Le Boom narratif latino-américain et le réalisme magique

Classé dans Langue et de philologie

Écrit le en français avec une taille de 12,32 KB

Le Boom des années soixante

Le Boom narratif latino-américain a vu ses auteurs passer de l'anonymat absolu à une grande popularité depuis 1962. Ce phénomène a contribué au développement surprenant du récit en Amérique latine, dont les auteurs étaient jusque-là marginalisés et inconnus.

Dates clés et facteurs d'émergence

1962 et 1963 sont les dates clés dans la naissance et le développement de ce phénomène. Le Boom a vu le jour grâce à l'industrialisation de l'édition en Amérique du Sud et a été influencé par les écrivains et les intellectuels espagnols en exil.

Événements majeurs et figures emblématiques

En 1962 a eu lieu au Chili le Congrès des intellectuels à l'Université de Concepción, permettant l'échange de vues et d'expériences entre un grand nombre d'écrivains latino-américains.

En 1963 est publié Marelle (Hopscotch) de Julio Cortázar, considéré comme l'initiateur de ce mouvement. Il s'agit d'une œuvre de grande complexité stylistique, qui n'a pas d'intrigue classique et offre aux lecteurs la possibilité de choisir leur ordre de lecture.

Gabriel García Márquez, l'un des auteurs les plus influents du mouvement, a publié Cent ans de Solitude (1967). Cette œuvre, qui résume symboliquement l'évolution sociopolitique du sous-continent, est considérée comme le chef-d'œuvre du réalisme magique.

Impact et caractéristiques du Boom

Ce mouvement a internationalisé le roman, le rendant plus cosmopolite. Il a également nécessité la création de nouveaux réseaux d'édition, à la recherche d'un type de lecteur moins conformiste. Les romanciers utilisent les ressources du cinéma, de la peinture ou de la musique, ainsi que l'argot, les dialectes et le langage familier, faisant place au fantastique ou au délinquant.

Les auteurs du Boom cherchent à révolutionner la langue pour révolutionner la société. Les signes distinctifs de ce récit sont :

  • Le souci de structures narratives complexes (influencé par la fiction américaine ou européenne d'auteurs comme James Joyce). La structure labyrinthique reflète une vision du monde : la réalité de l'homme moderne est fragmentée, kaléidoscopique, et presque toujours perçue de manière déformée. C'est pourquoi les auteurs préfèrent des structures narratives parfois labyrinthiques (interruptions temporelles, récit polyphonique, monologue intérieur...).
  • Éloignement du réalisme des romans précédents (romans indiens, sur la révolution mexicaine, etc.). Malgré l'évidence historique et sociale des romans, qui se plongent dans les questions nationales, ils le font à partir de nouvelles perspectives (l'histoire est déformée, on fait appel à l'humour ou à l'érotisme, on utilise souvent le langage du journal ou de la télévision, la musique pop, les rapports militaires, etc.).
  • Une grande préoccupation pour la langue. Les auteurs mélangent le parler local avec un registre plus universel et cosmopolite. Il ne s'agit pas de représenter la parole autochtone ou métisse comme un miroir, mais de lui donner une dimension qui transcende les frontières nationales. Cela leur permet également de prendre conscience de leur identité.
  • D'autre part, la langue ne doit pas suggérer l'ordre, mais le désordre. C'est un élément subversif de rébellion contre la rhétorique universitaire bourgeoise.
  • Le roman des dernières années réfléchit aussi sur la création littéraire. Dans Cent ans de Solitude, le manuscrit de Melquiades est la source du roman. Plus tard, dans La Maison aux esprits, ce seront « les carnets pour enregistrer la vie » qui serviront de base à la construction de l'histoire.

L'influence de la psychanalyse

Une des nouvelles contributions au récit est celle de la psychanalyse. Dans de nombreux cas, comme dans les grands romans du XXe siècle, les romans sont de véritables radiographies des maux de l'humanité. Les éléments constitutifs des personnages incluent :

  • Les phobies
  • Les rêves
  • Les désirs cachés
  • La répression

Réalisme magique et La Maison aux esprits

Origines

Ce courant est né en raison de l'usure du roman réaliste du début du siècle en Amérique latine et de la nécessité de faire face aux régimes dictatoriaux par la parole.

Double source du réalisme magique

  1. La culture latino-américaine : Une tradition associée à de grands événements et des êtres fantastiques (animaux mythiques, villes cachées, arbres fruitiers inconnus, l'eau de l'éternelle jeunesse...). Cette perception magique de la réalité est présente dans les manifestations littéraires des cultures autochtones antérieures à la colonisation (légendes populaires, mythes transmis oralement).

  2. L'Europe (l'avant-garde) : Les écrivains reprennent de l'avant-garde (en particulier du surréalisme) l'idée que la réalité peut être perçue et comprise par d'autres moyens que la raison et la logique. Ils proclament l'existence d'un autre type de réalité accessible par l'inconscient, c'est-à-dire par le rêve ou l'hallucination.

Caractéristiques du réalisme magique

  • Intégration du surnaturel : Le narrateur vise à créer des environnements surnaturels sans que les personnages ne s'en étonnent. Les lieux, personnages et événements sont reconnaissables, mais le narrateur introduit des éléments surprenants qui ne cherchent pas à être clarifiés par la logique. L'étrange est incorporé dans la vie quotidienne d'une manière naturelle. Les apparitions fantomatiques, la clairvoyance et les rêves prémonitoires vivent en parfaite harmonie avec la médiocrité quotidienne absolue.

