Concepts et Critiques de l'Économie Publique Normative et Positive
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Q.01 Distinguer l’économie publique des autres formes d’économie
On va commencer avec la définition d’E. Malinvaud de l’économie : “L’économie est la science qui étudie comment des ressources rares sont employées pour la satisfaction des besoins des hommes vivant en société; elle s’intéresse d’une part aux opérations essentielles que sont la production, la distribution et la consommation des biens, d’autre part aux institutions et aux activités ayant pour objet de faciliter ces opérations.” Donc l’économie comprend beaucoup de champs, et elle se divise en différentes branches. Le mot économie trouve ses origines dans le mot latin oeconomus qui lui-même vient du mot grec oikonomos. L’économie est donc l’administration de la maison. L’économe est la personne qui a la responsabilité de donner des rations de ressources au temps opportun.
L'Économie Domestique
Correspondant à ses origines, nous trouvons l’économie domestique qui est centralisée autour de l’économe, en ce cas, le père. Le paternalisme lui donne trois attributs:
- Il est bon parce qu’il est guidé par l’amour et l’affection qu’il porte aux membres de sa famille.
- Il est savant. Il sait ce que veut dire utiliser de la meilleure des manières les ressources rares.
- Il possède une autorité sur les membres de sa famille. L’autorité est le pouvoir de faire faire quelque chose à quelqu’un sans avoir recours à la violence.
Au début, il adopte une économie autarcique, mais ils l’abandonnent pour l’économie d’échange parce que sa productivité augmente. Une mauvaise décision dans le cadre de l’économie familiale impacte l’ensemble des membres de la famille.
L'Économie Sociale et Solidaire (ESS)
Aussi, il existe l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), longtemps appelée économie des organisations à but non lucratif. Elle désigne un ensemble d’entreprises organisées sous forme de coopératives, mutuelles, associations ou fondations. Une entreprise peut faire partie de l’ESS si:
- Son but n’est pas seulement le partage des bénéfices.
- Si elle possède une gouvernance démocratique.
- Si les bénéfices sont prioritairement réinvestis dans l’activité de la société.
L’ESS, à l’image de ce qui définit l’identité du mouvement coopératif, développe une vision particulière de l’autorité. Dans une coopérative, il n’y a pas de chef mais une communauté de décideurs qui gèrent en commun une organisation à laquelle chacun a apporté sa pierre. L’autorité n’est pas de nature purement verticale. Une mauvaise décision impacte tous les membres de la coopérative, qui sont coresponsables de leur choix.
L'Économie de Marché
Concernant l’économie de marché, son but est de dégager le maximum de bénéfices. Ses décisions sont prises par les propriétaires de l’entreprise. C’est le consommateur qui est souverain. Ses choix sont contraints par les choix du consommateur. L’économie de marché est une forme essentiellement entrepreneuriale. Dans les multinationales et les grandes firmes en général, l’autorité est partagée entre le directeur salarié et les actionnaires. Il est probable qu'il existe une tension entre leurs intérêts. Une mauvaise décision de l’entrepreneur ou du directeur salarié impacte tous les membres de l’entreprise, et a aussi un impact social (d’autant plus élevé que le nombre des salariés est grand).
L'Économie Publique
L’économie publique traite de l’activité économique de l’État et des personnes morales de droit public.
L’État peut être défini selon la définition de Max Weber (1906): “Il faut concevoir l’État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé, revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime.”
L’extension de l’activité économique de l’État et des personnes morales de droit public détermine le champ de l’économie publique et le degré de mixité d’une économie. On peut distinguer entre:
- L’économie publique d’un État régalien qui est l’économie de la production de sécurité intérieure et extérieure et de justice.
- L’économie publique d’un État social qui est l’économie de la production des services.
L’économie publique regroupe :
- Les administrations publiques (principalement non marchandes). Les biens et services publics sont en effet financés par l’impôt et sont mis à disposition des citoyens gratuitement. Son activité principale consiste à redistribuer ou à produire des services non marchands.
- Les entreprises publiques (marchandes). Elles relèvent aussi de l’économie publique marchande.
L’économie publique a une branche positive qui décrit ce qui est et pourquoi, et aussi une branche normative et prescriptive qui dit ce qui devrait être et ce qu’il faut faire pour réaliser un monde meilleur.
Synthèse des formes pures d'économie
En résumé, dans sa forme pure :
- Économie familiale : 100% de la production y est d’origine domestique. La production et la répartition des richesses sont sous l’autorité des chefs de famille.
- Économie de marché : 100% de la production est produite par les entreprises. Les contrats répartissent la valeur ajoutée entre le capital et le travail. L’affectation des ressources serait gouvernée par les prix.
- Économie publique : l’État serait la seule instance de décision. L’affectation des ressources se fait sans l'usage des prix. Elle repose pour le public non marchand sur les principes de gratuité et l’impôt.
Dans le monde réel, l’économie établie dans un pays est un mélange de ces types d’économies.
Q.02 Décrire dans ses grandes lignes le programme de recherche de l’économie publique normative.
L’économie publique est un champ et une branche des sciences économiques. Elle traite de l’activité économique de l’État et des personnes morales de droit public. L’économie publique normative est une branche de l’économie publique qui dit ce qu'elle devrait faire pour réaliser un monde meilleur. Elle identifie les objectifs désirables pour ensuite appliquer le savoir de l’économie publique positive afin de les atteindre. Elle se fonde sur les résultats de l’économie du bien-être, juge qu’il faut étendre les droits publics au-delà des fonctions régaliennes de l’État (production de sécurité intérieure et extérieure et de la justice) et propose à l’État de réaliser un état de l’économie optimal au sens de Pareto.
Les Postulats de l'Économie du Bien-Être
L’économie du bien-être est normative car elle émet des jugements de valeur sur le bien et le mal. Elle se fonde sur 3 postulats:
- L’État cherche à atteindre le bien-être social.
- Le bien-être social repose sur les préférences des individus. Deux conceptions existent:
- Conception transcendante de l’intérêt général : L’intérêt public transcende les intérêts privés (Platon). Il est dans l’intérêt de la cité en tant qu’elle constitue une unité autonome, une totalité. L’intérêt général est la recherche du bien d’une entité supérieure, le bien de tous et non de quelques-uns. L’État devient le garant de l’intérêt de cette entité supérieure.
- Conception immanente : Ses origines se trouvent dans la théorie du contrat social. La loi est une construction sociale. L’unique source de légitimité est le consentement. L’économie du bien-être cherche à construire une fonction de bien-être social qui respecte ce principe qui repose sur l’unanimité. Il s’agit d’une approche contractualisée et individualiste de l’intérêt général. Le bien est subjectif. Aucune instance morale ne peut dire au citoyen ce qui est bien.
L’économie publique normative étend les droits publics au-delà de ses fonctions pour assurer un état Pareto Optimal. La maximisation du bien-être social est la réalisation d’une situation Pareto optimale. Ni l’État régalien ni l’économie de marché ne réalisent un état Pareto Optimal. L’État doit mettre en œuvre des politiques publiques appropriées pour limiter le gaspillage des ressources rares. L’économie du bien-être abandonne le critère utilitariste pour adopter le critère de Pareto.
Critique de l'Utilitarisme
L’utilitarisme est la première économie du bien-être. Il estime qu’une situation économique A est préférable à une situation B si la somme des utilités individuelles dans la société A est supérieure à la somme des utilités individuelles dans la société B. Il se réfère au critère Benthamien : ‘le plus grand bonheur du plus grand nombre’. Mais il a des critiques (défaillances):
- Le critère de maximisation de l’utilité ne conduira pas nécessairement à un ordre juste, car ce qui est important est l’utilité, la satisfaction des individus, et il ne prend pas en compte l’origine de ces satisfactions.
- Il repose sur un principe d’utilité cardinal qui reste hypothétique. Il suppose que les utilités des individus sont comparables.
- Il paraît aussi extrêmement délicat d’affirmer qu’un individu A a plus de satisfaction qu’un individu B.
Le Critère de Pareto
Ces critiques conduisent à adopter le critère de Pareto. L’affectation des ressources est optimale lorsqu’il n’est plus possible d’améliorer le bien-être d’une ou de plusieurs personnes sans diminuer simultanément celui d’une ou de plusieurs autres personnes. Un tel critère:
- Évite les comparaisons interpersonnelles d’utilité.
- Respecte l’individualisme en donnant aux préférences des agents le rôle principal.
- Étend à la collectivité le principe d’une satisfaction individuelle.
Nous pouvons citer aussi le critère Kaldor-Hicks : une mesure est socialement améliorante si les gagnants à un changement peuvent compenser les perdants et conserver malgré tout un gain.
L’économie publique normative s’empare de ce critère d’optimalité parétienne pour marquer ce qui doit être fait.
Les Théorèmes du Bien-Être
Démonstration faite par Arrow et Debreu de l’existence d’un équilibre général. À l’équilibre, les prix de marché égalisent l’utilité marginale au coût marginal pour chaque bien. Les deux théorèmes du bien-être établissent les relations entre la notion d’équilibre concurrentiel et celle d’optimalité parétienne.
- Le premier théorème de l’économie du bien-être montre alors que ‘tout équilibre général de la concurrence pure et parfaite est aussi un optimum parétien’.
- Le second théorème de l’économie du bien-être : si les préférences et les ensembles de production sont convexes, s’il n’y a ni externalité ni bien public, alors, à toute allocation optimale au sens de Pareto, on peut associer des dotations initiales et un système de prix tels que, pour ces dotations, l’allocation considérée est un équilibre concurrentiel.
Q.03 De la critique de l’économie publique normative à l’économie publique positive
Dans l'économie publique, nous pouvons distinguer entre l’économie publique positive qui décrit ce qui est et pourquoi, et l’économie publique normative qui dit ce qu'elle devrait faire pour réaliser un monde meilleur.
Le lien entre les deux est que l’économie publique normative identifie les objectifs désirables pour ensuite appliquer le savoir de l’économie publique positive afin de les atteindre.
L’économie publique normative se fonde sur les résultats de l’économie du bien-être, juge qu’il faut étendre les droits publics au-delà des fonctions régaliennes de l’État (production de sécurité intérieure et extérieure et de la justice) et propose à l’État de réaliser un état de l’économie optimal au sens de Pareto.
L’économie publique normative étend les droits publics au-delà de ses fonctions pour assurer un état Pareto Optimal. Le critère de Pareto suppose que l’affectation des ressources est optimale lorsqu’il n’est plus possible d’améliorer le bien-être d’une ou de plusieurs personnes sans diminuer simultanément celui d’une ou de plusieurs autres personnes.
Limites de l'Optimalité Parétienne dans la Réalité
Le problème est que cet état Pareto Optimal est difficile à observer dans la réalité car:
- Elle adopte une approche de type Nirvana, elle décrit une situation idéale.
- L’idéal est la situation d’équilibre général de concurrence pure et parfaite. La réalité est la concurrence imparfaite.
- L’idéal est un ordre égalitaire où chacun a une part égale des revenus et du patrimoine. La réalité est un monde où les inégalités sont endémiques.
- La théorie de l’équilibre général est inadaptée à la description du fonctionnement de l’ordre marchand. Elle repose sur une forme très particulière de marché (figure du Commissaire-priseur), un régime institutionnel qui fonctionne sur la propriété privée (impossible de traiter les biens collectifs et les externalités) et à l’équilibre, il n’existe aucune situation d’échange volontaire mutuellement profitable (sans profit, il n’est pas possible de comprendre et d’intégrer l’entrepreneur dans le modèle).
- Elle est de plus a-institutionnelle. Elle ne comprend pas, pour cette raison, le rôle central des droits de propriété dans la construction d’un ordre social prospère et juste.
Donc, l’économie publique normative issue de l’économie du bien-être se construit en deux temps:
- Elle montre pourquoi l’économie de marché est imparfaite.
- Elle décrit les mesures de politiques publiques qu’on peut mettre en œuvre pour améliorer la situation.
Trois positions sont traditionnellement défendues par l'économie publique normative:
- L’économie de marché est inefficiente et inéquitable.
- L’État et les décideurs publics en particulier ont le sens du devoir. Ils sont bienveillants.
- L’État peut améliorer par des politiques publiques adaptées son fonctionnement.
Ces trois positions ont été critiquées. Ces critiques ont été à l’origine d’un profond renouvellement de l’économie publique:
- L’école classique reste convaincue que l’économie de marché n’est ni inefficiente ni inéquitable. Elle reste attachée à l’État régalien.
