Contentieux Fiscal au Maroc: CLT et CNRF

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Le Contentieux Fiscal au Maroc: Analyse des Commissions CLT et CNRF

Le contentieux est la manifestation d’approches opposant les intérêts de parties différentes à l’occasion de l’application de la règle de droit propre à chaque système juridique. En matière fiscale, le contentieux est un facteur de justice et d’équité fiscales à travers son double aspect de veille pour la stricte application de la loi et de révélateur des imperfections et insuffisances de cette loi. En réglementant les différentes procédures qui déterminent le déroulement et la solution des litiges, le législateur fiscal marocain a agi, dans une démarche progressive, d’un côté en assurant au contribuable des droits et des garanties dans ses rapports avec l’administration et, d’un autre côté, en renforçant les moyens de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

Aussi et parallèlement à l’évolution des textes législatifs, ayant abouti à l’élaboration en 2007 du Code Général des Impôts (CGI), avec comme partie essentielle le livre des procédures, l’administration fiscale a également connu de grandes mutations tenant principalement à humaniser son action et à améliorer ses relations avec les contribuables.

En effet, il existe deux commissions qui statuent sur les litiges entre l’administration et le contribuable. La première, c’est la Commission Locale de Taxation qu’on peut considérer comme entité de première instance (première partie), et la deuxième, c’est la Commission Nationale de Recours Fiscal (deuxième partie) considérée comme entité d’appel. Elles sont régies respectivement par les articles 16 et 17 du L.P.F et les articles 225 et 226 du code général des impôts.

Paragraphe 1 : La Commission Locale de Taxation (C.L.T.)

C’est la première entité à laquelle s’adresse obligatoirement le contribuable en cas de désaccord avec l’administration fiscale suite à la procédure de rectification. Dans le cadre de la décentralisation et pour rapprocher l’administration fiscale des citoyens, le législateur a implanté des C.L.T. dans la plupart des communes et des provinces du royaume. La C.L.T. statue sur les litiges des sociétés et des personnes physiques si le siège social ou l’établissement principal des premières et la résidence principale des secondes est dans son ressort (compétence territoriale). La C.L.T. ne doit se déclarer compétente que sur les questions de fait mais non de droit. Elle ne peut donc se prononcer sur des questions d’interprétation des dispositions légales ou réglementaires (compétence d’attribution).

1. Composition de la C.L.T.

La commission locale de taxation comprend :

  • Un magistrat qui est le président de la commission, désigné par le Premier ministre.
  • Un représentant du gouverneur.
  • Le chef du service local d’assiette ou son représentant.
  • Un représentant des contribuables.

2. Fonctionnement de la C.L.T.

Suite à la première notification, le contribuable rejetant totalement ou partiellement les redressements proposés par l’administration fiscale, doit faire parvenir à l’inspecteur ces observations dans un délai de trente (30) jours et si ce dernier les estime non fondées, en tout ou en partie, il lui notifie dans un délai maximum de soixante (60) jours suivant la date de réception de leur réponse.

La requête
  • Le recours doit se faire sous forme de requête écrite, justifiée et détaillée adressée à l’administration fiscale qui la transmettra à la commission.
  • En cas de recevabilité de la demande de pourvoi, l'inspecteur vérificateur établit un « Rapport de la CLT », dont il récapitule tous les éléments se rapportant à la procédure.
  • Un délai de quatre (4) mois est fixé pour la communication par l’administration des requêtes et documents précités à la commission locale de taxation.
Convocation

Au moins quinze (15) jours avant la réunion de la C.L.T., le secrétaire rapporteur, sur ordre du président, convoque par lettre recommandée avec accusé de réception tous les membres de la C.L.T. Cette convocation doit être jointe d’une liste de l’ensemble des contentieux fiscaux sur lesquels la commission va statuer.

Les délibérations

La C.L.T. statue valablement lorsque trois au moins de ses membres, dont le président et le représentant des contribuables, sont présents. Ses délibérations sont prises à la majorité des voix des membres présents.

