La Conscience : De Descartes à Husserl, une exploration philosophique
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La conscience, définie comme l'état d'être conscient, implique la capacité de se rendre compte et de faire l'épreuve de quelque chose. Elle est intrinsèquement liée à la connaissance de soi.
Hegel et la classification de l'être
Hegel propose une classification des modes d'être, distinguant ce qui existe.
Descartes : Le Cogito et le début de la modernité
René Descartes marque un tournant majeur avec son cogito, introduisant la période moderne. Face à une époque où la raison devait supplanter les textes sacrés et où la science moderne remettait en cause les références établies, Descartes rejette les arguments d'autorité et l'ensemble du savoir traditionnel. Il exige une certitude absolue dans toutes les sciences, rejetant tout ce qui est incertain. Il radicalise le scepticisme en affirmant que si le doute est la seule certitude, alors celui qui ne doute pas est fou.
Descartes postule que nous pouvons tout douter, mais que pendant ce doute, nous pensons. De cette pensée découle la certitude de notre existence en tant qu'êtres pensants. Le cogito cartésien, résumé par la célèbre formule « Je pense, donc je suis », établit la conscience de soi comme première certitude. Exister, c'est penser ; l'homme est sa conscience. Il faut distinguer « je suis » de « ce que je suis », car une personne n'est pas son corps mais l'ensemble de ce qu'elle éprouve. L'idée de libre arbitre émerge, liant liberté et vérité.
Descartes remet tout en question, car les sens peuvent être trompeurs. Il envisage la possibilité que nous nous trompions constamment, même dans des domaines apparemment certains comme les mathématiques. Le corps lui-même est remis en question, pouvant être une illusion. La seule certitude demeure : comme je doute, je pense.
Sans la conscience d'une sensation, il n'y a pas de sensation.
Kant : Le sujet transcendantal et empirique
Emmanuel Kant, tout en conservant une partie de la pensée de Descartes, introduit la notion de sujet transcendantal et empirique. Pour penser, il faut pouvoir réunir l'ensemble des perceptions. La pensée est le résultat d'une exploration qui fabrique l'unité des objets dans notre esprit. Penser un objet, c'est réunir des sensations.
Le principe d'unité permet de rassembler les différentes perceptions d'une seule chose. Le « je » est immuable, tandis que le « moi » change (traits physiques, moraux, etc.). La conscience d'exister permet de dire « je », tandis que « l'objet » représente ce que l'on connaît de soi. Le « je » est une instance universelle, tandis que le « moi » est l'objet de notre connaissance. Les autres n'ont accès qu'à notre moi.
Kant affirme que tout homme est capable de bien agir et de reconnaître ses fautes. Même s'il ignore sa conscience, le méchant sait qu'il a choisi le mal.
Dans l'expérience, nous avons accès aux sens, mais le principe d'unité nous permet de les rassembler pour former une conclusion (par exemple, identifier un objet comme une table).
Nietzsche : Le Cogito comme illusion grammaticale
Friedrich Nietzsche remet en cause le cogito, le considérant comme une illusion grammaticale. Il soutient que le doute, tel que le conçoit Descartes, empêche l'utilisation des concepts de « je » et de pensée, car penser est déjà une interprétation. Nous n'interprétons pas tout, mais nous interprétons.
Nietzsche distingue l'action de l'objet qui la produit. Selon lui, cette distinction relève d'une erreur grammaticale : nous attribuons souvent un prédicat à un sujet, alors qu'il n'y a pas de distinction réelle. « Je pense » n'est donc pas logique, car cela ne remet pas en cause la grammaire. On pourrait plutôt dire : « Il y a de la pensée ». Toute pensée présuppose des sensations.
Nietzsche contredit Descartes : ce qui nous semble le plus familier est souvent le plus difficile à connaître, car nous ne le problematisons pas. La causalité, qui sépare les actions, introduit la notion de responsabilité, que Nietzsche rejette. Il faut cesser de penser que le monde nous appartient et accepter d'être habités par le monde. Par exemple, dans un rêve, ce ne sont pas nous qui rêvons, mais les pensées qui nous envahissent.
Husserl : L'intentionnalité de la conscience
Edmund Husserl introduit le concept d'intentionnalité : tout acte de conscience est un rapport à quelque chose d'extérieur. « Toute conscience est consciente de quelque chose ». La conscience ne peut exister seule ; elle se nourrit d'objets. L'intentionnalité est un mouvement constant de la conscience vers l'extérieur.