- La nouvelle économie publique pense qu’il y a peu de chances que les décideurs publics soient bienveillants et cherchent à réaliser un ordre efficient et équitable.
- L’école autrichienne d’économie publique juge que l’État n’a pas les moyens de mettre en œuvre un ordre efficient et juste.
Donc ici se trouve le débat sur le droit et la légitimité de l’intervention de l’État et aussi sur l’efficience et la justice de l’économie de marché. Il y a différentes positions, et selon sa position, on interprétera et verra l’économie d’une manière ou d'une autre. Principales positions:
- Les libéraux soutiennent que l’économie de marché est juste et efficiente, car elle repose sur la propriété privée.
- Le socio-libéralisme défend une position un peu différente. La propriété privée est efficiente mais conduit à une répartition inégalitaire des revenus et des richesses. Il faut libéraliser le marché du travail, privatiser les entreprises publiques et baisser les dépenses publiques, mais augmenter les impôts sur les riches afin qu’ils financent des mesures de redistribution qui permettent de réduire les inégalités via l’éducation et les transferts sociaux.
- Les ordo-libéraux allemands se positionnent contre le laissez-faire Manchestérien et revalorisent l’intervention politique, les règles de droit et la législation. Si l’on souhaite protéger la propriété, il faut alors réguler le marché et donner à l’État le pouvoir de lever l’impôt, de gérer les monopoles, et de stabiliser le pouvoir d’achat de la monnaie. La propriété reste juste, mais elle n’est plus nécessairement efficiente, car la concurrence peut tuer la concurrence et placer le consommateur à la merci des producteurs. L’État doit s’assurer que la concurrence est bien libre et non faussée. Il doit réguler le capitalisme.
- L’école radicale et l’économie publique normative ont un diagnostic commun. L’économie de marché n’est ni efficiente ni juste. Ils n’en tirent pas, cependant, les mêmes prescriptions. L’école radicale pense qu’il faut transiter vers le socialisme, autrement dit la propriété collective des moyens de production. L’économie publique normative estime qu’il faut simplement corriger les défauts de l’économie de marché et la manière dont elle distribue les richesses. L’école radicale refuse de croire que le capitalisme peut être réformé. L’économie publique normative l’espère.
En conclusion, l’économie publique normative est une approche qui suggère que les politiques publiques devraient être évaluées en fonction de normes ou de critères éthiques. Cette approche est souvent critiquée car elle peut être subjective et dépendante des valeurs individuelles. De plus, l'économie publique normative n'est pas adaptée pour mesurer l'efficacité des politiques publiques, car elle ne prend pas en compte les réactions des agents économiques et leur comportement.
En opposition à cette approche, l'économie publique positive est une approche qui vise à étudier les politiques publiques en se basant sur des données empiriques et des méthodes scientifiques. Cette approche prend en compte les réactions des agents économiques et leur comportement pour évaluer l'impact des politiques publiques. L'économie publique positive est considérée comme une approche plus objective et plus adaptée pour évaluer l'efficacité des politiques publiques.
En conclusion, l'économie publique normative a été critiquée pour son manque d'objectivité et d'adaptabilité, tandis que l'approche positive de l'économie publique est de plus en plus utilisée en France pour évaluer l'impact des politiques publiques. Bien que cette approche soit considérée comme plus fiable et plus transparente, elle a également des limites et doit être utilisée avec prudence. L'importance de l'approche positive de l'économie publique en France est donc indéniable, mais elle doit être complétée par une réflexion éthique sur les objectifs et les valeurs des politiques publiques.
Q.04 Défaillances du marché versus défaillances de l’État.
L’économie publique se fonde sur l’économie du bien-être. Cette économie du bien-être repose sur deux théorèmes qui établissent les relations entre la notion d’équilibre concurrentiel et celle d’optimalité parétienne. Le problème est que l’économie de marché décrite ne correspond pas au marché réel. Les principales défaillances du marché sont :
- L’existence de biens collectifs, car le premier théorème de l’économie du bien-être suppose que tous les biens sont privés. Samuelson a montré qu’en présence de biens collectifs, l’économie de marché n’est plus Pareto optimale (inefficace).
- L’existence d’externalités. Pigou montre qu’il existe des externalités : un acte de consommation et/ou de production déplace une partie des coûts et/ou des bénéfices sur les autres. Donc les conditions de l’équilibre ne sont pas atteintes.
- Les asymétries d’information. L’efficacité du marché suppose une information parfaite, mais il existe de plus importantes asymétries d’information qui créent un problème d’agence et des coûts d’agence.
- Il a été jugé irréaliste de supposer que les agents sur les marchés, et les entreprises en particulier, sont des preneurs de prix. Nombreuses entreprises possèdent un pouvoir de marché et qu’elles utilisent pour exploiter le surplus du consommateur.
- En présence de rendements croissants, il est probable que des monopoles s’installent et que l’entreprise puisse fixer un prix supérieur à son coût marginal.
John-Maynard Keynes, dans son livre The General Theory of Employment, Interest and Money, présente aussi deux défaillances de l’économie de marché :
- Elle est incapable de réaliser le plein emploi.
- Elle génère d’importantes inégalités qui nuisent à la production.
Une autre défaillance défendue par les auteurs Vickery-Harsayni-Sen & Stiglitz est que l’économie de marché serait aussi injuste. Le deuxième théorème de l’économie du bien-être est le point de départ de cette littérature. Il rejoint les préoccupations de Keynes sur la nature improductive des inégalités. Il stipule que pour tout optimum, on peut trouver une affectation initiale des ressources qui mènera à cet optimum. Le système des prix peut conduire à une situation optimale, efficiente, mais cette situation n’est ni juste ni injuste. Elle peut même être extrêmement inégalitaire. Le critère de Pareto est muet sur les problèmes de répartition puisqu’il donne un droit de véto à chaque individu.
Le deuxième théorème justifie ainsi l’existence de politiques de redistribution. L’économie publique a pour objet l’activité de l’État. Nous pouvons distinguer entre :
- L’économie publique de l’État régalien qui est l’économie de la production de la sécurité intérieure et extérieure et de la justice.
- L’économie publique de l’État social qui est l’économie de la production de services.
Un État régalien qui se contenterait de protéger les conditions institutionnelles de la coordination des offres et des demandes privées qui s’expriment sur les marchés serait défaillant.
La théorie de l’État régalien soutient que la souveraineté individuelle est une fin souhaitable. La défense de la liberté individuelle est un objectif juste et efficient. L’individu est souverain et l’État protège cette souveraineté. L’application de ce principe est efficiente, car elle fait supporter à chacun les coûts de ses choix. Il est aussi juste car il serait injuste de déposséder les individus des fruits de leur travail ; une société juste étant une société où chacun reçoit selon ses œuvres. L’État est légitime ici car la sûreté et la liberté personnelle sont les seules choses qu’un être isolé ne puisse s’assurer par lui-même. La norme défendue ici est la liberté. L’État est le moyen de l’atteindre. La sécurité des citoyens contre les ennemis extérieurs et les troubles intérieurs est le but que doit se proposer l’État et l’objet sur lequel son action doit s’exercer.
La liberté est peut-être une norme souhaitable, mais elle ne permet pas de réaliser un état Pareto optimal. Si l’État souhaitait aller au-delà de ses fonctions de sûreté, il outrepasserait ses droits. Il imposerait une conception arbitraire de l’intérêt général à des individus qui cherchent seulement la bonne vie, le bonheur. Un individu ne cherche pas le bonheur du plus grand nombre. Il veut juste faire le bien et être juste à son niveau. Il n’a pas l’ambition de faire le bonheur de tous les hommes. La question de l’intérêt général est biaisée en ce sens. La diversité des conceptions de la bonne vie et de l’intérêt général impose finalement de ne pas vouloir trancher. Il y a une grande subjectivité des conceptions de l’intérêt général qui doit nous conduire à soutenir un État axiologiquement neutre, autrement dit un État qui ne fait que garantir la souveraineté individuelle, le droit des individus à s’autodéterminer, car il violerait les droits des individus.
Q.05 L’économie de marché est-elle inefficiente ?
L’économie publique normative qui décrit ce qui devrait être fait pour un monde meilleur se fonde sur l’économie du bien-être. Cette économie du bien-être juge qu’il faut étendre les droits publics au-delà des fonctions régaliennes de l’État (production de sécurité intérieure et extérieure et de la justice) et propose à l’État de réaliser un état de l’économie optimal au sens de Pareto.
Le critère de Pareto et les deux théorèmes du bien-être établissent les bases de l’efficience et de la justice. Ce qui nous intéresse est l’efficience. Le critère de Pareto dit que l’affectation des ressources est optimale lorsqu’il n’est plus possible d’améliorer le bien-être d’une ou de plusieurs personnes sans diminuer simultanément celui d’une ou de plusieurs autres personnes. Pour obtenir cette efficience, le premier théorème du bien-être établit que ‘tout équilibre général de la concurrence pure et parfaite est aussi un optimum parétien’. Le problème est que les conditions établies ne correspondent pas au monde réel, donc on peut parler des défaillances du marché qui montrent l’inefficacité:
- L’existence de biens collectifs, car le premier théorème de l’économie du bien-être suppose que tous les biens sont privés. Samuelson a montré qu’en présence de biens collectifs, l’économie de marché n’est plus Pareto optimale (inefficace).
- L’existence d’externalités. Pigou montre qu’il existe des externalités : un acte de consommation et/ou de production déplace une partie des coûts et/ou des bénéfices sur les autres. Donc les conditions de l’équilibre ne sont pas atteintes.
- Les asymétries d’information. L’efficacité du marché suppose une information parfaite, mais il existe de plus importantes asymétries d’information qui créent un problème d’agence et des coûts d’agence.
- Il a été jugé irréaliste de supposer que les agents sur les marchés, et les entreprises en particulier, sont des preneurs de prix. Nombreuses entreprises possèdent un pouvoir de marché qu’elles utilisent pour exploiter le surplus du consommateur.
- En présence de rendements croissants, il est probable que des monopoles s’installent et que l’entreprise puisse fixer un prix supérieur à son coût marginal.
Mais aussi, nous pouvons trouver une branche de la littérature qui défend que le marché n’est pas inefficient. Cette doctrine repose sur une représentation irréaliste de l’économie de marché. Cette représentation est irréaliste pour trois raisons principales :
- Elle adopte une approche de type Nirvana. Elle décrit une situation idéale.
- L’idéal est la situation d’équilibre général de concurrence pure et parfaite. La réalité est la concurrence imparfaite.
- L’idéal est un ordre égalitaire où chacun a une part égale des revenus et du patrimoine. La réalité est un monde où les inégalités sont endémiques.
Les principales doctrines qui défendent l’efficience dans l’ordre marchand sont l’école classique et le socio-libéralisme, contrairement aux ordo-libéraux, l’économie publique normative et les écoles radicales.
Q.06 L’économie de marché est-elle inéquitable ?
Cette question concerne le champ de l’économie publique, et plus concrètement l’économie publique normative et positive. L’économie publique normative dit ce qui devrait être fait pour un monde meilleur et l’économie publique positive décrit ce qui est et pourquoi.
Dans ce cas, il faut se centrer sur les théorèmes du bien-être décrits par l’économie du bien-être et sur lesquels se fonde l’économie publique normative. Ces théorèmes établissent les relations entre la notion d’équilibre concurrentiel et celle d’optimalité parétienne. Ils traitent et défendent les conditions pour l’efficacité et l’équité. Les auteurs Vickery-Harsayni-Sen & Stiglitz défendent que l’économie de marché serait injuste.
Le deuxième théorème de l’économie du bien-être est le point de départ de la littérature qui défend que l’économie de marché serait injuste. Il rejoint les préoccupations de Keynes sur la nature improductive des inégalités. Il stipule que pour tout optimum, on peut trouver une affectation initiale des ressources qui mènera à cet optimum.
Le système des prix peut conduire à une situation optimale, efficiente, mais cette situation n’est ni juste ni injuste. Elle peut même être extrêmement inégalitaire. Le critère de Pareto est muet sur les problèmes de répartition puisqu’il donne un droit de véto à chaque individu. Chaque individu peut bloquer tout changement s’il y perd. L’optimum atteint par un gouvernement par les prix n’est pas forcément satisfaisant en termes d’équité. Pour atteindre un optimum de Pareto équitable, aussi appelé optimum optimorum, il faut réussir à modifier les dotations initiales. Le deuxième théorème justifie ainsi l’existence de politiques de redistribution.
