Conflits Sociaux : Dynamiques et Transformations
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Dans les sociétés modernes, on observe une multiplication des conflits sociaux, parfois ouverts et intenses. Un conflit social est un affrontement entre groupes sociaux opposés par leurs intérêts, positions ou idées, et ayant pour objet de modifier le rapport de forces existant entre les parties. Il met en jeu des acteurs regroupés, et a donc une dimension collective. La distribution inégale des ressources implique l’existence de conflits potentiels. Les conflits potentiels ne deviennent effectifs qu'à partir du moment où les groupes se mobilisent. Les conflits peuvent éclater soit pour combattre un changement, soit au contraire pour l’impulser.
Les Conflits Sociaux : Signe de Dysfonctionnement Social ou Facteurs de Cohésion ?
Le Conflit Social Vu Comme une Pathologie de l’Intégration
Pour Durkheim, le conflit est une menace pour la cohésion sociale. Il voit le conflit social comme le symptôme (résultat) d’une pathologie sociale liée, en particulier, à une excessive division du travail (source de désintégration) et à l’anomie (désorganisation sociale). Selon lui, c’est parce que les différentes classes ne savent plus quelle est leur place, ni leurs perspectives, qu’elles s’affrontent. Ainsi, le conflit est perçu comme une maladie sociale et résulte d’un défaut d’intégration.
Cette analyse a été prolongée par les fonctionnalistes américains, notamment Parsons. Ils ont une vision organique de la société, qui est constituée de plusieurs organes, chacun ayant une fonction. Le conflit est alors le dysfonctionnement d’un organe (en ce cas du système social), comme une pathologie, une maladie qui peut remettre en cause le bon fonctionnement du corps social.
Exemples de conflits sociaux considérés pathologiques : mai 68 (manifestations étudiantes) ou les émeutes des banlieues françaises en 2005.
Cependant, l’analyse du conflit comme forme pathologique connaît des limites. Nous retrouvons des conflits de façon régulière et donc il y a une régularité statistique et non pathologique. Cette analyse oublie que le conflit social peut être intégrateur.
Le Conflit : Une Relation Sociale qui Peut Être Source de Cohésion
Le conflit social peut contribuer à l’intégration de chacun des groupes en conflit :
- Le conflit renforce l’identité du groupe : l’opposition avec un groupe permet de définir les traits caractéristiques du groupe.
- Le conflit renforce la cohésion du groupe : le sentiment d’appartenance et la solidarité au sein du groupe sont renforcés.
- Le conflit renforce les liens sociaux au sein du groupe : le conflit mène à des actions collectives qui créent des liens entre les membres.
Selon Simmel, le conflit social relie ses adversaires entre eux puisqu’il faut qu’ils se mettent d’accord sur l’enjeu de la lutte et reconnaissent leurs opposants. Le conflit met en relation des groupes opposés, les oblige à parler, négocier et donc favorise l’intégration sociale.
Au travers du conflit, les individus veulent être reconnus et s’intégrer, ou changer le rapport des forces, mais pas uniquement se révolter.
Les Conflits Sociaux et le Changement Social : Moteurs de Transformations ou Résistances au Changement ?
Action Collective et Mouvement Social
Action collective : phénomène social de protestation et de revendication afin d’atteindre certains objectifs.
Mouvement social : type particulier d’action collective, il s’agit d’un ensemble de réseaux informels construit sur des valeurs partagées et sur la solidarité, qui se mobilise au sujet d’enjeux conflictuels.
Les Conflits Comme Moteurs de Changement Social
Le conflit peut être associé au changement social à travers l’apparition de nouveaux groupes sociaux ou des changements de régime politique. Chez Marx, le conflit a pour fonction de transformer la société en faisant de la lutte des classes le moteur du changement social par l’émergence et la cohésion d’une nouvelle classe sociale ou en changeant de type de société par le changement de mode de production (Ex : mouvements révolutionnaires qui réclament un changement de régime politique).
Les conflits peuvent contribuer au changement social par la création de nouveaux droits et en favorisant l’émergence de nouvelles valeurs. Ex :
- Domaine du travail : conflits de 1936 conduisant aux premiers congés payés, 40 heures de travail par semaine.
- Mouvement féministe en France : années 70 conduisant à de nouvelles lois et à un changement de la place des femmes dans la société.
