'amitié fausse qui le révoltent :
- “protestations”,
- “offres”,
- “serments”.
Puis une gradation : “indigne, lâche, infâme”, suivie d’un cri : “Morbleu !”, qui montre sa colère extrême.
Il va jusqu’à dire que “si, par un malheur, j’en avais fait autant”, il “irait se pendre de regret”.
C’est très excessif, mais cela montre à quel point Alceste prend au sérieux l’idée de sincérité. Il ne supporte pas le compromis.
Philinte, en retour, essaie de calmer les choses. Il dit “je ne vois pas”, ce qui souligne encore l’incompréhension entre eux.
Il emploie des mots juridiques comme “grâce”, “arrêt”, pour se justifier, comme s’il plaidait sa cause devant un tribunal.
Mais Alceste refuse tout pardon. Sa réplique est catégorique et exclamative : il rejette toute discussion.
Enfin, Philinte pose une question simple : “que voulez-vous qu’on fasse ?” Ici, le “on” désigne l’humanité toute entière. Il demande : “faut-il être parfait ?”
Et Alceste répond oui, en quelque sorte. Il dit qu’il veut un homme d’honneur, un homme sincère, loyal, sans hypocrisie.
Le mot “cœur” à la rime finale exprime cette valeur essentielle pour lui : la sincérité.
Conclusion de l'analyse
Cette scène d’exposition nous présente un affrontement fondamental entre deux visions du monde.
- D’un côté, Philinte, tolérant et modéré, qui accepte les compromis.
- De l’autre, Alceste, radical et misanthrope, qui rejette tout ce qui n’est pas sincère.
À travers cette opposition, Molière critique la société de son époque, et notamment l’hypocrisie des courtisans, toujours prêts à flatter pour plaire.
Le personnage d’Alceste est excessif, mais porteur d’un idéal fort : celui de la vérité, de la franchise et de la morale.
Ouverture
Cette critique de l’hypocrisie sociale traverse toute l’œuvre de Molière, comme dans Tartuffe avec la fausse religion, ou Dom Juan avec les faux engagements.
Dans Le Misanthrope, il pousse cette réflexion à l’extrême en créant un personnage incapable de faire semblant, dans un monde qui en vit.