Les Cortes de Cadix et la Constitution de 1812 : Révolution libérale
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Introduction : L'Ère des Réformes Libérales
Les réformes politiques visant à démanteler l'Ancien Régime ont commencé à être appliquées quelques années plus tôt dans la France révolutionnaire. Toutefois, ce processus a rencontré une forte résistance absolutiste, avec des périodes où l'absolutisme est revenu au pouvoir avec plus de puissance. L'Ancien Régime ne disparaîtra complètement qu'à la fin du siècle. En Espagne, les premières mesures de libéralisation sont apparues sous le règne de José I Bonaparte.
Les Cortes de Cadix (1810-1814)
Pendant la Guerre d'Indépendance, alors que l'Espagne était occupée, les patriotes ont non seulement résisté aux attaques, mais ont également cherché à jeter les bases juridiques pour la modernisation du pays. Le processus de convocation des Cortès avait été initié par la Junte Centrale Suprême, qui cherchait à le réaliser selon la procédure traditionnelle de l'Ancien Régime (par États ou successions). Cependant, la Junte fut dissoute en 1810 et remplacée par le Conseil de Régence, créé à Cadix pour suppléer le Roi. Ce Conseil fut chargé de convoquer les Cortès, appelées Cortes de Cadix.
Une fois l'élection réalisée, leur ouverture solennelle eut lieu le 24 septembre 1810. La guerre a entraîné de nombreuses absences, et il fut décidé de remplacer ceux qui ne pouvaient pas traverser les lignes françaises. La composition sociale montrait une majorité issue de la classe moyenne urbaine, bien que des éléments du clergé et de la noblesse fussent également présents. L'idéologie dominante était libérale, poursuivant des objectifs tels que la liberté individuelle, la séparation des pouvoirs et le droit à la propriété privée. Il était donc nécessaire d'établir un cadre juridique garantissant ces droits. Ces idéaux inspireront la Constitution. Les Cortes de Cadix furent les premières Cortès modernes, utilisant un système de vote unique où les représentants élus jetaient les bases du libéralisme, détruisant les principes de la monarchie absolue et mettant fin à l'Ancien Régime.
Les libéraux ont réussi à imposer une convocation non par États (successions), mais comme une assemblée unique, où chaque membre disposait d'une voix de valeur égale, indépendamment de l'ordre auquel il appartenait. Les électeurs étaient des hommes âgés de 25 ans. Parmi les élus, les membres du clergé, les avocats et les fonctionnaires prédominaient. Il est notable que la paysannerie était peu représentée, malgré son rôle clé dans la lutte contre les envahisseurs français. Les représentants des territoires d'Amérique furent désignés parmi les natifs de ces territoires, membres d'une bourgeoisie libérale.
Principes Constitutionnels Établis
Dans les Cortès, la Loi constitutionnelle établit plusieurs principes d'inspiration libérale, totalement contraires aux conceptions de l'Ancien Régime, tout en proclamant Ferdinand VII comme le roi légitime :
- Les Cortès ont déclaré que la souveraineté résidait dans la nation et ont établi la répartition des pouvoirs de l'État. Le pouvoir législatif était attribué aux Cortès, et l'objectif principal était l'élaboration d'une constitution.
- Les Cortès ont établi la séparation des pouvoirs : le pouvoir législatif (Cortès), le pouvoir exécutif (le Roi) et le pouvoir judiciaire (les tribunaux).
Étant donné que les Cortès de Cadix étaient dominées par le secteur libéral, elles ont représenté le premier épisode de la révolution bourgeoise libérale. Leur but était de créer un nouveau modèle de société fondé sur les trois piliers du libéralisme :
- La liberté économique : demandant l'abolition du système féodal et seigneurial, ainsi que la libéralisation de la propriété et du travail.
- L'égalité juridique : nécessitant l'abolition des privilèges féodaux et la considération de toutes les personnes comme des citoyens égaux devant la loi.
- Un système politique parlementaire et constitutionnel : appelant à l'abolition du pouvoir absolu du roi et à la rédaction d'une constitution.
Le résultat du travail législatif des Cortès fut la promulgation d'un ensemble de lois et de décrets de libération économique et sociale, incluant la liberté de la presse et la répression de l'Inquisition. Mais la tâche principale de cette assemblée fut la promulgation de la première Constitution espagnole authentique.
