Crédit Documentaire (Crédoc) : Guide, Fonctionnement, Avantages
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Introduction au Crédit Documentaire
Le crédit documentaire, ou lettre de crédit, ou encore crédoc, est une opération financière spécifique qui se déroule dans un cadre international et qui met en jeu plusieurs acteurs :
- L'acheteur ou importateur, appelé « le donneur d'ordre » ;
- La banque de l'importateur, dite « banque émettrice » ;
- Le vendeur ou exportateur, appelé « le bénéficiaire » ;
- La banque du vendeur, dite « banque notificatrice/conseillère » ou, si elle ajoute son engagement, « banque confirmatrice ».
La banque intermédiaire (notificatrice/confirmatrice) remet à la banque émettrice des documents prouvant que les prestations ont été effectuées. Une fois ces documents validés, la banque émettrice paie la banque intermédiaire, qui paie à son tour le bénéficiaire.
Pour être valide, le crédit documentaire doit comporter les éléments suivants :
- Les noms et coordonnées des parties concernées ;
- Le montant exact du crédit ;
- La désignation précise des marchandises ;
- Les conditions de vente et la durée de validité.
Le crédit documentaire est régi par les Règles et Usances Uniformes (RUU) de la Chambre de Commerce Internationale (CCI), largement reconnues dans le commerce international.
Cet instrument de paiement présente plusieurs avantages pour les deux parties : l'importateur bénéficie de délais de paiement et de la sécurisation de ses importations et livraisons conformément aux conditions du contrat ; l'exportateur, quant à lui, sécurise ses recouvrements à l'étranger.
Le crédit documentaire constitue également un moyen de financement. En effet, si le crédoc est à paiement différé, sa confirmation offre à l’exportateur la possibilité d’obtenir un financement de la banque confirmatrice pendant ce délai.
Cette présentation soulève deux questions primordiales :
- Quels sont les traits distinctifs du crédit documentaire par rapport aux autres moyens de paiement et de financement à court terme ?
- Quelle est la démarche à suivre pour tirer profit du crédoc et quelles sont les modalités de son exercice ?
Pour répondre à ces questions, et à d'autres, nous aborderons le sujet comme suit :
En premier lieu, la conception juridique du crédit documentaire (I), et en deuxième lieu, la réalisation et les enjeux du crédit documentaire (II).
I. La Conception Juridique du Crédit Documentaire
Le crédoc, considéré comme le moyen le plus sécurisé de règlement des transactions commerciales internationales, est soumis à des règles spécifiques. Il fait intervenir plusieurs parties, présente des caractéristiques distinctes et suit des modes précis, notamment le principe d'irrévocabilité.
A. Définition, Règles Applicables et Jurisprudence
Le crédit documentaire est né de la pratique bancaire internationale, sans aucune intervention législative initiale. Son caractère d’instrument international de paiement et de garantie a très vite amené les banques à souhaiter qu’il soit régi par des règles détachées des divers droits nationaux. C’est ainsi que diverses associations privées de banquiers (à Paris, à New York, etc.) ont mis au point, au premier quart du XXe siècle, des règles de fonctionnement du crédit documentaire. Par la suite, la Chambre de Commerce Internationale (CCI) a établi, pour la première fois en 1933, les Règles et Usances Uniformes relatives aux Crédits Documentaires (RUU), régulièrement mises à jour depuis (la version actuelle étant les RUU 600).
La doctrine, à son tour, propose une définition plus large qui englobe tous les types de crédit documentaire. Selon cette définition, le crédit documentaire est l'opération par laquelle une banque (la banque émettrice) s'engage, d'ordre et pour le compte de son client importateur (le donneur d'ordre), à régler à un tiers exportateur (le bénéficiaire), dans un délai déterminé et via une banque intermédiaire (la banque notificatrice ou conseillère), un montant déterminé contre la remise de documents strictement conformes justifiant la valeur et l'expédition des marchandises.
De ce fait, et à l'instar du contrat de commerce international où les parties ont la liberté de choisir les règles applicables à leurs relations mutuelles (loi applicable, juridictions compétentes, modes d'exécution), une question se pose : en cas de litige entre les parties, les juridictions nationales, notamment marocaines, reconnaissent-elles la force obligatoire de ces règles (les RUU) ?
En réalité, la jurisprudence marocaine n'est pas constante sur ce point. Tantôt elle considère que les RUU sont dépourvues de tout caractère contraignant et que les parties au crédit documentaire ont le droit de les écarter, voire de convenir d'aller à l'encontre de ces règles, en se fondant sur la théorie générale des contrats et l’article 475 du Dahir des Obligations et Contrats (DOC) qui dispose que les coutumes et usages ne sauraient prévaloir contre la loi lorsqu'elle est formelle. Tantôt, elle dote les RUU relatives au crédoc d’une force contraignante.
B. Les Parties Intervenantes au Crédit Documentaire
Les principales parties intervenant dans un crédit documentaire sont :
- Le donneur d’ordre (l’importateur) : C’est le destinataire de la marchandise ou du service. Il charge une banque de son choix d’émettre le crédit, s’engageant ainsi à sa place tout en précisant les conditions de réalisation, notamment la présentation des documents précis à remettre par le bénéficiaire.
- Le bénéficiaire (l’exportateur) : C’est la partie en faveur de laquelle le crédit est émis. En contrepartie du paiement, il doit satisfaire aux conditions stipulées dans le crédit. Le bénéficiaire est le fournisseur du bien ou du service.