Ce deuxième théorème conduit à deux types d’attitudes. On peut croire que le marché est efficient mais inéquitable. On peut croire aussi qu’il est inefficient et inéquitable. Le socio-libéralisme défend la première solution. Dans le cadre de l’économie du bien-être, cela veut dire qu’il pense que les conditions de réalisation d’un optimum de Pareto sont réalisées par le marché, mais qu’il faut intervenir pour rendre la distribution des richesses plus équitable. Traditionnellement, cependant, l’économie du bien-être soutient que l’économie de marché et son système des prix sont, d’une part, défaillants et d’autre part inéquitables. L’État doit pour ces raisons mettre en œuvre des politiques correctrices et des politiques de redistribution.
Critique de l'Inéquité du Marché
Toutefois, nous trouvons aussi la défense selon laquelle l’économie de marché n’est pas inéquitable parce que la doctrine selon laquelle l’économie de marché est inéquitable repose sur une représentation irréaliste de l’économie de marché. Cette représentation est irréaliste pour :
- Adopter une approche de type Nirvana (Harold Demsetz, 1969). Cette approche décrit une situation idéale, une sorte de paradis perdu. Elle compare ensuite la réalité à cet idéal. Cet idéal n’est pas le monde réel, le marché réel qui est défaillant, mais la représentation irréaliste qu’en ont fait les économistes mathématiciens dans le cadre de la théorie de l’équilibre général.
- Formaliser l’économie de marché dans un modèle d’équilibre général qui déforme la réalité et est incapable de comprendre la dynamique de coordination à l’œuvre sur les marchés. L’État doit intervenir parce que le marché est défaillant, mais le marché est défaillant parce qu’il ne fonctionne pas comme le modèle Arrow-Debreu d’équilibre général le dit. L’argument, cependant, tombe si la théorie de l’équilibre général ne décrit pas correctement le fonctionnement d’un marché.
- Être de plus a-institutionnelle. Elle ne comprend pas, pour cette raison, le rôle central des droits de propriété dans la construction d’un ordre social prospère et juste. Dans le modèle de Arrow-Debreu, l’économie de marché est un régime institutionnel qui fonctionne sur la propriété privée, le contrat et la responsabilité des agents. Il est impossible de traiter des biens collectifs, et des externalités en particulier, sans s’interroger sur la définition et la mise en œuvre des droits de propriété.
Donc on peut trouver différentes positions et en fonction de cette position, la vision de l’activité de l’État doit être l'une ou l'autre.
Q.07 Le calcul politique des acteurs politiques en démocratie lors des choix publics.
Cette question est abordée selon l’école des choix publics. L’économie publique s’occupe de l’activité économique de l’État et des personnes morales de droit public.
En grandes lignes, le calcul politique se fait en relation avec les différents acteurs politiques et leurs interconnexions d’intérêts et d’objectifs.
L’école des choix publics participe de l’extension de la méthode et des hypothèses de la théorie économique néoclassique à l’explication des faits sociaux. Il s’agit de penser la politique en termes d’équilibre de l’offre et de la demande politique et d’appliquer à l’acteur politique l’hypothèse de rationalité parfaite de la microéconomie standard.
Les acteurs politiques sont en démocratie les électeurs, les élus et le gouvernement (exécutif), les agents publics et les groupes d’intérêt. Chaque acteur politique met en œuvre des moyens pour atteindre une fin politique. Les choix de politique publique ne sont pas des choix abstraits placés dans un contexte institutionnel hypothétique. Les choix des décideurs publics sont concrets et contraints par des institutions politiques (démocratie, aristocratie, monarchie, etc.). Les électeurs, les lobbyistes, les agents publics et les élus agissent dans la sphère politique comme ils agissent sur le marché ou dans l’économie domestique. Ce qui change, c’est la structure incitative et les règles du jeu. Les acteurs publics rationnels arbitrent toujours en faveur de leurs intérêts. Ils n’ont aucune raison d’être bienveillants.
Le périmètre d’intervention du secteur public est le résultat de l’interaction d’une multitude de choix politiques rationnels et dont les effets en termes d’efficience et de justice sont mal connus. Chacun défend ses intérêts, mais personne ne sait si cette stratégie aura pour conséquence de créer un ordre plus juste et plus efficient. Il est déterminé par l’activité des élus, des électeurs, des groupes d’intérêts et des administrations.
Les décideurs publics et politiques n’ont pas pour objectif l’efficience. Donc dans un tel modèle, l’efficience des choix de politique publique n’est plus nécessairement assurée. Ils privilégient l’efficacité politique. Ils veulent juste atteindre leurs objectifs.
- Les élus maximisent la probabilité d’être réélu. Ils peuvent dans ce cas instrumentaliser la politique économique. Ils vont suivre le calendrier électoral plutôt que les cycles économiques et créent ainsi des cycles politiques (Nordhaus, 1975).
- Les électeurs utilisent leur bulletin de vote pour maximiser leur utilité individuelle (Fiorina 1976). Ils se moquent du bien-être social.
- Les groupes d’intérêts agissent aussi dans leurs intérêts. Stigler (1971) décrit dans sa théorie de la capture comment les groupes d’intérêts et les acteurs politiques utilisent les lois et les règlements pour maximiser leur utilité, leur gain. La réglementation n’est plus au service de l’intérêt général. Elle est détournée de sa fonction. Elle sert à se protéger de la concurrence des entreprises nationales ou à fermer un marché à la concurrence des entreprises étrangères. La conséquence est une forme de sclérose institutionnelle qui peut expliquer le déclin de certaines nations (Olson, 1982).
- Les agents publics enfin utilisent leur position de monopole pour maximiser la taille de leur budget (Tullock 1965, Niskanen 1971). Ils ne cherchent aucunement à minimiser les coûts de production des biens publics. La conséquence est l’inefficience des politiques publiques. D’une part parce qu’il y a des coûts d’agence. D’autre part, parce qu’il y a des coûts de recherche de rente. Les coûts d’agence sont la conséquence de la procédure de délégation. Les électeurs délèguent la réalisation de leur préférence politique au gouvernement. Le gouvernement délègue l’exécution de ces préférences à l’administration publique. Aux coûts d’agence s’ajoutent les coûts de recherche de rente.
Si l’efficience explique les choix de politique publique, ce qui est et ce qui devrait être correspondent. Si l’efficacité politique des politiques publiques prévaut, ce qui est et ce qui devrait être sont dissociés. L’économie politique de l’École de Chicago défend que l’efficience explique les choix politiques et *in fine* les politiques publiques, alors que l’économie politique de l’École de Virginie estime que les choix politiques ne sont ni efficients ni justes, ils sont motivés par l’intérêt de ceux qui les inspirent.
Q.08 Commenter ce tableau décrivant les courants de l’économie publique sur la question de l’efficience de l’économie de marché.
Ce tableau résume de manière simple les positions en présence en matière d’efficience ou d’inefficience de la démocratie et du marché.
L’Économie Publique Normative et l’École Keynésienne
L’économie publique normative et l’école keynésienne développent un important corpus de connaissances pour soutenir l’inefficience des marchés et élaborer un certain nombre de mesures de politiques publiques capables de les corriger. L’économie publique est une science au service de la bonne gestion des ressources rares.
Ces doctrines défendent l’économie mixte. Elles partagent avec l’école institutionnaliste et l’une de ses grandes figures, Galbraith, l’idée que la social-démocratie est souhaitable et peut améliorer le bien-être social d’un peuple.
Le marché produit la majeure partie des biens, mais l’État vient corriger ses carences. Il gère l’instabilité des marchés par la politique économique. Il traite de son injustice par des politiques fiscales et sociales appropriées. Il améliore l’efficience de l’impôt par la mise en œuvre d’une fiscalité optimale. On retrouve ici les trois fonctions de l’État selon l’économiste néo-keynésien Richard Musgrave. La règle de Tinbergen énonce, dans ce cadre « mélioriste », que pour toute politique économique ayant des objectifs fixés, le nombre d’instruments doit être égal au nombre d’objectifs visés. Les objectifs sont quantifiés et l’impact des mesures prises mesuré. Jan Tinbergen a présidé le Comité des Nations Unies pour la planification et le développement économique. Il est un fervent partisan de l’intervention publique et de la théorie des défaillances du marché.
L’École Radicale
L’école radicale développe une position différente. L’État et le marché sont les deux éléments d’un même régime, le capitalisme. L’État est une condition indispensable à la régulation marchande. Il fournit ses conditions politiques d’existence. Il protège la propriété capitaliste. Il pacifie les rapports sociaux qui sont par nature conflictuels. Il produit les services publics indispensables à la reproduction du capitalisme comme système. L’État, comme l’indique Lénine, rend l’affranchissement de la classe opprimée impossible, non seulement sans une révolution violente, mais aussi sans la suppression de l’appareil du pouvoir d’État créé par la classe dominante.
L’expérience de la Commune de Paris a montré que l’État pouvait être oppressif. Il est l’organisation de la violence de classe. Cette position exprimée par Marx dans sa critique de l’économie politique et quelques passages du Capital conduit à l’idée que la démocratie libérale est un leurre. Elle aliène politiquement les masses pour défendre les propriétaires du capital. Aliéner signifie déposséder. L’aliénation politique participe de l’aliénation économique et religieuse. L’homme se dépossède à tort pour le profit des hommes de l’État, des patrons et de Dieu. C’est parce que l’État est un État de classe que la démocratie, le gouvernement du peuple, n’est qu’une illusion. L’État ici est au service du capital. Il est un instrument de la classe dominante. La théorie du capitalisme monopoliste d’État est une variante de cette théorie du capitalisme. Dans cette perspective, le modèle Stalinien de planification impérative était perçu comme un type de capitalisme, un capitalisme d’État. La propriété n’était pas collective mais d’État.
L’Économie Politique de l’École de Chicago
L’économie politique de l’École de Chicago est une défense de la démocratie polyarchique ou du pluralisme. La théorie de la polyarchie démocratique est à la fois une réponse à la théorie marxiste et un moyen de redonner aux citoyens une place dans la décision politique.
La démocratie ne peut pas se résumer aux élections. Sa principale caractéristique est d’organiser la concurrence politique et d’ouvrir ainsi les privilèges à la délibération. La démocratie est un régime où la concurrence politique désigne régulièrement le souverain, mais aucun gagnant ne l’est définitivement et de manière globale. Les victoires politiques des groupes qui font vivre la démocratie sont temporaires. Il n’y a pas deux classes, mais autant de groupes en concurrence que d’intérêts. Le dualisme de la lutte des classes est remplacé par une concurrence pacifique entre des catégories dirigeantes (élite).
La démocratie est une polyarchie où des groupes se mobilisent dans le but d’influencer les décisions politiques dans le sens de leurs intérêts. Ce qui caractérise une polyarchie, c’est la prégnance de la négociation, du compromis et de la délibération sur la violence et la coercition. C’est comme si la démocratie avait effacé la violence qui a donné naissance à l'État moderne. Ce goût pour l’équilibre va inspirer l’économie politique, qui y voit la preuve que la coordination par le marché et par la négociation politique n’est pas si éloignée.
L’économie politique va appliquer sa théorie des équilibres concurrentiels aux contrats politiques et proposer d’expliquer la formation des groupes d’intérêt qui animent ce processus perpétuel de négociation et de compromis.
L’un des auteurs les plus féconds fut Mancur Olson, à qui l’on doit le paradoxe de l’action collective et cette théorie de la formation des groupes d’intérêts. Il ne suffit pas, en effet, d’avoir un intérêt commun avec quelqu’un pour agir collectivement pour le défendre. Olson qualifie sa théorie des groupes de pression de pluralisme analytique. Derrière cette expression, il y a à la fois une théorie de la démocratie et une théorie originale de la formation et de l’action des groupes d’intérêts.
L’Économie Politique des Écoles Autrichiennes et de Virginie
L’économie politique des écoles autrichiennes et de Virginie développe une alternative à l’économie publique normative et à ses alliés keynésiens et institutionnalistes, car elle propose à travers sa théorie des droits de propriété, une théorie de la justice et de l’efficience. Elle est historiquement opposée à la macroéconomie keynésienne via le débat entre Keynes et Hayek dans les années trente sur l’origine des crises et des fluctuations économiques.
Elle développe ensuite un ensemble de théories et de travaux empiriques qui évaluent les coûts de l’action publique, autrement dit les coûts de transaction politique. Elle substitue ainsi à l’efficience de l’économie publique normative l’efficacité politique. Les décideurs publics sont motivés par un gain personnel qui les éloigne des choix de politiques économiques optimaux. L’éthique de la propriété explique le développement d’une alternative normative à l’économie publique normative.