  • Expression culturelle : Grâce à la fantaisie, le réalisme magique exprime de nombreux éléments de la culture hispanique, comme certaines croyances populaires et superstitions. Ce mouvement permet de libérer la créativité et de renouveler le genre.

  • Perception intuitive : L'évaluation des éléments inexpliqués, la présence du sensoriel et la valeur du sentiment dans la perception de la réalité aident à créer l'environnement « magique ».

  • Temps cyclique : Le temps est conçu comme cyclique et non linéaire, ce qui permet au passé de resurgir ou de se reproduire. Un décès est souvent considéré comme une continuation de la vie : les personnages morts restent dans la mémoire des vivants et, dans de nombreux cas, les contactent par des apparitions, affectant grandement l'histoire.

Techniques narratives

Les techniques utilisées par le réalisme magique comprennent :

  • La rupture du temps et de l'espace : Utilisation de la diversité temporelle, obligeant le lecteur à relier les pièces comme s'il s'agissait d'un puzzle.

  • La diversité des perspectives : Plusieurs voix narratives se conjuguent pour donner une impression d'objectivité et de crédibilité en présentant les mêmes faits sous différents angles. Cela contraste avec les éléments thématiques fantastiques et magiques, les rendant ainsi plus crédibles.

  • La diversité et le mélange des styles : Combinaison de divers registres de langue. Il y a une polyphonie de voix qui représentent différents personnages et espaces (campagne, ville, région, analphabétisme, etc.).

L'ensemble de ces caractéristiques exige que le lecteur participe activement et fasse un effort de reconstruction personnelle.

Analyse thématique dans La Maison aux esprits

Le roman d'Isabel Allende illustre parfaitement l'intégration du mythique-légendaire, du surnaturel et du purement fantastique.

  • Le mythique et le légendaire

    La figure de Pedro renvoie à la sagesse antique, aux traditions et aux mythes de l'Amérique latine. Sa composante magique est évidente dans des actions telles que sa capacité à réduire une invasion de fourmis par la parole ou à reconstruire le squelette d'Esteban Trueba, ce qui n'aurait pu être obtenu par la médecine moderne. On peut également souligner la marque de naissance d'Alba, signe de bon augure, ou la figure de Barrabás, décrit comme un animal presque mythique, mettant en doute la nature même du chien.

  • Le surnaturel

    La présence du surnaturel se manifeste par la réalisation des prophéties, des prémonitions et la concrétisation des malédictions. Dans ce monde spirituel, fascinant et délirant, se distingue Férula, la sœur d'Esteban. D'abord par sa prophétie prédisant un retrait physique de son frère, qui se produit inexorablement. Ensuite, par son apparition en tant qu'esprit, qui est liée à la présence surnaturelle de Clara del Valle, avec ses esprits familiers, ses prémonitions, sa capacité à déplacer des objets (télékinésie) et même à léviter. La vision la plus exotique est peut-être celle du chef qui trouve sa mère (morte dans un accident) et qui restera des années dans la cave de la maison. Ce monde sert souvent de refuge à Clara (avec ses carnets pour enregistrer la vie) : après la mort de Rosa, elle entre dans un silence qui n'est interrompu que par une autre de ses prémonitions : son mariage. Tout cela justifie le titre du roman et incite le lecteur à accepter la présence des esprits avec la même normalité que les personnages eux-mêmes.

  • Le fantastique

    Le fantastique se manifeste par des caractéristiques physiques qui se répètent dans la famille Trueba, comme Rosa la Belle : « blanche, lisse, sans rides, comme une poupée de porcelaine aux cheveux verts et aux yeux jaunes », dont on dit qu'elle avait « un peu de poisson », et qui brodait des animaux qui « défient les lois de la biologie ».

Témoignages d'auteurs

Gabriel García Márquez sur la réalité exagérée

« Notre réalité est exagérée, et souvent les auteurs font face à des problèmes très graves, qui est l'échec des mots. Quand on parle d'une rivière aussi large, un lecteur européen peut imaginer le Danube, qui fait 2790 kilomètres de long. Comment pourrait-il imaginer l'Amazone, qui, à certains endroits, est si large que l'autre rive n'est pas visible ? Le mot « tempête » suggère une chose pour le lecteur européen et une autre pour nous, de même que le mot « pluie » n'a rien à voir avec les pluies torrentielles des tropiques. Les rivières d'eau bouillante, les tempêtes qui font trembler la terre et les ouragans qui emportent les maisons en l'air ne sont pas des inventions, mais des dimensions de la nature qui existent dans notre monde. »

Isabel Allende sur la perception du monde

« Le réalisme magique est la capacité de voir le monde en différentes dimensions, de voir comment les forces invisibles nous touchent. Les esprits dans La Maison aux esprits ne sont pas toujours des fantômes. Souvent, ce sont les passions et les craintes, ces choses invisibles qui poussent la famille et déterminent en quelque sorte le sort du pays. (...) Ce n'est pas seulement au Chili, mais dans le monde entier. Il m'est donc difficile de répondre à cette question, car je sens que dans ma propre vie, beaucoup de choses se produisent que je ne peux pas expliquer. Et j'ai appris à accepter toutes sortes de mystères, les coïncidences, les rêves, les prémonitions, la présence des morts dans ma vie. Ce n'est pas que je vois le fantôme de ma fille vêtue de blanc, flottant dans l'escalier... mais sa mémoire est une présence si forte dans ma maison que c'est comme si elle était là. »

Entrées associées :