La Consolidation du Régime de Franco et les Transformations (1957-1975)

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Crise politique et remaniement ministériel de 1957

La fin de l'isolement du régime de Franco a coïncidé avec une crise politique majeure. Les incidents à l'université entre les étudiants et les membres du SEU (Syndicat étudiant de la Phalange), anti-franquiste, fit que les phalangistes demandèrent une augmentation de leur pouvoir. Cela conduisit à un remaniement ministériel en 1957, où entrèrent les représentants les plus radicaux de la Phalange. Toutefois, les principaux changements survinrent dans les ministères de l'Économie, avec l'avènement des soi-disant technocrates, formés dans les universités et partisans de la libéralisation de l'économie, proches de l'Opus Dei et très influencés par les changements ayant lieu en Europe : Mariano Navarro Rubio (ministre des Finances) et Alberto Ullastres (ministre du Commerce) entrèrent au gouvernement.

L'échec de l'autarcie et le Plan de stabilisation de 1959

Depuis le début des années 1950, l'échec des politiques autarciques était patent. Bien qu'il ait été tenté de réorienter la politique économique et que l'Espagne ait reçu une aide des États-Unis depuis 1951, le budget restait déficitaire, et la balance commerciale également. En 1955, il y eut des grèves et des protestations. Dans cette situation, Franco accepta de confier la direction économique aux technocrates. Ils appliquèrent le « Plan de stabilisation » de 1959, conçu sous l'égide du FMI et de la Banque mondiale, qui acceptèrent de le financer à crédit. Il s'agissait de libéraliser l'économie en permettant l'importation de capitaux et de lutter contre l'inflation, en stabilisant les prix et les salaires. La dévaluation de la peseta entraîna une réforme fiscale provisoire. Pendant les premiers mois, les résultats furent très négatifs : les salaires baissèrent, la productivité des entreprises chuta, le coût de la vie et le nombre de chômeurs augmentèrent. Mais à partir de 1961, les effets positifs du Plan de stabilisation commencèrent à se faire sentir, marquant le début d'une période d'expansion économique. Cette expansion fut basée sur l'augmentation du secteur industriel et l'émergence de nouvelles sources de revenus : le tourisme, les investissements étrangers et l'exportation de main-d'œuvre.

L'expansion industrielle et les migrations

L'expansion industrielle était basée sur les bas salaires. Les investissements étrangers, la technologie, les biens d'équipement et l'énergie (en particulier le pétrole) furent importés en masse, ce qui rendit l'économie espagnole entièrement dépendante de l'extérieur.

La croissance de l'industrie produisit une forte migration de main-d'œuvre agricole vers les grandes villes. Beaucoup recherchèrent du travail en Europe. Le résultat fut la réduction de la main-d'œuvre dans le secteur rural, produisant à son tour une hausse des salaires dans le secteur agricole et encourageant la mécanisation des travaux agricoles ainsi que la demande de biens industriels par ce secteur. Ainsi, la modernisation des campagnes et le dépeuplement des zones rurales furent des phénomènes parallèles.

Le déficit de la balance des paiements fut comblé en grande partie par l'entrée massive des touristes. Aux devises des touristes s'ajoutèrent les contributions des migrants qui envoyaient une grande partie de leurs bénéfices pour soutenir leurs familles. De plus, le départ des travailleurs espagnols contribua à réduire le taux de chômage.

Les Plans de développement (1963-1975)

L'État lança également les « Plans de développement », qui, dirigés par le gouvernement, s'étalèrent sur quatre périodes triennales entre 1963 et 1975. L'État encouragea les capitaux privés à investir dans certains secteurs d'activité grâce à des subventions, du crédit bon marché et des allégements fiscaux. L'État investit également dans les soi-disant « pôles de développement » dans les nouvelles villes industrielles : Valladolid, Huelva, Vigo, etc. Il s'agissait de promouvoir la création de nouvelles industries et de créer des emplois dans les zones défavorisées. Mais les objectifs ne furent pas tous atteints.

La croissance économique globale entre 1961 et 1973 fut élevée et constante. Il convient de noter que cette croissance fut rendue possible par l'expansion économique mondiale, c'est pourquoi la crise de 1973, découlant du renchérissement du pétrole, arrêta brusquement la croissance espagnole.

Les transformations sociales en Espagne

D'autre part, les changements économiques influencèrent la société espagnole, qui commença à subir des transformations importantes.

La société espagnole des années 40 et 50 était marquée par l'arriération et la pauvreté, accompagnées par la ruralisation du pays et un déficit technique, scientifique et culturel.

