Analyse linéaire : Sarraute, Pour un oui ou pour un non

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Introduction à l'analyse linéaire

Cet extrait est tiré de la pièce Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute, une autrice majeure du XXe siècle, associée au courant du Nouveau Roman. Dans cette œuvre, Sarraute s’intéresse particulièrement aux non-dits, à tout ce qui, sans être exprimé clairement, influence profondément les relations humaines. C’est une pièce qui repose essentiellement sur le dialogue et l’émergence des tensions invisibles.

L’extrait analysé se situe au début de la pièce. Deux amis, désignés par H.1 et H.2, sont en pleine discussion. Une rupture semble s’être installée entre eux. H.1 cherche à comprendre l’éloignement de H.2, qui va progressivement lui révéler la cause de cette cassure, une cause apparemment minime, mais dont l’impact s’est avéré dévastateur.

Problématique

Comment le dialogue entre H.1 et H.2 fait-il émerger la crise qui les oppose ? Nous allons analyser comment une simple phrase peut provoquer un malaise très profond.

Annonce du plan

  1. Des mots et des sous-entendus qui créent un malaise.
  2. Une tension développée à travers les non-dits.
  3. La révélation d’un « rien » qui fait tout basculer.

I. Des mots et des sous-entendus qui créent un malaise

Au début, H.1 pousse H.2 à s’expliquer : « Allons, vas-y… ». Nous observons deux impératifs et des points de suspension, signalant une attente et une tension. H.2 commence enfin à parler : « c’est juste des mots… ». Il emploie l’adverbe « juste » pour minimiser, mais nous sentons que cela cache une souffrance.

H.1 réagit avec surprise : « Des mots ? Entre nous ? » Il répète le mot « mots », créant un jeu sur les sens : les « mots » prononcés, mais aussi l’expression « avoir des mots », synonyme de dispute. Il ne comprend pas qu’une simple phrase ait pu créer un tel malaise.

Ce mot « mot » a aussi une autre signification cachée, par homophonie : il est proche du mot « maux », renvoyant à la douleur. H.2 précise qu’il s’agit de mots qu’on n’a pas eus, de choses dites sans qu’on sache d’où elles viennent. Cela montre qu’il ne s’agit pas d’une dispute franche, mais d’un malaise plus subtil.

H.1 est perdu, il pose de nombreuses questions : « Lesquels ? Quels mots ? », il dit même « Tu me taquines… », comme s’il refusait de croire au sérieux de la situation. Mais H.2 affirme : « Mais non, je ne te taquine pas. » Cette opposition directe confirme qu’il prend la situation très au sérieux.

II. Une tension développée à travers les non-dits

La tension monte. H.1 veut savoir « ce qui se passera » s’il apprend la vérité. Il utilise le futur simple, ce qui montre qu’il anticipe et qu’il est inquiet. H.2, lui, continue à dire « ce n’est rien », mais l’adverbe « justement » nous fait comprendre que ce « rien » est en réalité très important.

Il y a une contradiction fondamentale : ce sont juste des mots, mais cela a suffi à briser une amitié. H.1 n’arrive pas à croire que c’est pour « ça » que son ami s’est éloigné, qu’il a voulu rompre. Ce verbe, rompre, appartient au registre amoureux, soulignant la force et l’intensité de leur amitié.

Le soupir de H.2 est une didascalie révélatrice : il est découragé et fatigué. Il dit même « Tu ne comprendras jamais », et « personne ne pourra comprendre ». Cela généralise son malaise : ce n’est pas seulement un problème entre eux, c’est une souffrance plus profonde, difficile à expliquer.

H.1 essaie encore de comprendre. Il lance « essaie toujours », comme un défi, et se défend : « je ne suis pas si obtus… ». Mais H.2 l’interrompt sèchement : « Oh si, pour ça tu l’es. Vous l’êtes tous. » Le passage du « tu » au « vous » est significatif : il ne s’adresse plus seulement à H.1, mais à un groupe, peut-être la société entière. Il se sent profondément incompris et marginalisé.

III. Une révélation anodine qui fait tout basculer

Nous arrivons enfin à la révélation. H.1 dit « chiche », acceptant le défi. H.2 commence : « Tu m’as dit… ‘C’est bien… ça…’ ». Il répète cette phrase, très banale en apparence. Mais ce qui compte, ce n’est pas le contenu, c’est la manière dont elle a été prononcée.

H.2 insiste sur l’intonation, sur l’accent, sur la suspension. Il mime : « C’est biiien… ça… » avec un soupir, un étirement. C’est donc le ton qui l’a blessé, et non les mots eux-mêmes. Il a perçu de la condescendance, comme si H.1 ne le prenait pas au sérieux.

La réaction de H.1 est très révélatrice : il nie, il dit « ce n’est pas possible », « ce n’est pas vrai ». Il ne comprend pas comment une si petite chose a pu avoir un tel impact. Il essaie de reconstituer la scène, utilisant le conditionnel passé : « je t’aurais dit », « tu m’aurais dit »… Il doute de sa propre mémoire.

Mais H.2 insiste : « Ce n’est pas sans importance. » Pour lui, c’est tout sauf insignifiant. C’est un choc qui a brisé quelque chose. Sarraute excelle à montrer comment, dans ses pièces, ce sont ces petites choses qui créent des fissures énormes dans les relations humaines.

Conclusion

Cet extrait nous montre comment une simple phrase, presque anodine, peut créer une rupture profonde entre deux personnes. Sarraute s’intéresse aux tropismes, ces mouvements intérieurs, ces sensations floues que nous n’arrivons pas à nommer mais qui nous affectent profondément. Ici, c’est l’intonation, le non-dit, l’attitude qui ont blessé H.2.

Ce passage est central car il démontre qu’il n’y a pas besoin d’une grande dispute pour qu’une relation se brise. Il suffit d’un mot mal dit, d’un ton mal perçu. Cela pose une question essentielle sur la fragilité de nos liens.

Cette scène d’ouverture donne le ton de toute la pièce : elle montre comment une relation peut se fissurer à cause d’un détail, d’un ton, d’un mot mal perçu. Dans le reste de Pour un oui ou pour un non, Nathalie Sarraute continue d’explorer cette tension entre ce qu’on dit et ce qu’on ressent vraiment. Les dialogues révèlent petit à petit des blessures invisibles, et toute la pièce repose sur cette idée que les mots les plus simples peuvent parfois faire le plus de mal.

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