Elle croit dans les vertus d’une démocratie limitée. Le peuple ne peut pas tout car le peuple ne peut pas violer les droits de propriété de chacun sur lui-même et les fruits de son travail. La volonté du peuple en démocratie doit par conséquent être limitée par une constitution forte et capable de limiter les risques d’expropriation légaux que fait courir une augmentation trop importante des dépenses publiques et de l’impôt.
L’Économie Politique Constitutionnelle (ECP) développe ce projet d’un renforcement de l’État de droit. Il s’agit de renouveler la théorie de l’État régalien. L’ECP est le programme de recherche initié par Buchanan qui cherche à modifier les règles du jeu démocratique pour que ce dernier incite les agents à proposer des échanges politiques à gain mutuel et à écarter de la délibération politique les échanges à somme négative où Jacques s’enrichit en prenant les revenus gagnés par Paul.
C’est sur ce point que les anarcho-capitalistes se séparent des écoles autrichiennes et de Virginie. Les anarcho-capitalistes pensent, en effet, que l’État de droit n’existe pas. L’État est toujours liberticide, car il est financé par l’impôt et que l’impôt repose sur la coercition. L’État est derrière la démocratie et la démocratie donne à la majorité le droit de prendre aux individus une partie de leur revenu sans leur consentement. L’État régalien est injuste en ce sens. Il n’est peut-être même pas efficient. C’est d’ailleurs ce que suggère David Friedman (1973, 1992) dans son livre Vers une société sans État. Il estime entre autres que la protection contre la violence, le vol et le crime doit passer par des sociétés privées de protection et non une police nationale ou municipale (Friedman 1992, p.174). L’achat de portes blindées, de sonneries d’alarme, de chiens de garde, de service de gardiennage, croissante dans les pays développés montre à la fois que la sécurité est un bien marchand et que l’inefficacité des polices publiques impose progressivement ce type de solution. Il y a peu de chance dans ces conditions que la démocratie réussisse à mettre en œuvre de nouvelles règles du jeu constitutionnel. La solution est la sécession (*exit*).
Q.09 Résumer l’histoire du ratio dépenses publiques sur PIB de la France (1870-2015) en volume et par acteurs (voir le Manuel, les dépenses publiques section Chapitre 1, p.43-49)
Q.10 Qu’est-ce qu’un impôt ? (un vol légal, un échange, le paiement d’une dette sociale)
L'impôt est une contribution financière que les citoyens sont tenus de payer à l'État. Cette définition peut sembler simple, mais l'impôt est un sujet complexe qui soulève souvent des questions éthiques et morales. Trois conceptions principales s'opposent:
1. L'Impôt comme Vol Légal
Selon Joseph Garner, un économiste du 19ème siècle dans son article intitulé "De la spoliation légale" publié dans le Journal des économistes en 1848, l'impôt peut être considéré comme un vol légal. En effet, l'État utilise la force pour exiger de l'argent des citoyens et confisque leurs biens s'ils refusent de payer. De même, si les citoyens résistent à cette prédation, ils risquent d'être arrêtés ou abattus. En d'autres termes, l'État peut être comparé à un voleur, car il utilise la force pour extorquer de l'argent aux citoyens. Cette conception de l'impôt soulève des questions éthiques et morales sur la nature du pouvoir de l'État et sur les droits des citoyens en matière de propriété.
2. L'Impôt comme Échange
Cependant, d'autres penseurs comme Maurice Allais, dans son livre intitulé "Pour une réforme de la fiscalité", considèrent l'impôt comme une forme d'échange entre l'État et la société. Les citoyens paient des impôts pour financer les services publics que l'État est le seul à pouvoir fournir, tels que la sécurité, la justice, la santé publique, etc. En retour, l'État utilise cet argent pour améliorer le bien-être de la société et fournir les services dont les citoyens ont besoin. Ainsi, l'impôt est considéré comme une forme de contribution volontaire de la part des citoyens pour financer les dépenses publiques nécessaires à la vie en société. Cette conception de l'impôt souligne l'importance de la solidarité et de la responsabilité collective dans la gestion des affaires publiques.
3. L'Impôt comme Dette Sociale
Enfin, le mouvement solidariste et le socialisme juridique défendent l'idée selon laquelle chaque citoyen naît avec une dette envers la société, appelée "impôt dette sociale". Cette dette est basée sur le principe selon lequel chaque individu tire des avantages de la vie en société. Ainsi, pour bénéficier de ces avantages, chaque citoyen doit contribuer financièrement à la société par le biais de l'impôt. Les avantages que les citoyens tirent de la vie en société peuvent prendre différentes formes, telles que l'éducation, la santé, la sécurité sociale, la protection de l'environnement, etc. Ces avantages sont considérés comme des biens communs qui bénéficient à tous les membres de la société, et il est donc juste que chaque individu contribue à leur financement. En conséquence, l'impôt dette sociale est un moyen pour chaque citoyen de participer à la construction et au maintien de la société dans laquelle il vit. C'est une façon de s'assurer que tous les membres de la société participent de manière équitable à la fourniture de services publics et à la préservation des biens communs.
En conclusion, l'impôt est un sujet complexe qui soulève des questions éthiques et morales importantes. La question de savoir ce qu'est un impôt soulève des débats philosophiques et politiques complexes. Si certaines personnes considèrent l'impôt comme un vol légal, d'autres le perçoivent comme une contribution volontaire à la société. Le mouvement solidariste et le socialisme juridique, quant à eux, défendent l'idée selon laquelle chaque citoyen a une dette envers la société, qu'il doit rembourser par le biais de l'impôt dette sociale. En fin de compte, l'impôt est un outil essentiel pour financer les services publics nécessaires à la vie en société, et il est important que chaque citoyen contribue équitablement à cette tâche. En tant que membres de la société, nous devons réfléchir aux avantages que nous tirons de la vie en communauté et aux responsabilités qui en découlent, y compris notre contribution financière à la société par le biais de l'impôt.
Q.11 La critique de la théorie des biens collectifs
La théorie des biens collectifs a initialement été construite par les keynésiens pour justifier l’extension des compétences de l’État. Initialement, un bien collectif pur est un bien à consommation indivisible (non-rivalité) et non exclusif. Il est donc entièrement consommé de manière automatique par chacun des agents économiques membres de la collectivité, même si ces derniers n’ont pas payé sa production.
La non-rivalité est probablement la caractéristique la plus essentielle. Elle suppose que le groupe doit être défini. Les bénéfices des biens collectifs nationaux sont répartis parmi tous les habitants de la nation. Les bénéfices des routes départementales ou communales sont uniquement répartis parmi les habitants de chacune de ces juridictions.
L’un des apports de la théorie des biens collectifs contemporaine est ainsi d’avoir introduit différentes dimensions:
- Temporelles : biens intragénérationnels et intergénérationnels. Les bénéfices des biens collectifs sont situés dans le temps. La distinction entre inter et intragénérationnel n'est pas non plus évidente, car elle dépend de la durabilité des phénomènes.
- Spatiale : locaux, nationaux et mondiaux. Elle est une source d'exclusion. Il territorialise la théorie des biens collectifs. Il s’agit de distinguer les biens collectifs selon l’étendue des bénéfices qu’ils procurent. Par exemple, le lampadaire est un bien collectif local. La lumière de la place du Panthéon n’est consommée régulièrement que par les noctambules parisiens. Ces biens sont non rivaux, mais une forme d'exclusivité spatiale les caractérise.
Concernant les biens collectifs mondiaux, transnationaux ou globaux. Le global se veut inclusif. Il inclut le local, le national, le régional et l'international. Le global est une dimension du public. Le collectif global inclut les États et accepte que le caractère public ou privé puisse changer dans le temps. Kindleberger (1986) définit les biens collectifs mondiaux comme l'ensemble des biens accessibles à tous les États qui n'ont pas nécessairement un intérêt individuel à les produire. Exemples : terrorisme, épidémies ou couche d’ozone. Ils bénéficient à tous (non rival) et sont naturels ou artificiels.
- Le climat et la couche d'ozone sont des biens collectifs globaux naturels. Les conséquences du réchauffement dépassent les frontières des États-nations (international) et des générations présentes (intergénérationnel).
- Les biens collectifs artificiels sont intentionnels ou émergents.
- Les biens collectifs artificiels intentionnels correspondent à la paix, à la santé et à la stabilité financière mondiale.
- Les biens collectifs artificiels émergents sont produits par les êtres humains, mais ne relèvent pas de leurs intentions: la science et la culture en seraient de bons exemples (Kaul, Grunberg et Stern, 1999).
- Les coûts de transaction (permettent de préciser les conditions de la prise en charge par l’État de ces biens).
La théorie des biens publics a initialement été construite pour justifier l’intervention publique. Pour elle, l’État doit prendre en charge la production des biens collectifs. Mais il existe de nombreux cas où le privé est en mesure de produire dans de meilleures conditions ce type de bien.
Le Problème du Passager Clandestin
Pourquoi, en l’absence d’intervention publique, la quantité de biens collectifs serait-elle insuffisante? Les biens collectifs sont non exclusifs et non rivaux. Personne n’a intérêt à acheter de tels biens puisqu’une fois financés et produits, tout le monde peut les consommer gratuitement. Par exemple, le cas de se vacciner ou de financer des services de lutte contre les incendies. Le résultat de telles situations est des épidémies aux conséquences sanitaires graves et des budgets pour la sécurité civile et la défense insuffisants. Seul l’État peut pallier ces insuffisances. Il est illustré dans le tableau suivant:
Paul et Jacques n'ont pas les mêmes niveaux de fortune. Paul est plus riche que Jacques. Il a plus à gagner à se défendre contre une agression extérieure. La somme des utilités est maximum lorsque les deux individus paient (cas 1). La situation la moins satisfaisante est celle où ils refusent l'un et l'autre de payer pour ce service (cas 4). Si Paul ne paie pas, mais que Jacques paie, il gagne vingt-deux, autrement dit plus que s'il paie et que Jacques paie aussi. Le cas 3 est la stratégie dominante pour Paul. Il attend que Jacques paie pour consommer le bien défense, qui est non rival. De la même manière, le cas 2 est la stratégie dominante pour Jacques.
En l'absence de toute intervention d'un tiers, Jacques et Paul se placent rationnellement dans une situation inefficiente. L'État doit être ce tiers qui prend en charge les biens collectifs, afin de pallier les défaillances de la structure incitative dans laquelle se trouvent les agents. Il fixe alors la quantité de défense nationale et répartit la charge.
L’inefficience de la production est la principale cause de la prise en charge par l’État des biens collectifs. Il les produit parce que sans son intervention, la quantité produite serait insuffisante. Mais l’État central n’est pas toujours le bon niveau de gouvernement.
La théorie de la structure optimale de gouvernement rappelle que les biens collectifs locaux doivent être produits et gérés par les collectivités locales, alors que les biens collectifs mondiaux doivent relever de la responsabilité des organisations internationales.
Cette théorie s’est développée autour du théorème d’Oates qui défend que chaque service public devrait être fourni par la juridiction exerçant un contrôle sur le territoire géographique minimum permettant d'internaliser les avantages et les coûts d'un tel service. Ce théorème suppose des décideurs publics bienveillants.
Ce critère conduit à défendre un régime fédéral contre le régime unitaire. Le théorème d’Oates définit ainsi la taille du groupe par le principe de non-rivalité. La non-rivalité est spatiale. Il propose que chaque bien collectif doit correspondre aux quantités préférées par les citoyens qui en bénéficient.
Q.12 La critique de la théorie des biens sous tutelles et de son extension, le soft paternalisme
Pour aborder la critique, nous devons connaître ce qu'est la théorie des biens sous tutelle et le paternalisme doux (*soft paternalism*).
La théorie des biens sous tutelle repose sur une théorie transcendante de l’intérêt général et a trouvé dans l’économie comportementale de nouveaux fondements.
Les biens sous tutelle sont des biens privés. Ils sont rivaux et exclusifs. Ils sont sous tutelle parce que l’État définit ces biens comme publics. Les biens sous tutelle dotent l’État d’une fonction d’utilité propre indépendante de celle des individus.
Dans une conception d’intérêt transcendant, l’État met un bien sous tutelle, car il estime qu’il doit protéger la nation contre un risque. La tutelle peut, aussi, être l’expression d’une philosophie paternaliste. Pigou (1932) considérait que les hommes sont en général myopes. Ils sous-estimeraient leurs besoins futurs.