Mais la croissance économique dans les années 60, qui provoqua la migration de masse de la population rurale et la concentration de la population dans les grandes villes, changèrent le style de vie et la mentalité des Espagnols. L'ouverture vers l'extérieur y contribua également, principalement par le contact avec les touristes venant dans le pays en masse. En outre, il y eut une augmentation spectaculaire de la population, le soi-disant « baby-boom », alimentée en partie par la politique pro-nataliste du régime. Cette croissance obligea à multiplier le nombre des écoles et des collèges. Comme l'Église ne pouvait pas satisfaire aux exigences, le développement se concentra sur l'éducation publique. Le système de bien-être et de santé changea également : la croissance reposa sur les cotisations des travailleurs, mais permit d'étendre le réseau d'hôpitaux et la couverture maladie, retraite et chômage. Cependant, le système de santé et les prestations restèrent insuffisants.

L'accès des femmes au travail et à l'université

Un autre développement important fut l'accès des femmes au travail. La dictature de Franco avait été conçue pour que la femme perdît tous les droits et les progrès réalisés au cours de la Seconde République. Sous le régime de Franco, la fonction principale des femmes était la maternité, la garde d'enfants et la tenue de la maison. Cependant, le changement de mentalité des classes moyennes au cours des années 60 autorisa l'accès des femmes au travail et aux universités.

La classe moyenne augmenta durant cette décennie, numériquement, et devint plus ouverte et plus dynamique. De plus, elle fut en mesure d'accéder à des biens de consommation, ce qui contrastait avec les valeurs chrétiennes du régime.

Bien que tous les Espagnols n'aient pas eu accès aux biens de consommation, la forte croissance des appareils ménagers, des voitures et des vacances commença à être disponible à plus de gens. En 1958, la télévision d'État commença à émettre. En 1969, deux tiers des ménages avaient un récepteur. La télévision affecta le mode de vie et le comportement social, bien que la censure exclût tout ce qui pouvait menacer le régime. Parallèlement, des quartiers entiers furent construits en banlieue sans infrastructures ni équipements sociaux et urbains.

En bref, la structure sociale espagnole au cours des années 60 révéla une prédominance de la classe ouvrière, qui tendait à se spécialiser et à avoir accès à la propriété, une classe moyenne montante, et une classe dirigeante qui, tout en étant moins nombreuse, accueillit l'arrivée d'une élite liée aux banques, ainsi que l'entrée de hauts fonctionnaires et de cadres.

À la fin des années 60, alors que la classe dirigeante, ultra-conservatrice et catholique, continuait à défendre les valeurs franquistes, le reste du pays, en particulier les jeunes générations, évoluait vers des positions très différentes. Les symptômes de cela furent l'assouplissement progressif des pratiques religieuses, l'introduction de nouveaux modes de relations sociales et sexuelles, ou l'acceptation de la mode et des habitudes des mouvements culturels venus de l'extérieur.

Cependant, ces changements économiques et sociaux ne se traduisirent pas par une ouverture politique. Cela conduisit à l'ouverture d'un certain nombre de fronts contre la politique de contrôle serré et la restriction des libertés.

Montée de l'opposition et fin de la dictature

Le désengagement de l'Église

L'Église commença un processus de désengagement. Certains membres de la hiérarchie ecclésiastique commencèrent à dénoncer la situation des travailleurs. L'ascension à la papauté de Jean XXIII et le renouveau de l'Église depuis Vatican II exacerbèrent les tensions.

Revival des tensions nationalistes (ETA)

Les tensions nationalistes commencèrent aussi à se raviver. En 1959, un groupe de membres du PNV fonda l'ETA (Euskadi Ta Askatasuna, Patrie et la Liberté) qui opta pour la lutte armée pour la libération nationale basque.

Et depuis 1961, des grèves eurent lieu, principalement concentrées dans le secteur industriel. Si elles étaient dans un premier temps dues à des revendications salariales et de travail, elles révélèrent peu à peu le manque de syndicats libres et de libertés politiques.

En 1962, après que l'Espagne eut demandé des négociations sur l'adhésion à la CEE, une centaine d'Espagnols à Munich adoptèrent une déclaration recommandant le rejet de l'Espagne si les libertés n'étaient pas restaurées. Le régime répondit durement, qualifiant l'incident de « collusion de Munich » et multiplia les arrestations de dirigeants de l'opposition. L'année suivante, il arrêta à Madrid le dirigeant communiste Julián Grimau, qui fut torturé et exécuté en 1963 au milieu d'un tollé international. La mauvaise image du régime le força à démontrer une plus grande ouverture d'esprit. L'entrée des ministres du nouveau gouvernement, Manuel Fraga, Laureano López Rodó et Gregorio López Bravo, permit l'adoption de plusieurs lois visant la modernisation, comme la loi sur la presse de 1966, bien que dans la pratique la censure continua à fonctionner. En 1966, un référendum national approuva la Loi organique de l'État et, en 1969, le prince Juan Carlos de Bourbon fut nommé successeur de Franco avec le titre de roi.