Les décisions
  • Les décisions de la CLT doivent être détaillées et motivées. Elle doit faire ressortir séparément les bases arrêtées par la commission et les rectifications sur lesquelles s'est déclarée incompétente.
  • Les décisions prises sont consignées sur des rapports conçus selon un modèle prévu à cet effet et signées par les seuls membres habilités à statuer et ayant délibéré.
  • Les décisions des commissions locales de taxation prises dans les affaires relatives à l’impôt sur le revenu, au titre des profits fonciers et aux droits d’enregistrement sont définitives lorsque le montant des droits en principal est inférieur ou égal à cinquante mille (50.000) dirhams.
  • Le délai maximum qui doit s’écouler entre la date d’introduction d’un pourvoi et celle de la décision de la C.L.T. est fixé à 24 mois.
  • Si à l’expiration du délai précité, la C.L.T. n’a pas pris de décision, l’inspecteur doit informer le contribuable de l’écoulement dudit délai (24 mois) et de la possibilité d’introduire un recours devant la commission nationale du recours fiscal dans un délai de soixante (60) jours à compter de la date de réception de la lettre.
  • La C.L.T. peut s’adjoindre pour chaque affaire au maximum deux experts qui peuvent être, soit des contribuables soit des fonctionnaires qu’elle désigne et qui ont une voix consultative.
  • La décision de la C.L.T. est notifiée par l’administration fiscale dans les formes prévues à l’article 10 du L.P.F.
  • Enfin, les décisions des commissions locales de taxation devenues définitives, y compris celles portant sur les questions pour lesquelles lesdites commissions se sont déclarées incompétentes, peuvent être contestées par l’administration et le contribuable, par voie judiciaire.

3. Commentaires et Critiques sur la C.L.T.

La composition et le fonctionnement de la C.L.T. comportent des points positifs et des points négatifs. Les plus importants sont exposés ci-après :

Points positifs
  • L’existence d’un juge dans la composition de la commission :
    • Assure la bonne application de tous les textes réglementaires.
    • Facilite la distinction entre les problèmes de fait et ceux de droit.
    • Assure un respect des procédures, des notifications.
  • Grâce à sa formation technique dans le domaine fiscal, la présence du chef de service local d’assiette des impôts directs, représente une garantie aussi bien pour l’administration fiscale que pour le contribuable.
  • Le régime de désignation des représentants des contribuables sur la base de leur expérience et de leur connaissance du domaine d’activité du contribuable est bénéfique pour ce dernier.
Points négatifs
  • Si la présence d’un juge comme président ayant voix prépondérante est une garantie pour les deux parties, il faudrait quand même que sa formation fiscale soit à la hauteur de cette responsabilité. Cette formation est obligatoire surtout depuis que le Maroc s’est doté de tribunaux administratifs.
  • Pour que la saisine de la C.L.T. ne soit pas viciée, il faut que le contribuable mentionne obligatoirement et d’une façon claire sa volonté de saisir la C.L.T. Or, par méconnaissance ou mégarde, le contribuable peut ignorer cette démarche et se voir imposé selon les bases proposées par l’inspecteur.
  • Ainsi, la compétence de la commission locale porte sur les questions de fait qu’il s’agisse de la matérialité des faits eux-mêmes ou de l’appréciation qu’il convient de leur donner. Il faut alors distinguer l’appréciation des faits de leur qualification – qui constitue une question de droit – la commission étant compétente à l’égard des questions de fait, même lorsque l’administration soutient son redressement sur un point de droit.
  • Nous ne voyons pas du tout l’utilité que la requête passe par l’inspecteur qui prépare le dossier pour la C.L.T. En effet, le contribuable est plus apte à préparer son dossier lui même car l’inspecteur peut, par méconnaissance ou par manque de neutralité, biaiser le dossier.
  • Nous estimons que le délai de 30 jours pour le recours devant la C.L.T. est trop court pour que le contribuable prépare son dossier. Pourquoi ne disposerait-il pas de 60 jours comme l’administration fiscale ?
  • Ainsi, lorsque la commission se déclare à tort incompétente pour examiner les questions de fait qui lui ont été soumises, cette erreur n’affecte pas la régularité de la procédure d’imposition et par suite n’est pas de nature à entraîner la décharge de l’imposition contestée.
  • Le cas échéant, est-ce que la C.N.R.F. a le droit de juger de la non compétence de la C.L.T. alors que c’est aussi une question de droit ?
  • La C.L.T. se caractérise par l’absentéisme de ses membres et la lenteur dans la prise de ses décisions.
  • L’insuffisance de la formation technique de ses membres notamment dans les domaines de la fiscalité ne permet pas l’appréciation rapide des arguments de chacune des parties.