La Constitution de 1812 : "La Pepa"
La Constitution de 1812 est considérée par les constitutionnalistes américains et français comme l'un des meilleurs modèles occidentaux de constitutionnalisme. Elle fut le résultat d'un compromis entre libéraux et absolutistes, bien que plus favorable aux premiers. Elle fut définie comme un État libéral, mais les absolutistes obtinrent la reconnaissance complète de la religion catholique. Elle fut adoptée le 19 mars 1812 (d'où son surnom "La Pepa"). Très longue (10 titres et 384 articles), nous soulignons les points suivants :
- La souveraineté réside dans la nation, représentée par le Parlement, qui est monocaméral, composé de membres élus au suffrage universel indirect.
- Déclaration de l'État confessionnel et de la religion catholique comme seule religion d'État.
- Le pouvoir exécutif appartient au Roi, qui partage le pouvoir législatif avec le Parlement. Le pouvoir du Roi est limité : il ne peut dissoudre le Parlement, ni quitter le pays ou se marier sans son autorisation.
- Le pouvoir judiciaire est exercé par les tribunaux. Des tribunaux spéciaux sont créés pour les affaires ecclésiastiques et militaires.
- Création d'une armée permanente et d'une Milice Nationale, ayant le double objectif de renforcer l'armée et de défendre l'État libéral.
- Le système électoral est basé sur le suffrage universel indirect, bien que des conditions de recensement (cens) pour les électeurs et les éligibles aient pu être imposées ultérieurement ou dans certaines interprétations.
Périodes de Validité et Décrets Complémentaires
La Constitution de Cadix a connu trois périodes de validité : 1812-1814, 1820-1823, et août 1836 à juin 1837. Après la promulgation de la Constitution, des élections ont eu lieu, permettant aux Cortès ordinaires de compléter la réforme constitutionnelle par les décrets suivants :
- Abolition du système seigneurial. Cependant, cette mesure a finalement favorisé les nobles qui sont devenus propriétaires des biens qu'ils administraient.
- Élimination de la primogéniture et suppression des guildes (corporations), décrétant ainsi la liberté de production, d'approvisionnement et de commerce.
- Liberté de la presse.
- L'Inquisition est supprimée.
- Désamortissement des biens du Waqf et des monastères.
- Déclaration de la confiscation de biens appartenant à l'État ou vacants, bien que cette mesure n'ait pas été efficace.
Les décrets et arrêtés peuvent être divisés en réformes politiques, sociales et économiques.
Réformes Politiques
Division de la souveraineté nationale et des pouvoirs (législatif, judiciaire et exécutif). Instauration du suffrage universel indirect (vote pour tous les hommes de plus de 25 ans, qui élisent ensuite un représentant). Création d'une chambre unique (non par États). Établissement d'une monarchie constitutionnelle, où le Roi doit respecter les lois comme un citoyen normal. Enfin, le confessionnalisme catholique est proclamé (religion catholique comme seule religion universelle). La tâche commencée par Godoy est achevée : l'Inquisition est abolie.
Réformes Sociales
La société d'ordres disparaît (bien que cela n'ait jamais été complètement mis en œuvre). Abolition des droits féodaux, mettant fin aux privilèges seigneuriaux. L'égalité devant la Loi est implantée : tous les citoyens ont les mêmes droits et lois, et la propriété privée est autorisée.
Réformes Économiques
Le libéralisme économique est implanté sous l'influence d'Adam Smith, qui proposait le marché libre, le commerce, etc. Cela a conduit à l'économie de marché et, par conséquent, à l'abolition des corporations et à la liberté de travailler. L'économie est libéralisée, la loi de l'offre et de la demande est introduite, cherchant à maximiser les profits. L'État ne doit pas intervenir. La vente des propriétés associées à l'Église initie la réforme agraire.
Autres Aspects
Réorganisation de l'administration, réforme des finances publiques, établissement d'une armée nationale (supprimant les tests de sang pour rejoindre l'armée), implantation de la première école publique et institution de la liberté de la presse.
Conclusion et Héritage
La Constitution de 1812 représente la première tentative sérieuse de rationaliser l'État et l'exercice du pouvoir sur la base des principes du libéralisme. Elle a servi de modèle pour les constitutions européennes et américaines suivantes, ainsi que pour le développement constitutionnel espagnol du XIXe siècle. Son importance est extrême, notamment pour avoir jeté les fondations libérales. Cependant, l'efficacité de son application fut limitée en raison de la situation de guerre, de l'impossibilité d'appliquer la loi dans les territoires occupés, et, finalement, du retour de Ferdinand VII, qui, après son enlèvement en France, abolit la Constitution pour revenir à sa politique absolutiste initiale.