L’économie comportementale généralise l’idée qu’il ne faudrait pas faire trop confiance aux jugements que les hommes portent sur les choses. Elle est associée aux travaux de psychologie économique d’Amos Tversky et Richard Thaler (entre autres). Elle renouvelle la théorie des biens sous tutelle. Elle apporte le paternalisme doux (*soft paternalism*).
Elle trouve ses origines dans la critique de l'instrumentalisme friedmanien, qui estimait qu'il était inutile de tester l'hypothèse de rationalité ou de maximisation et qu’il fallait se contenter de tester les prédictions issues de cette hypothèse de comportement. Le cœur de l’argument se trouve dans la distinction faite entre deux systèmes de pensée. Le système 1 est rapide, instinctif et émotionnel, alors que le système 2 est lent, réfléchi et logique. Le système 1 conduit souvent à l’erreur, alors que le système 2 est le seul à pouvoir prendre de la distance et à corriger ses erreurs de jugement.
La théorie des biens sous tutelle relève d’un paternalisme qui n’a aucune ambition de respecter la liberté de choix de chacun. Le paternalisme doux (*soft paternalism*), en revanche, se veut compatible avec les libertés de chacun. Il donne à l'État la mission d'aider les individus à réaliser les objectifs qu'ils se sont eux-mêmes fixés. Il s’agit d'améliorer le niveau de rationalité.
- Le nudge (coup de pouce), méthode douce pour inspirer les bonnes décisions. C'est aussi un aspect de l'architecture du choix qui modifie de façon prévisible le comportement des individus sans interdire aucune option, ou modifier de façon significative les incitations financières. L'architecture du choix est omniprésente et inévitable. Il est impossible de ne pas influencer le choix. Si l'État doit réglementer certains aspects de la vie des gens, il doit utiliser les *nudges*, car ils aident à vivre plus longtemps, mieux et en meilleure santé.
- Le *nudge* n'est pas contraignant. Il ne cherche pas à inciter les individus par l'interdiction, l'impôt ou la récompense. Il s'agit de proposer une nouvelle manière de faire des politiques publiques.
Les individus ont donc besoin d’être mis sur la bonne voie lorsqu’ils doivent prendre des décisions difficiles auxquelles ils sont rarement confrontés, dont ils ne connaîtront pas les effets avant longtemps, ou lorsqu'ils ont du mal à traduire certains aspects de la situation en termes compréhensibles. Face à la myopie des agents, ni impôt ni interdiction, mais un *nudge* approprié.
Le paternalisme doux (*soft paternalism*), comme la théorie des biens sous tutelle, se fonde donc sur l’idée que les élites politiques, les savants, les experts peuvent aider les ignorants à vivre mieux.
Critiques du Paternalisme Doux
- Il est liberticide. Supposons que les individus estiment qu’ils ont un droit à l’autonomie, à la souveraineté. Toute intervention de l’État est perçue comme illégitime. La souveraineté individuelle relève du bien-être social. Si l’État intervient, il limite la liberté et réduit le bien-être des individus. La souveraineté individuelle apparaît ainsi à la fois comme une fin en soi et un moyen.
- Il développe une société hiérarchique. Il y a ceux qui savent d’un côté, et les ignorants de l’autre. S’il est incontestable que chacun a des connaissances différentes et des compétences hétérogènes, il n’est pas évident que les personnes les plus compétentes dans un domaine soient effectivement celles qui décident des règles de comportement les plus appropriées.
- Le rôle de l'émotion. Le paternalisme doux (*soft paternalism*) issu de l'économie comportementale doit montrer que les acteurs politiques sont moins dans l'émotion et la passion que les marchands, les consommateurs et les chefs d'entreprise. Une telle proposition est critiquable si on garde à l’esprit la proposition inverse. L'économie de marché est un monde froid et calculateur où chacun maximise ses intérêts. Il est probable que l'émotion soit plus forte (système 1) en politique que sur les marchés, où la raison l'emporte (système 2).
- Détournement des objectifs. Le paternalisme doux est normalement utilisé pour que chacun réalise les objectifs qu’il s'est fixés, mais il peut aussi être utilisé pour faciliter le paiement de l’impôt.
- La pente glissante. Toutes les formes de paternalisme placent les agents sur une pente glissante. Rizzo et Whitman distinguent deux types de pentes glissantes:
- Pente glissante comme argument : décrit qu’accepter une proposition peut conduire à en accepter une autre, et ainsi de suite. Il s'agit d’une chaîne d'arguments tenue par une cohérence logique.
- Pente glissante comme événement : décrit un processus similaire. Il existe ainsi une chaîne d'événements; les conséquences non désirées de chaque décision publique justifient de nouvelles politiques publiques.
Q.13 La théorie des biens de club (Manuel Chapitre 2 Section 1.2 – Section 2.1.2 & Section 2.2.2)
Q.14 Résumer les débats autour de la prise en charge par l’État des biens de club (Manuel Chapitre 2 section 2.1.2 p.84-85 plus définition d’un bien de club)
Q.15 Présenter les conditions favorables à la résolution des dilemmes sociaux en présence de biens collectifs
Les biens collectifs sont définis comme non exclusifs et non rivaux. Personne n’a intérêt à acheter de tels biens puisqu’une fois financés et produits, tout le monde peut les consommer gratuitement. Par exemple, le cas de se vacciner ou de financer des services de lutte contre les incendies. Le résultat de telles situations est des épidémies aux conséquences sanitaires graves et des budgets pour la sécurité civile et la défense insuffisants. Seul l’État peut pallier ces insuffisances.
Le dernier exemple inspire la théorie hydraulique de l'État. La naissance de l'État en Chine du Nord et au Mexique serait la conséquence de la demande d'association des villageois pour la mise en œuvre de grands travaux d’irrigation. Si un groupe de fermiers crée un système d'irrigation, il ne peut exclure les fermiers qui ne voudraient pas payer les canaux d'irrigation, mais qui, de fait, verraient l'eau passer sur leurs terres. Il devient rationnel de créer une organisation qui va obliger tous les paysans à payer et à contribuer à la formation d’un tel système. L'État serait né des avantages que les villageois anticipaient de la construction de tels systèmes d'irrigation sur le rendement de leurs parcelles. Naissance de l'État et biens collectifs sont ici liés à l'impossibilité de résoudre certains dilemmes sociaux sans l'intervention d'un tiers.
D’un point de vue formel, la matrice de gain présentée appuie ce raisonnement. Nous avons une société avec deux agents: Paul et Jacques.
Paul et Jacques n'ont pas les mêmes niveaux de fortune. Paul est plus riche que Jacques. Il a plus à gagner à se défendre contre une agression extérieure (tableau 04). La somme des utilités est maximum lorsque les deux individus paient (cas 1, tableau 04). La situation la moins satisfaisante est celle où ils refusent l'un et l'autre de payer pour ce service (cas 4, tableau 04). Si Paul ne paie pas, mais que Jacques paie, il gagne vingt-deux, autrement dit plus que s'il paie et que Jacques paie aussi. Le cas 3 est la stratégie dominante pour Paul. Il attend que Jacques paie pour consommer le bien défense, qui est non rival. De la même manière, le cas 2 est la stratégie dominante pour Jacques. En l'absence de toute intervention d'un tiers, Jacques et Paul se placent rationnellement dans une situation inefficiente. L'État doit être ce tiers qui prend en charge les biens collectifs, afin de pallier les défaillances de la structure incitative dans laquelle se trouvent les agents. Il fixe alors la quantité de défense nationale et répartit la charge.
L’État peut agir comme une superfirme. Il peut décider de nationaliser le bien et de l’offrir gratuitement aux usagers. En contrepartie, il rationne son utilisation, afin d’éviter la surexploitation. C’est la solution défendue par Garret Hardin. L’État doit prendre en charge la production de ces biens lorsque la somme des coûts de transaction et des gains provenant de la baisse des prix est supérieure à la somme des pertes provenant d’une consommation excessive du bien et des distorsions fiscales.
La théorie de la structure gouvernementale optimale défend la répartition des tâches entre les différents niveaux d’administration publique. Cette théorie s’est développée autour du théorème d’Oates qui stipule que chaque service public devrait être fourni par la juridiction exerçant un contrôle sur le territoire géographique minimum permettant d'internaliser les avantages et les coûts d'un tel service. Ce théorème suppose des décideurs publics bienveillants.
Le théorème d’Oates définit la taille du groupe par le principe de non-rivalité. La non-rivalité est spatiale. Elle définit la structure optimale en 5 critères:
- Chaque bien collectif doit correspondre aux quantités préférées par les citoyens qui en bénéficient.
- Les économies d’échelle renvoient à la fois à la théorie des biens de club et du monopole naturel. S'il n'y a pas d'économies d'échelle, de rendements croissants, il n'est pas nécessaire d'élargir la taille de la juridiction, car produire plus ne signifie pas produire à moindre coût. Cela est favorable à la production locale du bien collectif.
- Les effets de débordement sont une conséquence de la non-exclusivité. L’effet de débordement est une raison de la mise en œuvre d'un État unitaire ou du moins d'instances transnationales.
- L’effet de congestion est la conséquence de l’impureté de certains biens collectifs. Les biens collectifs impurs sont aussi des biens rivaux. Il y a rivalité lorsque l'augmentation de la taille des usagers provoque une baisse de la qualité du service collectif.
- Le coût de la décision collective. Plus on multiplie les niveaux de décision, plus les coûts de décision sont élevés. La centralisation réduit ces coûts alors que la décentralisation les favorise.
La sensibilisation et l'éducation sont importantes pour encourager la responsabilité individuelle et communautaire envers les biens collectifs. Les individus doivent être informés des impacts de leurs actions sur les biens collectifs et sur la communauté dans son ensemble. Des campagnes de sensibilisation et d'éducation peuvent également aider à promouvoir un engagement communautaire et un sentiment de responsabilité partagée.
En conclusion, la résolution des dilemmes sociaux en présence de biens collectifs est un défi important pour les sociétés modernes. Pour y faire face, des conditions favorables telles que la coopération, la communication, la réglementation et l'application de la loi, et la sensibilisation et l'éducation sont essentielles. En promouvant une approche communautaire et responsable envers les biens collectifs, les sociétés peuvent protéger ces ressources précieuses pour les générations futures.
Q.16 Pourquoi les solutions décentralisées peuvent être plus efficaces pour gérer la question du dérèglement climatique que les solutions publiques ?
Les solutions publiques à la question du climat sont vouées à l’échec pour plusieurs raisons.
- Pour traiter du changement climatique sur la base d’une solution publique et centralisée, il est nécessaire que les scientifiques et les décideurs soient en possession de la connaissance nécessaire pour agir et qu’ils aient de bonnes intentions. Ces deux conditions ne sont pas remplies dans l’ordre politique réel.
- La connaissance nécessaire pour agir n’est pas accessible car l’ordre naturel et le climat sont des systèmes complexes, ouverts, avec des millions d’interactions. Les gouvernements ne peuvent pas agir sur la base d’un modèle *moyen-fin* : si je fais A, j’obtiendrai B; le résultat est indéterminé, imprévu.
- Tous les pays qui ont utilisé la planification ont eu des bilans environnementaux catastrophiques. Le volontarisme du planificateur peut rassurer, mais il ne garantit pas l’efficacité. Dans le cas du climat, il est juste de dire que malgré les COP et les plans de réduction des émissions de Gaz à effet de serre, le volume de ces émissions a continué d’augmenter durant les 50 dernières années.
- La planification et plus généralement les solutions publiques taxent et réglementent pour substituer aux actions et aux dépenses privées des choix et des dépenses publiques. La conséquence est une restriction plus ou moins drastique des libertés individuelles. Cette moindre liberté individuelle nourrit un désintérêt pour la recherche de solutions privées, étouffe l’esprit d’entreprise et les innovations. Si l’innovation est une partie de la solution, l’entrepreneuriat vert et la liberté économique ne doivent pas être entravés par des réglementations et des taxes trop élevées.
- Bien collectif global. Chaque pays pris indépendamment a intérêt à ce que les autres réduisent leurs émissions mais pas lui, afin d’éviter les pertes de bien-être et de croissance que de telles restrictions provoqueraient pour ses citoyens.