- Mai 68 : à l’origine de lois sociales importantes (accords de Grenelle) et diffusion de valeurs plus centrées sur la reconnaissance de l’individu, l’égalité ou le cadre de vie.
Pour Alain Touraine, il existe dans chaque société un seul mouvement social qui incarne un projet de changement social. Pour cela, une mobilisation doit remplir trois conditions :
- Le principe d’identité : qui lutte ?
- Le principe d’opposition : qui est l’adversaire ?
- Le principe de totalité : contrôle de l’historicité (changer la société dans sa totalité).
Les Conflits Comme Freins au Changement Social
Si certains acteurs mobilisés cherchent à produire du changement, d’autres luttent contre le changement et cherchent à le ralentir. On peut ainsi observer certains conflits comme :
- Contre le phénomène de délocalisation qui provoque le chômage : grèves, manifestations...
- Contre la modernisation de l'État présentée comme « nécessaire » qui diminue le nombre d’emplois publics, la protection sociale...
- Contre le « mariage pour tous » et l’adoption par des couples homosexuels.
- Les mouvements dits « NIMBY » (pour « Not In My Backyard ») : mobilisations qui refusent, par exemple, l'installation d'une activité polluante près d'un quartier résidentiel, mais ne se soucient pas qu'elle s'installe ailleurs (certaine individualisation des conflits).
Des Conflits Sociaux en Mutation
L’Évolution des Conflits du Travail
Depuis le XIXe siècle, les conflits du travail ont occupé une grande place dans les conflits sociaux des pays industrialisés. Avec la législation des syndicats en 1884, qui ont joué un rôle essentiel dans la conflictualité, la grève est devenue une des majeures expressions du conflit. Les conflits étaient de caractère matérialiste (recherche de meilleurs salaires). Conflit entre les salariés et les employeurs, encouragés par les syndicats.
Mais on trouve un déclin non seulement numérique (chute du nombre de grèves et du taux de syndicalisation) mais aussi symbolique (remise en cause des schémas marxistes : prolétariat contre bourgeoisie) de ces conflits du travail.
Les Acteurs et les Enjeux des Conflits se Sont Diversifiés
De nouveaux acteurs ont apparu dans les conflits sociaux : les NMS (Nouveaux Mouvements Sociaux). Ces NMS sont l’ensemble des mouvements sociaux apparus dans les années 1960-1970 (écologistes, altermondialistes, féministes…). Ils se caractérisent par une rupture avec les modes d’actions et les revendications traditionnelles. Les classes moyennes sont particulièrement impliquées.
Avec ces NMS, de nouveaux enjeux de conflits apparaissent. Les nouveaux mouvements sociaux ont renouvelé les objets de l’action collective. Ces NMS mettent en avant des revendications moins matérialistes (moins centrées sur les questions de la richesse mais sur les modes de vie et les valeurs). Ronald Inglehart qualifie ces conflits de « post-matérialistes ». Ces nouveaux mouvements sociaux ont pour point commun des revendications sur la qualité de vie et l’égalité des droits pour une minorité.
Les Formes des Conflits se Sont Transformées
De même que les acteurs et les enjeux des conflits sociaux ont connu des changements, les formes et les modes d’action de ceux-ci se sont aussi transformés au cours du temps. Les conflits sociaux restent encore des modes d’organisation et d’action collective, mais cette action collective s’adapte et évolue au cours du temps. Ces nouveaux modes d’action ont élargi le répertoire d’action collective et ont aussi réinventé des modes d’actions anciens (déguisements, manifestations festives…). Les modes d’action sont particulièrement efficaces pour assurer une forme de médiatisation. Nouvelles formes comme : Pétition, Occupation des Locaux Administratifs, Concerts de Soutien, Lobbying...
Il faut montrer aussi dans ces nouvelles formes de conflits l’importance du paradoxe d’Olson : qui désigne le fait que certains individus peuvent être amenés à ne pas se mobiliser malgré un intérêt commun parce que chacun veut se comporter comme un « passager clandestin », en profitant des acquis de l’action sans en assumer les risques.
Au contraire des conflits du travail, ces revendications identitaires ou qualitatives s’adressent aux pouvoirs publics, et non pas aux chefs d’entreprise. Ces actions se sont adaptées de manière à interpeler l’État à travers des médias.