Mais ces modifications ne purent empêcher l'opposition de croître dans les usines et les universités. En 1968, la Faculté de sciences politiques à Madrid fut fermée, et l'année suivante, l'Université de Barcelone. La décennie se termina avec le Processus de Burgos. Le vieillissement de Franco, les protestations et les pressions internationales commencèrent à user le régime.

La phase finale de la dictature (1969-1975)

À partir de 1969, nous entrons dans les dernières années du franquisme. En 1973, Carrero Blanco fut nommé Premier ministre (Franco restant chef de l'État). À ce point, deux tendances étaient déjà évidentes au sein du régime : les aperturistas (qui souhaitaient une ouverture politique et démocratique pour permettre l'incorporation en Europe) et les jusqu'au-boutistes (le secteur du « bunker ») qui rejetaient toute réforme des institutions. En décembre 1970 commença le « Processus de Burgos » contre des membres de l'ETA, dont neuf furent condamnés à mort. Les protestations, la pression internationale et l'enlèvement du consul allemand par l'ETA découragèrent Franco, qui commua les condamnations à mort. La même année, le gouvernement devint plus faible. D'autre part, l'opposition universitaire et ouvrière au régime s'intensifia, rencontrant la répression, les arrestations et la torture par la « Brigade sociale ». En 1973, apparut une nouvelle organisation armée, le Front révolutionnaire antifasciste et patriote (FRAP), qui commit son premier attentat à Madrid. Puis, Franco se sépara pour la première fois en tant que chef d'État et nomma Carrero Blanco Premier ministre, qui forma un cabinet avec des membres de l'Opus Dei et des franquistes, dont Arias Navarro. Il y eut des protestations dans les rues et il préparait la relève comme chef de l'État. Mais le nouveau gouvernement n'eut pas le temps d'agir : le 20 novembre 1973, Carrero Blanco mourut, victime d'un attentat de l'ETA, ce qui fut un coup dur pour Franco et le régime. L'assassinat de Carrero déclencha la dislocation entre les secteurs du régime, concernant la succession. La nomination d'Arias Navarro par Franco suscita des craintes d'un durcissement du régime. Toutefois, Arias était en faveur de certaines réformes, nommant des aperturistas comme Cabanillas qui libéralisa la presse. Mais les hommes du bunker s'opposèrent à l'ouverture du gouvernement (Franco démit Pío Cabanillas et les autres démissionnèrent), et sans aperturistas, Arias resta prisonnier du bunker.

L'opposition politique unifiée

L'opposition au régime : Cette politique de développement donna plus de force aux partis d'opposition qui étaient proches de la fin du franquisme. Tous les partis d'opposition (chrétiens-démocrates, socialistes, communistes non-révolutionnaires et de gauche) formèrent un front commun demandant la démocratie avec un gouvernement provisoire convoquant une Assemblée constituante. Même certains membres de la hiérarchie ecclésiastique se distancièrent du régime. Il y eut la menace d'expulsion par le gouvernement de l'évêque de Bilbao, et la menace du Vatican d'excommunier Franco. Le gouvernement céda, mais la rupture avec l'Église fut complète.

En juillet 1974, Franco fut hospitalisé et donna ses pouvoirs pour quelques jours au prince Juan Carlos. En 1975, les événements s'accélérèrent : plusieurs membres de l'ETA et du FRAP furent jugés et condamnés à mort, malgré des manifestations dans toutes les capitales d'Europe. Au milieu de la vague de protestations internationales, le conflit du Sahara éclata. Hassan II menaça d'une invasion populaire du territoire espagnol au Sahara si l'Espagne ne cédait pas. C'est la Marche Verte, qui mit le gouvernement sous pression et le força à céder le Sahara espagnol au Maroc et à la Mauritanie. En 1975, la situation était très compliquée pour Arias Navarro, qui avait perdu les aperturistas, face à une opposition et un terrorisme organisé et actif. D'autre part, la crise économique menaçait le développementalisme qui soutenait le système et obtenait l'appui des classes moyennes. Le 20 novembre 1975, Franco mourut et Juan Carlos assuma la charge de chef de l'État. Contre toute attente, le roi lui-même commença le processus de transition démocratique, légalement et pacifiquement, à partir des institutions mêmes du régime. Les conditions économiques et la société espagnole avaient subi une profonde transformation, et la mentalité espagnole avait évolué, ce qui donna lieu à de nombreuses contradictions qui furent pleinement en vigueur dans les années 70.