La première condition favorable à la mise en œuvre de solutions privées est la confiance dans la société civile et les institutions de la liberté. Ces institutions constituent un préalable au travail vertueux de l’intelligence collective des ordres privés : intelligence collective beaucoup mieux adaptée à la gestion des ordres complexes que ne l’est l’intelligence d’hommes singuliers. Il faut accepter de décentraliser afin de réduire les problèmes à des choix simples et adaptés aux problèmes locaux. L’interaction entre les deux ordres humains et naturels explique pourquoi ces petites solutions locales auront des effets globaux.
Les individus soucieux de l’écologie sont prêts à payer pour qu'ils modifient leurs choix, sans recourir aux fonds publics (impôt), mais sur leurs propres ressources. Ces solutions locales rappellent que de nombreux changements climatiques ont une dimension mondiale (bien collectif mondial), mais que leurs causes opèrent à une échelle bien inférieure. Cela explique la pertinence, poursuit Elinor Ostrom, du slogan mentionné plus haut : « penser global, agir local ». Un tel principe donne la bonne réponse. La seule solution durable au changement climatique est un changement des activités quotidiennes des individus. Toutes les initiatives des entreprises qui recyclent, l’augmentation de l’efficacité énergétique pour réduire les factures d’énergie, la réduction de la consommation d’eau, le passage de sources de combustibles extractibles coûteuses à des sources d'énergie renouvelables moins coûteuses apparaissent comme des solutions concrètes et viables. Ces solutions sont, aussi, la conséquence de la prise de conscience au niveau individuel de l’intérêt qu’il y a à réduire sa consommation de ressources (prix) et de la valeur qu’une partie de la population attribue à une nature préservée et à un climat stabilisé. « Toutes ces décisions à petite échelle permettent de réduire les émissions de GES et de traiter à la racine le problème. » (Ostrom 2012)
Q.17 Comment justifie-t-on l’idée que la dynamique des dépenses publiques a des raisons idéologiques ?
L’idéologie renvoie à une forme non instrumentale de rationalité. Les individus, les électeurs, ne défendent pas leurs intérêts, mais une représentation du monde. Tout ce qui provoque une modification de l’idéologie en faveur ou en défaveur de la dépense publique aura aussi un effet sur la dynamique des dépenses publiques.
L’idéologie politique est la représentation que les individus se donnent de la manière dont le monde fonctionne, mais aussi de la manière dont il devrait fonctionner (Jost et al. 2009). L’idéologie justifie l’ensemble des croyances et des valeurs des citoyens. Elle légitime leurs préférences.
Quand l’idéologie politique des électeurs devient plus favorable aux thèses socialistes, elle légitime la croissance de la dépense publique et la socialisation d’une plus grande partie des richesses disponibles (Pickering et Rockey, 2012). On s’attend ainsi à ce qu’un parlement plus à gauche accélère la croissance des dépenses publiques.
L’idéologie majoritaire n’est cependant pas la seule à avoir un effet sur la dynamique des dépenses. La concurrence entre les idéologies peut favoriser des rapprochements et des logiques de compromis. Cette idée place au cœur la question de la polarisation idéologique. On dit que la scène politique est fortement polarisée lorsqu’elle est bipolaire et qu’elle s’organise sur des bases programmatiques très différentes.
La polarisation idéologique favorise la dette publique et a un effet différencié sur le volume et la structure des dépenses selon l’idéologie politique du gouvernement sortant et sa probabilité de gagner les élections. Un gouvernement sortant de gauche peut être tenté d’augmenter très fortement les dépenses sociales afin de provoquer un effet d’asymétrie et d’obliger le parti libéral entrant à assumer ses choix.
L’autre champ qui s’est ouvert autour de cette question de l’idéologie est celui de sa dimension identitaire. L’idéologie politique contient des valeurs identitaires plus ou moins fortes par rapport à l’étranger. Ces valeurs peuvent avoir des effets sur la demande de transferts sociaux et de biens publics en général.
Kristoc et al. (1992) développent le concept d’affinité sociale pour expliquer la croissance ou la décroissance des dépenses publiques. Les individus vont être plus généreux avec ceux qui leur ressemblent qu’avec ceux qui ne partagent pas leur religion ou leur culture. La redistribution serait alors une fonction de la diversité ethnique. Le montant total des dépenses publiques serait négativement lié à la diversité ethnique du pays.
L’immigration devient, dans ces conditions, un problème pour l’État-providence. L’hypothèse inverse est cependant envisageable. Les dépenses du gouvernement seraient plus fortes dans les régions où les minorités sont fortes et l'instabilité sociale plus élevée que dans les régions homogènes. Les dépenses publiques de transferts deviennent un moyen d’acheter la paix sociale.
Cette relation entre diversité culturelle et dépenses publiques inspire toute la littérature sur la relation entre dépenses publiques et confiance. Il existerait une relation négative entre confiance et diversité ethnique. La confiance sociale réduit les phénomènes de passager clandestin et augmente la probabilité d'avoir des biens collectifs.
Il y a aussi l’évolution des idéologies. La guerre est généralement traitée comme un facteur important d'évolution des idéologies. Elle serait favorable à la croissance des dépenses publiques, car elle crédibiliserait les positions des tenants du dirigisme économique. L’effet Peacock-Wiseman décrit cet effet.
La guerre installe l'économie dirigée et conduit à une importante désorganisation de l’économie de marché, ainsi qu'à la destruction des infrastructures et d'une partie du capital. L'État est à la fois l'origine de la destruction, car les conflits se font entre États, et sa solution. Durant la guerre, l'union nationale est décrétée autour du pouvoir politique. Il est logique de prévoir que lors de chaque guerre, la dépense publique augmente et qu'après les conflits, elle ne réussit pas à baisser. La dynamique des dépenses se ferait alors par étapes ou par sauts. La guerre rend les dépenses publiques plus acceptables aux yeux des électeurs.
Ce même effet existerait en présence de crises économiques. Elle aurait placé les citoyens dans un contexte favorable à un changement idéologique et finalement à la croissance des dépenses publiques.
Si on observe l’évolution des dépenses publiques des différents pays, on observe qu'elles relèvent de choix politiques. L'explication n'est pas systémique, elle est politique. Elle doit à la fois décrire la singularité d'un choix et se placer dans la généralité d'une théorie des décisions politiques. C'est bien ce que cherche à proposer la théorie des choix publics qui fait, comme son nom l'indique, de la dépense publique la conséquence d'une décision. Une décision a ses raisons. Ce sont ces raisons qu’il faut décrire et qui sont liées à l’idéologie des partis politiques.
Q.18 Expliquer la dynamique des dépenses publiques par la théorie de la recherche de rente et l’activité des groupes d’intérêt
Les dépenses publiques suivent une dynamique notamment selon la demande : la recherche de rente et l’activité des groupes d’intérêt font partie de cette demande.
Dans le cadre des dépenses publiques, la rente est définie comme la différence entre le revenu qu’on aurait obtenu sur le marché et ce que l’on va obtenir par le recours au gouvernement.
La demande des électeurs passe par l’action des groupes d’intérêt. Le montant des dépenses publiques n’est pas seulement l’expression de la souveraineté de la majorité du corps électoral, mais des montants des fonds investis dans l’influence politique des groupes d’électeurs les mieux organisés. Ils ont comme objectif d’influencer la nature et le volume des dépenses publiques pour qu’elles soient à leur avantage, c’est-à-dire qu’elles maximisent leur rente.
À la question qui gouverne?, la réponse n’est pas l’électeur médian ou la majorité, mais les groupes d’intérêt les mieux organisés. Chaque groupe d’intérêt demande de hauts niveaux de subvention et de bas niveaux d’imposition.
Les groupes d’intérêt les plus actifs sont:
- Les associations autour des services de santé.
- Les propriétaires des sociétés d’aviation.
- Les syndicats ouvriers.
- Les chômeurs.
- Les retraités.
- Les familles qui cherchent à déplacer une partie des dépenses d’éducation de leurs enfants sur la société.
- Les fonctionnaires et leurs syndicats.
- Les firmes qui tentent d’obtenir des responsables politiques des aides en contrepartie d’emplois et de soutien durant les campagnes (Lewis-Beck et Rice, 1985).
La théorie de la rente et les groupes d’intérêt défendent que le volume et la structure des dépenses publiques dépendent, pour ces raisons, de la manière dont les intérêts des électeurs sont organisés et non seulement du poids électoral de ces intérêts.
La traduction politique la plus flagrante de cette activité des groupes sur la dynamique des dépenses est la fragmentation politique des gouvernements. Plus les groupes sont nombreux, plus le nombre de ministres et de secrétaires d’État est élevé. Chaque profession a réussi à être représentée par un ministère, qui devient son relais auprès des parlementaires et des responsables gouvernementaux pour défendre sa demande de biens privés financés sur fonds publics (Wingast, Shepsle et Johnsen, 1983). Dans ce contexte, la hausse du nombre de ministres et de secrétaires d’État dans un gouvernement est la conséquence de l’activité des groupes d’intérêt.
Chaque groupe perçoit l’impôt comme un bien commun. Il faut déplacer les bénéfices vers ses intérêts. Chaque groupe est guidé par un principe d’économicité. Ils peuvent se coaliser afin d’exploiter au maximum les électeurs mal ou non organisés. Les électeurs mal organisés sont ceux qui ont des coûts d’action collective prohibitifs. Ils ont des intérêts latents, mais non organisés. Leurs intérêts ne sont pas représentés.
Généralement, les groupes de producteurs sont plus performants dans leur capacité à saisir des fonds publics que les groupes de consommateurs. Ils réussissent à la fois à manipuler la loi et le budget de l'État (Shugart et Tollison, 1986). La loi et la dépense publique doivent être interprétées comme des instruments d'externalisation des coûts de choix privés sur le grand nombre des citoyens non organisés (Shugart et Tollison, 1986, p. 113). Le contrôle de la loi permet le contrôle des budgets et la manipulation de la répartition des richesses disponibles. La loi se transforme en simple réglementation. Shugart et Tollison suggèrent ainsi que la croissance des dépenses publiques suppose au préalable le vote d'une loi. Plus de lois, alors, devraient correspondre à plus de dépenses, car le nombre des lois est la traduction de l'activité des groupes d'intérêt et *in fine* de leur demande de transferts publics.
Q.19 Expliquer la dynamique des dépenses publiques par la maladie des coûts (loi de Baumol) ou l’inefficience bureaucratique
L’État n’a pas intérêt à voir ses coûts de production augmenter, car la demande de biens publics baisserait. Ce n’est que dans les cas où la demande de biens publics est inélastique au prix fiscal (impôt) que la hausse des coûts des biens publics réduit la demande. C’est ce qu’envisage la loi de Baumol. La hausse des dépenses publiques est la conséquence d’une hausse inéluctable des coûts des services publics.
La loi de Baumol repose sur la théorie de la maladie des coûts. Cette théorie n’est pas initialement construite pour expliquer la hausse des dépenses publiques, mais la baisse de la productivité de la combinaison productive. La tertiarisation de l’économie explique la baisse globale des gains de productivité et *in fine* la baisse des taux de croissance dans les économies développées. La baisse de la croissance s’explique finalement par le développement de secteurs d’activité où l’accumulation n’est pas possible, et qui restent alors très intenses en travail.
Baumol (1967) adapte ce raisonnement pour expliquer la croissance de la part des services publics dans la production totale. Sa démonstration repose sur un modèle d’économie à deux secteurs, où les gains de productivité du travail sont inégaux, mais où la rémunération de l’ensemble des salariés s’aligne sur celle du secteur le plus productif. Dans un tel monde, le coût relatif unitaire des produits des secteurs les moins productifs tend à augmenter mécaniquement. Si l’élasticité-prix des secteurs où les gains de productivité sont plus faibles est forte, la demande pour ces biens tend à baisser et leur production disparaît. Si l’élasticité-prix est faible, leur consommation accapare une part de plus en plus forte des revenus.
Les dépenses publiques sont généralement des services. Elles sont exposées à la maladie des coûts. Le différentiel de productivité est toujours défavorable aux activités du secteur public. Les sociétés riches accepteraient, pour améliorer les services (éducation, santé, culture), d’utiliser les gains de productivité dans l’industrie et l’agriculture pour financer les services publics en particulier.
La figure suivante montre l’importance, dans le raisonnement de Baumol, de l’hypothèse d’inélasiticité de la demande des services publics à l’augmentation de leur prix fiscal
- Si la demande est inélastique, la dépense publique augmente mécaniquement (effet 1).
- Si la demande est élastique, la hausse des coûts de la dépense publique provoque, en revanche, une baisse de la demande de biens publics (effet 2).