La conscience est une fonction qui a besoin d'un cas particulier ; elle n'existe pas en dehors de l'objet dans lequel elle se projette. Cela s'applique à tous les phénomènes psychiques : la peur est peur de quelque chose, l'imagination est imagination de quelque chose, et même une photographie est la photographie de quelque chose.
Certains phénomènes humains échappent à l'intentionnalité stricte :
- La joie : chez Spinoza, la joie a pour objet Dieu.
- L'angoisse : elle n'a pas d'objet précis ; c'est une déchirure intérieure qui ne se projette en rien.
Heidegger : L'angoisse et le souci existentiel
Martin Heidegger soutient que tout homme ressent cette angoisse et cette joie, car elles ont pour objet le monde dans son ensemble. L'angoisse renvoie à un caractère essentiel de l'être humain : le souci. La vie est une préoccupation constante, et à la base de cette préoccupation se trouve une forme d'angoisse.
L'intentionnalité, ce rapport à un objet, est le lien qui relie la conscience à son objet. La conscience n'existe qu'en se projetant dans un objet. On ne peut s'arracher à une situation qu'en s'engageant dans une autre.
Merleau-Ponty : La liberté comme engagement
Maurice Merleau-Ponty, au XXe siècle, critique la conception classique de la liberté comme un arrachement. Pour lui, on se libère d'une situation en s'engageant dans une autre. Par exemple, un résistant torturé ne se libère pas seulement en résistant, mais en se réengageant dans un autre rôle que celui que ses bourreaux veulent lui faire jouer.
Il distingue trois possibilités d'être : le comédien (qui joue un rôle), le personnage (comme Hamlet) et le rôle (un ensemble de comportements et de manières d'être).
Déterminisme et Libre Arbitre
- Les déterministes (comme Spinoza) considèrent que nous sommes des personnages, car nous n'avons pas de libre arbitre ; notre vie est déterminée par notre environnement social, etc.
- Ceux qui croient au libre arbitre (comme Descartes) pensent que nous sommes des comédiens, capables d'être nous-mêmes.
Sartre : L'existence comme projection
Jean-Paul Sartre considère que nous sommes des comédiens qui devons jouer des rôles. Nous ne sommes jamais nous-mêmes, mais nous devons jouer un rôle à chaque instant. Nous sommes entièrement libres et décidons qui nous sommes à chaque instant.
La conscience, selon Sartre, n'est pas une substance mais le contraire d'une substance. Il y a du néant en l'homme. La conscience est une ex-istence, une explosion vers l'extérieur. La conscience n'est pas une intériorité ; elle est tournée vers le dehors. Apprendre, ce n'est pas absorber des connaissances, mais se projeter dans le moment de l'apprentissage.
La conscience est « née », sans intériorité. L'idée de l'homme comme substance est fausse. Nous ne sommes jamais nous-mêmes, car nous ne sommes rien d'autre que les rôles que nous avons endossés. Se connaître soi-même est absurde. La conscience est l'« œil de l'esprit », qui regarde du dehors.
Critiques de l'intériorité et le Monde de la Vie
Husserl et Sartre critiquent l'idée classique de l'intériorité, où la conscience est vue comme une boîte renfermant nos états d'âme. Sartre, s'appuyant sur l'intentionnalité, montre que la pensée nous extériorise.
Husserl, avec le concept de « monde de la vie » (Lebenswelt), soutient que le monde existe aussi par le sujet qui le perçoit. Le « je » n'a pas d'intériorité. Le cogito de Descartes n'existe pas en tant qu'entité indépendante. Lorsque nous suspendons nos croyances, il nous reste l'expérience de voir quelque chose, l'ensemble de nos vécus. Le monde reste présent.
Même si nous doutons de l'existence du monde, nous ne pouvons douter du fait que nous voyons un ciel, des chaises, etc. L'époché (suspension du jugement) n'empêche pas de suspendre ces états de conscience ; s'ils existent, c'est qu'il existe quelque chose.
Conclusion : La conscience est indissociable du monde. Husserl montre que l'âme n'est pas séparable du monde, mais de la relation que nous entretenons avec lui. Sans monde, l'âme n'existe pas ; sans âme, le monde ne serait pas perçu.
Husserl préconise de s'intéresser au monde de la vie, de le décrire tel qu'il nous apparaît, car tout le reste est une construction incertaine. Le monde de la vie est subjectif, dépendant de nos perceptions. Il faut inventer une science de la description des phénomènes. La phénoménologie remet en question le déterminisme antique : la manière dont nous regardons un objet modifie l'objet lui-même. Tout est subjectif ; le comportement d'un objet dépend de la manière dont nous le percevons.