Paragraphe 2 : La Commission Nationale du Recours Fiscal (C.N.R.F.)

L’article 220 du CGIM a aménagé au sein de la procédure de redressement contradictoire un recours contre les décisions de la commission locale tendant à les faire réformer par une commission à compétence centrale dite commission nationale de recours fiscal.

C’est une commission qui siège à Rabat sous l’autorité directe du premier ministre. La C.N.R.F. est une commission permanente à laquelle sont adressés les recours contre les décisions de C.L.T. (ou l’absence de décisions). Comme cette dernière, la C.N.R.F. ne doit se déclarer compétente que sur les questions de fait mais pas de droit.

1. Composition de la C.N.R.F.

La C.N.R.F. comprend aussi bien des magistrats que des représentants des contribuables et ceux de l’administration fiscale. Elle comprend :

  • Sept (7) magistrats appartenant au corps de la magistrature, désignés par le premier ministre, sur proposition du ministre de la justice.
  • Trente (30) fonctionnaires désignés par le premier ministre, sur proposition du ministre des finances, ayant une formation fiscale, comptable, juridique ou économique et qui ont au moins le grade d'inspecteur ou un grade classé dans une échelle de rémunération équivalente. Ces fonctionnaires sont détachés auprès de la commission.
  • Cent (100) personnes du monde des affaires désignées par le premier ministre. Ces personnes sont choisies parmi les personnes physiques membres des organisations professionnelles les plus représentatives exerçant des activités commerciales, industrielles, de services, artisanales ou de pêches maritimes.
  • Il y a lieu de préciser, qu'aussi bien les représentants de l'administration que ceux des contribuables, n'exercent pas au sein de la CNRF pour défendre les corps dont ils sont issus. Aucune disposition légale ne leur confère cette qualité.
  • La présidence et le fonctionnement de la C.N.R.F. sont assurés par un juge désigné par le premier ministre, sur proposition du ministre de la justice.
  • La C.N.R.F. se subdivise en sept (7) sous-commissions délibérantes. Chaque sous-commission se compose :
    • D’un magistrat, président.
    • De deux fonctionnaires tirés au sort parmi ceux qui n'ont pas instruit le dossier soumis à délibération.
    • De deux représentants des contribuables choisis par le président de la commission parmi les personnes du monde des affaires.
    • D’un secrétaire rapporteur choisi (en dehors des deux fonctionnaires membres de la sous-commission) par le président de la commission pour assister aux réunions de ladite sous-commission sans voix délibérative.

2. Fonctionnement de la C.N.R.F.

Compétences de la CNRF

Compétence territoriale :

  • La compétente territoriale de la CNRF s'étend à tout le territoire national.

Compétences d'attributions :