Indépendamment de l’hypothèse d’inélasiticité de la demande, qui peut paraître irréaliste, la loi de Baumol a été critiquée pour plusieurs raisons:
Dans la théorie de la « maladie des coûts », les dépenses publiques sont par nature moins productives. Le maintien des services publics a alors comme conséquence une hausse des dépenses publiques, indépendamment de la manière dont l'organisation publique contrôle l'opportunisme de son administration.
- Le secteur public bloque l’innovation. L’écart entre productivité dans le public et productivité dans le privé va augmenter. Le déplacement décrit dans la figure n’est plus la traduction d’une maladie des coûts, mais d’une captation par les agents publics d’un surplus. Il montre l'inefficacité de l'administration publique, qui profite de sa position de monopole pour augmenter artificiellement les coûts de production des biens publics. Il y a bien augmentation des dépenses publiques par les coûts, mais cette hausse est la conséquence des surcoûts artificiels d'une administration publique en situation de monopole.
Q.20 Comment les coûts de perception de l’impôt influencent-ils l’évolution des dépenses publiques ? (Manuel Chapitre 3 Section 2.3 + la description faite en cours des coûts directs de l’impôt : coût de mise en conformité, coût d’administration et coût de lutte contre la fraude fiscale).
Q.21 Croissance des dépenses publiques et déconsolidation démocratique
La relation démocratie - dépenses publiques repose sur l’idée que la démocratie donne le pouvoir aux bas revenus et que les bas revenus vont alors profiter de la loi de la majorité pour mettre en œuvre un système de redistribution qui leur est favorable et qui est à la charge des hauts revenus.
L’autre volet de la littérature qui analyse la relation démocratie - dépenses publiques consiste à traiter des effets des inégalités de richesse sur l’origine et la soutenabilité de la démocratie.
Est-ce que la socialisation est à l’origine de la déconsolidation des démocraties modernes ou est-ce l’inverse?
Plusieurs signes de déconsolidation de la démocratie sont perçus : manque d’attractivité auprès des pays ayant des régimes autoritaires, depuis 2000 au moins 25 pays ont cessé d’être des démocraties, et quelques pays voient leur indicateur de liberté politique décliner.
Aussi, dans les grandes démocraties comme les États-Unis, l’idée que seul un régime démocratique est viable est en recul (Mounk et Foa 2016). Une partie des habitants des pays riches seraient attirés par des idéologies plus radicales, plus autoritaires.
On observe une montée des populismes. La liste des pays émergents dirigés par des populistes ne fait d’ailleurs que s’allonger.
La première famille d’explication de ce phénomène post-chute du mur de Berlin (1989) s’inspire des débats sur la montée des totalitarismes dans les années 30. Cette explication reprend l’hypothèse développée par Karl Polanyi dans son livre La Grande Transformation. Le capitalisme est instable et crée les conditions d’un régime autoritaire. Le capitalisme menace de mort la démocratie (Levitsky et Ziblatt, 2018), car la classe capitaliste ne distribue des droits politiques que si cela sert ses intérêts. La consolidation et la déconsolidation démocratique sont la conséquence des calculs des élites économiques.
À l’origine de la déconsolidation démocratique, il y aurait:
- Le capitalisme. Le super-capitalisme ou le capitalisme global serait source d’inégalités, d’insécurité du travail, d’accélération du réchauffement climatique et *in fine* de déconsolidation de la démocratie, car la concurrence mondiale que se livrent les entreprises les oblige à faire pression sur les gouvernements contre les intérêts des travailleurs et finalement des électeurs qui ne sont plus souverains en démocratie (Reich 2007). Avec les crises et le déclin de la croissance économique, les électeurs se désintéressent de la démocratie et se tournent vers d’autres régimes politiques.
Les taux de croissance plus faibles. Le déclin de la croissance a l’effet opposé et symétrique de la croissance des années d’après-guerre sur la consolidation des démocraties. La rapide augmentation des niveaux de vie pour les gens ordinaires avait consolidé la démocratie. La faible croissance a l’effet inverse. Cet effet est d’autant plus fort que la répartition des richesses est perçue comme inégalitaire.
La mondialisation. La conséquence de la généralisation des politiques de libre-échange empêcherait les politiques de redistribution, une grande partie des revenus fuyant dans les paradis fiscaux et à l’étranger, l’autre partie menaçant les gouvernements de quitter le pays. La mondialisation limite le pouvoir redistributif des gouvernements et réduit ainsi l’intérêt des électeurs pour leur action et la démocratie.
- De fortes inégalités.
Cette thèse n’est cependant pas soutenue par tous les économistes. La position inverse existe qui défend que le capitalisme est une condition nécessaire mais non suffisante de la démocratie. L’hypothèse d’Hayek-Friedman estime qu’une société politiquement libre doit être économiquement libre. Le capitalisme apparaît comme une condition nécessaire des libertés politiques. Il n’est pas une condition suffisante. L’histoire suggère seulement que ce sont les pays qui ont adopté le socialisme réel qui sont devenus totalitaires et non l’inverse (Farrant and Mc Phil 2009).
Il existe en effet en moyenne une relation positive entre libertés économiques et libertés politiques. On peut observer au niveau international que dans le modèle européen, la liberté économique et la liberté politique sont élevées. Dans le modèle africain, au contraire.
Les données présentées par Lawson et Clark (2010) indiquent sur la période 1990-2005 que presque tous les pays qui ont violé l’hypothèse Hayek-Friedman dans le passé ont évolué vers le libre marché et non vers le totalitarisme politique.
La conséquence pour la relation dépenses publiques - démocratie est que plus les dépenses publiques augmentent, moins les libertés économiques sont respectées via la hausse des impôts et la baisse des choix de consommation des individus, et plus la démocratie est menacée. Ce ne serait pas le libéralisme économique qui menacerait la démocratie, mais l’inefficience des politiques publiques qui éroderait la croissance économique et les conditions d’une vie industrieuse et pacifique autour d’un consensus qui aurait pour fondement les valeurs bourgeoises du confort et du progrès économique. Cette conclusion s’accorderait avec les positions d’Hayek-Mises. La démocratie favorise la socialisation des processus d’affectation des ressources rares et de fortes restrictions sur les libertés économiques. Ces restrictions sont à l’origine du lent processus de déconsolidation démocratique et de la mise en œuvre d’un régime autoritaire. La solution est de renforcer la constitution afin de limiter la capacité d’expropriation des gouvernements et de mieux protéger la souveraineté individuelle contre l’arbitraire des décisions politiques.
Q.21 L’actualité de l’hypothèse de Tocqueville. La démocratie est-elle favorable à la redistribution et in fine à la croissance des dépenses publiques ?
Q.22 Comment les règles électorales influent-elles sur la dynamique des dépenses publiques des États ?
Les dépenses publiques des États dépendent du gouvernement. Ce gouvernement est élu en démocratie par un système électoral qui peut différer d'un pays à l'autre.
Le système électoral dans ses grandes lignes se compose des règles électorales, de la structure des scrutins et de l’accès au droit de vote.
Maurice Duverger a initié l’étude des effets des règles électorales sur le nombre de partis. La loi de Duverger a inspiré une importante littérature sur l’effet de la polarisation et de la fragmentation politique sur les choix de politique publique, et le niveau des dépenses publiques en particulier.
Il a observé que la règle majoritaire favorisait la polarisation de la vie politique autour de deux partis, alors que le système proportionnel induisait une plus grande fragmentation.
Impact sur la Dynamique des Dépenses Publiques
Comment cela affecte-t-il la dynamique des dépenses publiques?
Le système proportionnel favoriserait la fragmentation politique des gouvernements et *in fine* plus d’impôts, plus de dettes et plus de dépenses publiques. Il modifierait aussi la structure des dépenses publiques. Parce qu'une fragmentation politique signifie qu'il y a beaucoup de partis dans le gouvernement qui défendent les intérêts des différents groupes. Donc la demande de dépenses publiques sera plus grande car elle s’étendra et se diversifiera.
Aussi, si nous regardons les types de biens publics, on peut distinguer entre les biens collectifs, consommés par l’ensemble de la communauté nationale, et les biens publics qui ne sont consommés que par un petit groupe.
Sous un régime de vote à la majorité, les responsables politiques doivent obtenir le maximum de voix. Ils sont incités, dans ces conditions, à produire des biens collectifs, ou plus précisément des biens qui sont consommés par la majorité du corps électoral.
Au contraire, dans un régime proportionnel, ce qui permet de garder le pouvoir c’est la formation d’une coalition de gouvernement. La survie de l'exécutif passe par le marchandage politique entre partis politiques. Le vote à la proportionnelle fragmente les gouvernements et les incite à acheter la stabilité gouvernementale par la production de biens publics spécifiques, c’est-à-dire uniquement consommés par une petite partie de la population.
On peut observer que la structure a des effets relativement similaires.
La plupart du temps, la règle majoritaire est associée à un système où l'électeur vote pour un candidat qui sera le représentant d'un territoire, sa circonscription. Dans un scrutin où l'électeur vote pour un candidat dans chaque circonscription, le gouvernement sortant sait que pour rester au pouvoir, il doit obtenir 50 % des voix dans chaque circonscription. Il lui suffit alors de gagner 25 % des voix pour gagner les élections, car il lui suffit de gagner 50 % de la moitié des circonscriptions pour être majoritaire au parlement et former un gouvernement (Buchanan et Tullock, 1962). Il est probable qu'un tel régime favorise des lois de finances qui utilisent les dépenses publiques pour acheter les voix des 25 % d'électeurs qui permettront au gouvernement de rester au pouvoir. La conséquence est une dépense publique ciblée localement et non une dépense publique accessible au plus grand nombre.
À l'inverse, dans un système proportionnel à scrutin de liste, le calcul du gouvernement est différent. Il sait que pour rester au pouvoir, il doit gagner 50 % du total des voix et/ou former une coalition qui lui permet d'avoir une majorité au parlement (Persson et Tabellini, 2003). Il va alors proposer des choix financiers qui servent l'intérêt des membres des partis minoritaires qui forment sa coalition, et/ou qui servent la majorité des électeurs; des politiques de transferts sont plus probables dans ce type de régime électoral.
Persson et Tabellini (2003) trouvent que le système électoral a des effets statistiquement significatifs sur de nombreux agrégats macroéconomiques pour un échantillon de quatre-vingt-cinq pays, sur la période 1960-1998. Ils trouvent que:
- Dans un système majoritaire, les dépenses publiques sont en moyenne inférieures de 3 % du PIB de ce qu'elles sont dans les régimes proportionnels.
- Les dépenses sociales (« État-providence ») sont aussi plus faibles de 2 à 3 %. Les déficits budgétaires sont aussi plus faibles de 2 % dans les régimes majoritaires.
Ils observent, de plus, que les pays qui possèdent des circonscriptions de petite taille sont aussi des pays où la corruption est plus forte et que, dans les pays où le nombre de voix nécessaires pour être élu (proportion entre nombre d’élus et nombre d’électeurs) est plus élevé, le PIB par habitant est plus faible.
Iversen et Soskice (2006) contestent, cependant, la pertinence de ces analyses en mettant en évidence l'existence d'un biais de variable omise. Ils partent d'un constat : entre 1945 et 1998, la plupart des pays ayant adopté une règle majoritaire sont dirigés par des gouvernements de centre droit. À l'inverse, les pays qui votent sur la base d'une règle proportionnelle étaient, sur cette période, plutôt centre gauche. Il n'est pas impossible, alors, que l'effet observé des règles électorales sur la composition des dépenses publiques ne soit que la conséquence de l'idéologie des gouvernements, et non des règles électorales. La redistribution des richesses devient la conséquence d'un engagement électoral.
Il n’est pas impossible non plus que la causalité soit inversée, c’est-à-dire que le nombre de partis détermine le système électoral et vice versa.
Q.23. Les critiques adressées par l’école classique à la théorie du multiplicateur Keynésien
La théorie du multiplicateur keynésien est une théorie économique élaborée par John Maynard Keynes dans les années 1930. Elle postule que les dépenses publiques peuvent stimuler l'économie en créant une demande supplémentaire, qui à son tour, entraînera une augmentation des revenus, des profits et de l'emploi. Cependant, cette théorie a été critiquée par l'école classique qui a avancé plusieurs faiblesses du multiplicateur keynésien.