Évolution des classes sociales

Les principaux soutiens du régime provenaient de la classe dirigeante, c'est-à-dire l'aristocratie, les propriétaires fonciers, les grandes entreprises et les échelons supérieurs du clergé et de l'armée, qui rejoignirent l'élite des premiers phalangistes, puis des technocrates. Mais les classes moyennes continuèrent de croître en raison de la migration et du développement du secteur des services. Cette classe moyenne avait un esprit beaucoup plus ouvert et dynamique. Malgré l'augmentation des conflits du travail, l'esprit réformateur du mouvement ouvrier fit que la classe moyenne de gauche ne voyait plus le prolétariat comme un ennemi.

La classe ouvrière urbaine devint la plus importante dans la société. Mais elle n'était plus la même qu'avant la guerre. Près de la moitié d'entre eux travaillaient dans les services et étaient plus ou moins qualifiés. Bien qu'ils aient vécu dans des conditions pires que les travailleurs européens, ils perdirent leur conscience de classe et demandèrent la mobilité ascendante au sein du régime. Dans les années 60, le syndicat CCOO (Commissions ouvrières), contrôlé par le Parti communiste, commença timidement à s'infiltrer dans les usines, bien qu'il fût persécuté par le régime. Cela n'empêcha pas la politisation de la classe ouvrière, qui continua sous la direction du Parti communiste, bien que la plupart des travailleurs vécurent en marge de la politique et que seuls les plus jeunes, qui n'avaient pas connu la répression de la guerre, militaient dans les partis d'opposition.

En ce qui concerne la situation dans le monde rural, le principal changement fut la généralisation de l'émigration.

La contestation étudiante

Une autre question fut la protestation étudiante. C'était un mouvement fondamentalement bourgeois, et non spécifiquement politique. Pour la plupart, les étudiants avaient plus d'intérêt à attaquer les valeurs morales de la société franquiste qu'à un changement politique. C'étaient des jeunes hommes qui commencèrent à adopter les nouveaux goûts des jeunes Européens et Américains dans la façon dont ils s'habillaient et se comportaient, dans la musique, le cinéma et la culture, et qui devinrent bientôt des valeurs jumelées : le rejet du catholicisme, le pacifisme, la défense du nouveau rôle des femmes dans la société, etc. La répression politisa le mouvement, surtout lorsque la politique d'infiltration communiste dans les universités, semblable à celle dans les usines, prit la tête du mouvement.

Mais bien qu'il pût sembler qu'au début des années 70 la plupart de la société espagnole était satisfaite de la situation politique ou au moins indifférente, la première élection de 1977 révéla un rejet massif du régime de Franco.

Culture et opposition intellectuelle

De plus, la dernière étape du régime de Franco fut caractérisée par une rupture complète entre le monde de la culture et les valeurs proposées par le régime.

Après la guerre, une mainmise sur la vie culturelle espagnole avait été établie par la partie gagnante. Le système éducatif était plongé dans une atmosphère de censure et d'endoctrinement, où le « chef », la race et le passé impérial étaient exaltés. De nombreux artistes, philosophes, scientifiques et historiens étaient partis en exil, même si beaucoup continuèrent à produire, depuis l'extérieur de l'Espagne, un travail de grande qualité (Juan Ramón Jiménez, prix Nobel en 1956, Alberti, Cernuda, María Zambrano, Américo Castro, Claudio Sánchez Albornoz...). Particulièrement importants furent ceux qui rentrèrent d'exil, comme Ortega y Gasset.

Face à la pauvreté culturelle, le franquisme promut une culture de masse : le cinéma, la censure, la littérature populaire et les romans d'aventure, la tauromachie et le football.

Toutefois, depuis les années 50, émergea une culture non officielle timide, œuvre d'intellectuels prestigieux, comme Luis Rosales, Torrente Ballester, ou Laín Entralgo. Cette culture non officielle se développa et donna lieu à des manifestations littéraires et artistiques en dehors du courant établi. De même, dans le cinéma, des réalisateurs produisirent des films critiques de haute qualité (García Berlanga, Carlos Saura...).

La loi sur la presse de 1966 permit l'émergence de nouvelles revues, journaux et éditeurs qui exprimèrent une critique timide du régime. Des œuvres jusque-là réduites au silence, y compris celles des exilés, refirent surface.

Le contrôle de l'éducation fut dilué, ainsi que le contrôle de l'Église sur ce point. La Loi générale de l'éducation donna lieu à la mixité dans les écoles publiques. Le nombre d'étudiants qui étudiaient au secondaire augmenta à 45 % du total.

En bref, dans les dernières années, de nouvelles cultures alternatives exprimèrent leur opposition, non seulement dans leur critique de Franco, mais aussi dans des attitudes et des propositions esthétiques recherchant un climat de liberté que le régime niait. Le domaine de la culture fut l'un des sites où le franquisme récolta un plus grand échec.

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