Cinna : Le dilemme tragique d'Émilie

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Analyse linéaire 11

Introduction

Aujourd’hui, je vais vous présenter un extrait de Cinna, une tragédie politique écrite par Pierre Corneille en 1643, sous le règne de Louis XIII.

Dès la scène d’exposition, nous découvrons Émilie, une jeune femme en proie à un dilemme tragique : venger son père, assassiné par l’empereur Auguste… ou protéger l’homme qu’elle aime, Cinna, qu’elle pousse pourtant à commettre ce crime.

Dans ce monologue d’ouverture, elle exprime ses tourments intérieurs : tiraillée entre son désir de vengeance et son amour, Émilie ne sait plus quoi penser, ni que faire.

Ce passage pose donc les enjeux émotionnels, politiques et moraux de toute la pièce.

Je vais maintenant procéder à la lecture du texte.

Problématique et plan

On peut se demander :

Comment ce monologue d’exposition met-il en lumière le dilemme tragique qui déchire Émilie ?

Pour y répondre, je vais suivre la progression du texte en trois temps :

  1. D’abord, l’expression de son trouble intérieur et de sa souffrance (vers 1 à 8) ;
  2. Puis, le désir de vengeance contre Auguste (vers 9 à 16) ;
  3. Et enfin, le refus de mettre Cinna en danger, par amour (vers 17 à la fin).

I. Une femme dominée par ses émotions (v. 1 à 8)

Dès les premiers vers, Émilie se sent envahie par ses émotions, qu’elle personnifie en les appelant : « Impatients désirs d’une illustre vengeance ».

On sent l’urgence intérieure, presque une souffrance physique.

Ces désirs sont présentés comme des « enfants impétueux », une métaphore qui montre qu’ils échappent à son contrôle.

Elle parle aussi de « douleur séduite », ce qui exprime le fait qu’elle s’attache à sa propre souffrance, qu’elle en est presque complice.

Elle implore ses sentiments : « Souffrez que je respire », avec un impératif qui montre à quel point elle se sent étouffée par sa haine.

Le parallélisme final : « Et ce que je hasarde, et ce que je poursuis », marque une tentative de prise de recul. Elle essaie de peser les conséquences de ses actes, de retrouver un peu de raison dans ce tourment.

II. La haine d’Auguste et le désir de vengeance (v. 9 à 16)

Elle évoque ensuite Auguste, « au milieu de sa gloire », mais cette gloire est insupportable pour elle, car elle repose sur un crime.

Sa « triste mémoire » lui reproche sans cesse la mort de son père, assassiné « par sa propre main ».

Elle utilise des mots très forts, comme « massacré », et des images violentes, comme le « trône » devenu « le premier degré » de ce meurtre.

Autrement dit, le pouvoir d’Auguste est fondé sur le sang versé.

Elle se laisse alors totalement emporter par sa haine : « Je m’abandonne toute à vos ardents transports ».

La passion est ici décrite comme un feu incontrôlable, une tempête intérieure.

La formule hyperbolique « pour une mort, lui devoir mille morts » traduit une rage disproportionnée : elle ne veut pas seulement justice, elle veut l’extermination.

On comprend que sa raison est submergée par l’émotion.

III. L’amour plus fort que la haine (v. 17 à la fin)

Mais soudain, le ton change : Émilie dit qu’elle « aime encore plus Cinna qu’elle ne hait Auguste ».

C’est une antithèse puissante qui montre que l’amour la ramène à la raison, tempère sa colère.

Elle parle alors d’un « bouillant mouvement » qui refroidit : la métaphore thermique montre le combat entre le feu de la haine et la fraîcheur de l’amour.

Mais le dilemme devient insupportable quand elle réalise que sa vengeance met en danger Cinna : « exposer mon amant ».

Elle ne peut pas supporter de le sacrifier.

Avec l’adresse directe « Oui, Cinna, contre moi, moi-même je m’irrite », elle montre que sa lutte est désormais intérieure.

Le chiasme « contre moi, moi-même » exprime parfaitement cette division en elle-même.

Elle utilise des mots très forts, comme « précipiter », pour dire que c’est elle qui le pousse au bord du gouffre.

Et même si Cinna « n’appréhende rien », elle, ne peut s’empêcher de douter et de culpabiliser.

La dernière phrase résume tout : demander du sang, c’est exposer le sien.

Elle ne peut pas séparer sa vengeance de son amour, et c’est ce qui rend le dilemme tragique.

Conclusion

Ce monologue d’exposition est essentiel : il présente le dilemme qui va structurer toute la pièce.

Émilie est déchirée entre deux sentiments puissants et contradictoires :

  • son honneur familial bafoué ;
  • et son amour sincère pour Cinna.

À travers ce personnage, Corneille met en lumière la grandeur tragique, c’est-à-dire cette lutte entre deux devoirs impossibles à concilier.

L’émotion, la raison, la justice et la passion s’entrechoquent, et le spectateur est dès le début plongé dans cette tension dramatique.

Ouverture

Ce dilemme tragique est typique du théâtre cornélien, et on le retrouve par exemple dans Le Cid :

Rodrigue doit choisir entre venger l’honneur de son père… ou épouser Chimène, la femme qu’il aime.

Comme Émilie, il est déchiré par deux devoirs opposés : l’honneur et l’amour.

Ce conflit intérieur est au cœur du héros tragique selon Corneille.

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