Faiblesse du Multiplicateur et Effets d'Éviction
L'une des principales critiques adressées par l'école classique à la théorie du multiplicateur keynésien est la faiblesse du multiplicateur de dépenses publiques et le cercle vicieux de la dette. En effet, l'augmentation des dépenses publiques peut entraîner une augmentation de la dette publique, ce qui peut à son tour entraîner une augmentation des taux d'intérêt. Cette augmentation des taux d'intérêt peut alors entraîner une réduction de la demande privée, ce qui annule l'effet initial des dépenses publiques. De plus, l'effet multiplicateur des dépenses publiques est conditionné par plusieurs facteurs tels que la disponibilité des stocks, les capacités oisives de production et les goulots d’étranglement. Si ces conditions ne sont pas remplies, l'effet multiplicateur des dépenses publiques sera limité.
En outre, les effets d'éviction peuvent également limiter l'efficacité des dépenses publiques. Par exemple, une augmentation des dépenses publiques peut entraîner une augmentation des taux d'intérêt, ce qui peut réduire les dépenses d'investissement privé. De même, une augmentation des impôts pour financer les dépenses publiques peut réduire le revenu disponible des ménages, ce qui peut réduire la consommation privée.
Anticipations et Loi Psychologique
Enfin, les anticipations rationnelles peuvent également limiter l'effet multiplicateur des dépenses publiques. Si les agents économiques anticipent une augmentation des impôts futurs pour rembourser la dette publique, ils peuvent décider de réduire leur consommation privée dès maintenant, ce qui réduit l'effet multiplicateur des dépenses publiques.
Cependant, la validité de la loi psychologique fondamentale de la consommation peut également jouer un rôle dans l'effet multiplicateur des dépenses publiques. Selon cette loi, plus les revenus sont élevés, plus la propension à consommer est faible. Ainsi, si les dépenses publiques visent à augmenter les revenus des ménages à faible revenu, cela peut entraîner une augmentation significative de la consommation privée et donc de l'effet multiplicateur des dépenses publiques.
Il est important de souligner que la validité de la loi psychologique fondamentale de la consommation n'est pas un facteur universel et peut varier en fonction des circonstances économiques. Par exemple, dans une économie où les ménages ont une épargne faible et une forte propension à consommer, une augmentation des dépenses publiques peut entraîner une augmentation significative de la consommation privée et de l'effet multiplicateur. À l'inverse, dans une économie où les ménages ont une forte épargne et une faible propension à consommer, l'effet multiplicateur des dépenses publiques peut être limité.
En outre, l'effet multiplicateur des dépenses publiques peut également varier en fonction de la composition des dépenses publiques. Par exemple, les dépenses publiques qui sont dirigées vers des investissements productifs tels que l'infrastructure et l'éducation peuvent avoir un effet multiplicateur plus important que les dépenses publiques qui sont destinées à des transferts sociaux tels que les allocations et les prestations.
En somme, bien que la théorie du multiplicateur keynésien ait été critiquée pour ses limites et ses faiblesses par l'école classique, il est important de prendre en compte les conditions restrictives et les circonstances économiques pour maximiser l'efficacité de la politique budgétaire.
Q.24 La courbe de BARS
La doctrine classique et le modèle keynésien conduisent à des positions opposées. La dépense publique a donc probablement des effets positifs et négatifs. La théorie de l'État régalien conduit, de plus, à penser que si l'État protège les droits de propriété et fait respecter les contrats librement consentis, il est probable qu'il limite les coûts de l'échange et *in fine* sert l’objectif d'efficience. Dans un tel cadre, cependant, si l'État va au-delà de ses fonctions régaliennes, il est vraisemblable que son action ait plutôt un effet négatif. Il est naturel, dans ces conditions, de faire l’hypothèse d'une relation non linéaire entre dépenses publiques et croissance économique.
C'est ce que propose la courbe de BARS. L’acronyme BARS renvoie aux noms de quatre économistes américains:
- B pour Robert Barro (1990)
- A pour Dick Armey (1995)
- R pour Richard W. Rahn (1996)
- S pour Gerald W. Scully (1995)
Il existe différentes versions:
- La plus simple est présentée par Dick Armey. Il défend qu’il existe une relation non linéaire entre la croissance de l’État et la liberté individuelle.
Il défend la position classique. L’État crée l’ordre, les conditions pour la prospérité. Trop d’État nuit au bien-être général et établit une forme de tyrannie. Il y a un point au-delà duquel l’État outrepasse ses fonctions.
- Vedder et Gallaway (1998), de leur côté, remplacent le bien-être social par le taux de croissance réelle du PIB et mesurent la taille de l'État par le ratio dépenses publiques sur PIB. La dépense publique et la croissance du PIB par habitant entretiennent une relation en U inversé.
Ce point au-delà duquel la relation commence à décroître correspond à la situation où la différence entre les bénéfices bruts de la dépense publique et les coûts sont maximaux.
Au-delà de G*, les coûts de l'euro public supplémentaire en matière de croissance de la production sont supérieurs aux bénéfices, autrement dit aux gains de productivité induits par cette dépense.
- Certains individus refusent de produire pour consommer des biens dont ils n’ont pas besoin. La dépense a ici l’effet désincitatif de l’impôt.
- D'autres investissent en politique pour réaffecter l'impôt à des usages qui correspondent à leurs préférences. Ils investissent en politique en achetant des programmes, en influençant les débats, en produisant des informations persuasives et en sélectionnant les candidats, afin de s'assurer qu'ils seront favorables à leurs attentes. Ces investissements sont importants, car contrairement à un contrat marchand, il faut convaincre une multitude de partis pour constituer une majorité et l’emporter.
Plus l’État intervient, plus il est difficile aux individus de réaliser leurs plans. Plus ils vont réduire leur niveau de production, et/ou investir en politique pour limiter leur perte de souveraineté et réaliser leurs projets à travers les choix de politiques publiques.
Q.26 Des raisons des réformes dans les pays développés
Pourquoi les pays ont-ils engagé des réformes? L’économie politique des réformes a tout d’abord cherché à répondre à cette question en replaçant les décideurs publics dans leur contexte.
On peut trouver des contextes plus ou moins favorables à la réforme. Nous allons nous concentrer sur les raisons des politiques de privatisation et des réformes structurelles du secteur public.
Dans une crise des finances publiques, c’est-à-dire une hausse des déficits publics et de la dette publique, les gouvernements adopteront une réforme. Le programme de privatisation est un moyen de rétablir l’équilibre des finances publiques et de réduire l’endettement. L’effet bénéfique de ces programmes sur les finances publiques est transmis par les fonds collectés grâce à la vente du capital public, la croissance économique qui favorise la hausse des recettes fiscales et la baisse des gaspillages administratifs induits par le changement de régime de propriété.
Dans les pays européens, le traité de Maastricht impose des critères et une politique monétaire qui renforcent la discipline budgétaire des pays. Ils doivent donc adopter des politiques pour respecter les contraintes établies.
Il y a deux types de règles budgétaires qui vont être plus ou moins favorables à l’austérité (et donc à un type de réforme ou autre):
- Budgétisation ascendante : les ministres construisent leurs budgets avec un niveau de liberté relativement élevé. Ils soumettent leurs demandes budgétaires à la direction des finances. Le ministre des Finances est le grand argentier. Il est le garant des équilibres financiers et cherche toujours à ajuster les demandes des différents ministères pour réaliser ses objectifs financiers. La baisse des dépenses publiques de l'État central repose sur ses compétences et sa capacité à prendre le dessus sur les ministres dépensiers. La procédure budgétaire oppose un ministre des Finances garant de l'équilibre des comptes de l'État et des ministres dépensiers (Imbeau, 2006).
- Budgétisation descendante : le ministre des Finances fixe de manière contraignante un objectif budgétaire. Il est plus économe en temps (moins d’allers-retours entre le ministère des Finances et les autres ministères). Il donne un rôle déterminant aux systèmes de prévision (il faut pouvoir planifier les finances publiques à moyen et long terme). Il conduit à modifier les règles d’utilisation des enveloppes budgétaires. Le ministère a une latitude d’action beaucoup plus grande. Cela favorise la mise en œuvre de plafonds de dépenses.
La mondialisation conduit à une très forte mobilité du capital et à intensifier la concurrence entre pays et leurs institutions. Pour répondre à la concurrence des autres États-Nations, chaque gouvernement doit démanteler les services publics les moins efficaces et rendre son pays attractif d’un point de vue fiscal et social. La mondialisation réduit donc la marge de manœuvre des gouvernements et oblige les États à baisser les dépenses publiques les plus improductives. Cela expliquerait en partie la convergence des politiques publiques de nombreux pays.
Aussi, les pays ont subi la grande crise de 1929 (discréditant le capitalisme), la stagflation des années 1970 (discréditant les programmes keynésiens), la stagnation de nombreuses économies développées à la fin des années 1970 et la baisse des dépenses publiques dans de nombreux pays (car au-delà d’un certain niveau de dépense, le secteur devient improductif). Ces événements donnent une information nouvelle qui provoque un changement, car l’individu prend conscience de ses erreurs. On observe que les programmes de privatisation et la baisse des dépenses publiques apparaissent donc généralement dans les pays les plus touchés par la crise et les défaillances publiques.
Autre explication : une fois les réformes engagées dans certains pays, un processus de diffusion et d’émulation internationale peut s’engager. Les expériences étrangères étendent le champ des possibles politiques et réduisent les coûts de justification de la réforme. Ce processus de diffusion et d’émulation sera d’autant plus fort qu’il sera relayé par le discours des organisations internationales.
Le rôle de l’entrepreneur politique est très important. C'est ce leader qui met à la disposition du public un argumentaire qui va emporter ou non la conviction du plus grand nombre à réaliser la réforme. Un responsable politique charismatique peut populariser des idées peu crédibles uniquement sur la qualité de sa rhétorique, et de son apparence.
Argumentaires Favorables à la Baisse des Dépenses
Les arguments utilisés par l’entrepreneur politique sont:
- Une dépense publique trop importante limite le consentement à l’impôt, car un contribuable ne peut consentir à un impôt qu’il ne veut pas payer.
- L'impôt induit par la dette transfère des revenus de ceux qui ne sont pas encore nés vers ceux qui vivent aujourd’hui. L'impôt externalise des coûts d'une génération sur une autre. Un impôt juste est incompatible avec une dette publique de 100 % du PIB.
- De fortes dépenses publiques ont un effet négatif sur la croissance économique mais aussi sur l’emploi et le chômage.
- La hausse des dépenses publiques crée un risque de crise de la dette souveraine. Les politiques d’austérité sont une réponse à cette crise d’insolvabilité des États.
- La baisse des dépenses publiques peut se justifier par l’amélioration de la productivité des services publics.
- Il n’existe aucun lien entre le bonheur et la dépense publique. La dépense publique n’est pas une condition nécessaire du bonheur. Initialement, la croissance des dépenses publiques allait de pair avec l’amélioration des indicateurs de conditions de vie, ce n’est plus le cas.
Tous ces résultats peuvent devenir des arguments en faveur d'une politique de baisse des dépenses publiques. La dépense publique, lorsqu'elle est excessive, nuit aux libertés économiques via l’impôt, favorise le chômage de masse, pèse sur les choix des générations futures sans avoir leur consentement, fait prendre le risque d'une grande crise, gaspille des ressources rares, n’augmente pas le bonheur national et n'a pas d'effets significatifs sur le bien-être social et la qualité de l'environnement en particulier.
Les décisions humaines ne sont pas fondées sur une représentation objective de la réalité, mais sur des croyances subjectives traversées par la passion, l’irrationnel. Cela signifie que la crise est un facteur favorable à la réforme, mais qu’elle doit être aussi accompagnée d’une idéologie.
Les individus ont une méfiance quasi naturelle pour la nouveauté. Ils vont, pour cette raison, toujours privilégier le *statu quo*. Lors d'une réforme, l'individu sait ce qu'il perd, le régime de redistribution actuel, mais il ne sait pas ce qu'il gagne à l'absence de redistribution. Il préfère alors le *statu quo*. Dans l’ignorance, il préfère que rien ne soit fait. Le biais de statu quo se transforme en biais d'omission. Les individus préfèrent ne pas choisir que de se tromper.
L’individu ne privilégie que les informations qui confirment ses croyances. (Désutilité). Les individus préfèrent, par conséquent, la consonance à la dissonance cognitive. Ils fuient les coûts de l’erreur. Cette attitude révèle, aussi, une attitude de la pensée qui ne cherche pas à savoir ce qui est, mais à s'assurer que le monde est bien ce que l'on croit qu'il est.
L'idéologie freine l’évolution institutionnelle en empêchant les individus de corriger leurs erreurs d'appréciation de ce qui est bon et mauvais pour la collectivité.