  • La CNRF est habilitée à statuer sur tous les litiges portés devant elle, se rapportant à la détermination des bases des impôts, droits et taxes et doit se déclarer incompétente sur les questions liées à l'interprétation des dispositions réglementaires.
  • Elle lui appartient ainsi, de statuer et se prononcer sur les questions de fait, sur les infractions relevées, de fixer les redressements dans la limite des montants notifiés.
  • Elle intervient, en appel sur les requêtes formulées contre les décisions de la CLT, comme elle peut intervenir en première instance en cas de défaut de délibération de celle ci dans le délai qui lui est imparti de vingt quatre (24) mois.
La saisine
  • La saisine de la C.N.R.F. peut être faite aussi bien par le contribuable que par l’administration fiscale à condition que le litige ait déjà été présenté devant la C.L.T. comme premier recours.
  • Le recours auprès de la C.N.R.F. doit être présenté sous forme de requête écrite envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception dans un délai de 60 jours suivant la date de notification de la décision de la C.L.T. ou de la lettre d’information au cas où cette dernière n’a pas pu statuer.
  • D’autre part, la commission nationale demande à l’administration, dans les formes prévues à l’article 219, de lui transmettre les documents relatifs aux actes de la procédure contradictoire permettant à la commission nationale du recours fiscal de statuer sur l’affaire qui lui est soumise dans le délai de trente (30) jours.
  • A défaut de communication des documents précités dans le délai prescrit, les bases d’imposition ne peuvent être supérieures : - soit à celles déclarées ou acceptées par les intéressés, s’ils ont présenté leur recours devant la commission nationale du recours fiscal dans le délai légal ; -soit à celles fixées par la commission locale de taxation, dans le cas contraire.
  • Les demandes de recours sont reçues par le président, et c’est à lui de les confier pour instruction à un ou plusieurs des fonctionnaires et de répartir les dossiers entre les sous-commissions.
La convocation
  • Les sous-commissions se réunissent à l’initiative du président de la commission qui convoque les représentants des contribuables, par lettre recommandée avec accusé de réception, au moins 15 jours avant la date fixée pour la réunion.
Les délibérations
  • La sous-commission peut s'adjoindre, dans chaque litige, un ou deux experts, fonctionnaires ou non, qui ont voix consultative.
Notification
  • Les décisions de la C.N.R.F. doivent être détaillées et motivées. Elles sont notifiées aux parties dans les formes prévues dans l’article 219 du code général des impôts par le magistrat assurant le fonctionnement de la commission dans un délai de six (6) mois.
Délai de prise de décision
  • Le délai maximum qui doit s’écouler entre la date d’introduction du recours et celle de la décision de la C.N.R.F. est fixé à douze (12) mois.
  • Dans le cas où la C.N.R.F. n’a pas pris de décision dans ce délai, aucune rectification ne peut être apportée à la déclaration du contribuable ou à la base d’imposition retenue par l’administration fiscale en cas de taxation d’office pour défaut de déclaration ou déclaration incomplète.
  • Les décisions ou les impositions émises suites aux décisions de la C.N.R.F. peuvent être contestées par voie judiciaire respectivement par l’administration fiscale ou le contribuable. (Article 242 CGI.)
  • Enfin, il faut noter que Le recours par voie judiciaire ne peut être intenté en même temps que le recours devant les commissions locales ou la commission nationale du recours fiscal.

3. Commentaires et Critiques sur la C.N.R.F.

  • Grâce à la C.N.R.F. la procédure du recours fiscal est rattachée directement au chef du gouvernement, ce qui lui confère plus d’équité dans le traitement des dossiers des contribuables.
  • Les deux conditions de choix des fonctionnaires ne peuvent être que bénéfiques. En effet, non seulement ils ont un grade d’inspecteur mais ils doivent en plus avoir une formation fiscale, comptable, juridique ou économique.
  • Tout représentant du contribuable ne peut siéger à la C.N.R.F. pour un litige dont il a eu déjà à connaître en C.L.T., ce qui garantit une certaine neutralité.
  • Pratiquement, les deux parties peuvent fortifier leur défense en ajoutant des documents ou éléments nouveaux.
  • Comme pour la C.L.T., nous estimons que la formation fiscale des juges est importante d’autant plus que leur responsabilité est plus grande.
  • Sept sous-commissions sont-elles suffisantes pour régler l’ensemble des contentieux au Maroc ?
  • Pour ce qui est de l’équité, il est légitime de se poser la question : quel est le degré d’indépendance des membres de ces commissions sachant que les fonctionnaires dépendent du ministère des finances (salaire, promotion, prime, évaluation..) ?
  • Pour ce qui est du siège de la C.N.R.F., nous estimons que Rabat reste un point assez éloigné pour certaines villes du Maroc. Pour cette raison, il serait parfaitement commode de créer des commissions régionales qui fonctionneraient comme les C.N.R.F.
  • Il y a lieu de signaler ici que le contribuable ne peut, en l’état du droit, exercer son droit à l’information sur le rapport de l’administration ainsi que tous les autres documents dont l’administration se prévaut pour appuyer sa thèse. Il peut néanmoins se faire assister par un conseil de son choix devant la commission saisie du litige.
  • De la même manière, les irrégularités concernant le déroulement même de la procédure devant la commission, telles que sa composition ou les conditions d’envoi des convocations demeurent sans incidence sur les impositions et n’affectent éventuellement que la dévolution de la charge de la preuve.

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