- La banque émettrice : C’est la banque qui émet le crédit à la demande d’un donneur d’ordre ou pour son propre compte. Elle s’engage à honorer le paiement (à vue ou à terme) sur présentation de documents conformes, c’est-à-dire en accord avec les termes et conditions du crédit, les RUU et les pratiques bancaires internationales standard.
- La banque notificatrice (ou conseillère) : C’est la banque, généralement dans le pays de l'exportateur, qui notifie (informe) le bénéficiaire de l'ouverture du crédit à la demande de la banque émettrice. Elle vérifie l'authenticité apparente du crédit mais ne prend pas d'engagement de paiement, sauf si elle le confirme.
- La banque confirmatrice : C’est la banque qui ajoute sa confirmation au crédit, suite à la demande ou à l’autorisation de la banque émettrice. En confirmant, elle s'engage de manière ferme et irrévocable à payer le bénéficiaire contre des documents conformes, indépendamment de la banque émettrice. Souvent, la banque notificatrice est aussi la banque confirmatrice.
C. Caractéristiques Essentielles et Principe d'Irrévocabilité
En tant qu'instrument de règlement des transactions du commerce international, le crédit documentaire tire sa force de caractéristiques propres qui en font un outil privilégié par rapport à d'autres modes de règlement. Parmi celles-ci, on peut citer :
- Un instrument de paiement efficace : Le crédit documentaire, création de la pratique bancaire, est un moyen de paiement sûr. Il est conçu pour permettre à un vendeur (bénéficiaire du crédit) de s’affranchir des aléas liés à l'insolvabilité, à l'éloignement ou à la mauvaise foi de l’acheteur (donneur d’ordre du crédit).
- L’autonomie de l’engagement bancaire : L’efficacité économique du crédit documentaire provient de l’autonomie de l’engagement du banquier (consacrée par la quasi-totalité des systèmes de droit et les RUU) par rapport au contrat commercial liant le vendeur/bénéficiaire à l’acheteur/donneur d’ordre. Les banques examinent les documents et non les marchandises ou les prestations de services auxquelles les documents se rapportent.
- Un support à de multiples opérations de financement : Instrument de paiement sûr, le crédit documentaire permet également, grâce à l’irrévocabilité de l’engagement bancaire pendant une durée déterminée, de servir de base à diverses opérations de financement (préfinancement, mobilisation de créances).
- L’irrévocabilité : Ce principe fondamental (standard sous les RUU 600, sauf mention contraire explicite) implique qu'un crédit documentaire ne peut être ni modifié ni annulé sans l’accord de la banque émettrice, de la banque confirmatrice (le cas échéant) et du bénéficiaire. Bien que le crédit documentaire irrévocable offre une sécurité de paiement à l’exportateur, celui-ci doit néanmoins prendre certaines précautions :
- En premier lieu, il doit vérifier dès la réception de la notification du crédit que les termes de l’ouverture correspondent exactement à ses attentes, telles qu'exprimées dans le contrat commercial.
- En second lieu, il doit s’assurer de la solvabilité de la banque émettrice et évaluer le risque-pays pour éviter un non-transfert des fonds au moment du paiement.
II. Réalisation et Enjeux du Crédit Documentaire
L’instrument de paiement qu'est le crédoc demande une extrême rigueur. Le paiement ne sera effectif que si toutes les conditions énoncées lors de l’ouverture sont réunies par le bénéficiaire. Malgré les avantages que cette technique présente pour le bénéficiaire, plusieurs contraintes (rigueur documentaire, coûts) peuvent être identifiées.
A. Processus d'Ouverture et de Mise en Œuvre
L'ouverture du crédit documentaire implique plusieurs phases :
L’émission : L’initiation de la transaction, selon les termes du contrat commercial prévoyant un règlement par crédit documentaire, incombe à l’acheteur (le donneur d’ordre). Celui-ci demande à sa banque (la banque émettrice) d'ouvrir un crédit documentaire en faveur du vendeur étranger (le bénéficiaire). Cette demande détaille les caractéristiques et les conditions du crédit. À réception de la demande d’ouverture du crédoc, la banque émettrice analyse sa teneur sous l’angle du risque qu’elle assumera pour le compte du donneur d’ordre. Elle peut alors être amenée à :
- Demander à son client de modifier certains termes ;
- Exiger des garanties suffisantes pour couvrir son risque ;
- Refuser l’opération si le risque lui semble inacceptable.
Une fois la demande acceptée, la banque procède au choix du correspondant bancaire à l’étranger (la banque notificatrice ou conseillère) qui sera chargé de notifier le crédit documentaire au bénéficiaire. Le mode de transmission de l’ouverture du crédit au correspondant (courrier, télex, ou message SWIFT) découle des instructions du donneur d’ordre.
La notification : À la réception de l’avis d'ouverture du crédit documentaire, le correspondant étranger (la banque notificatrice) examine l’opération en fonction du mandat qui lui est confié et de l’engagement qu’il prendrait si une confirmation lui était demandée. S’il s’agit d’une simple notification, la banque notificatrice n'engage pas sa propre responsabilité de paiement mais doit s'assurer de l'authenticité apparente du crédoc avant de le transmettre au bénéficiaire.
La réalisation : Après analyse des termes du crédit notifié, l’exportateur peut demander des modifications au donneur d’ordre, directement ou par l’intermédiaire de la banque notificatrice. L'objectif est de pouvoir réaliser le crédit documentaire sans risquer un refus de paiement pour cause de documents non conformes. Ces modifications (amendements) ne sont opérantes qu’après l’accord explicite de toutes les parties concernées (notamment la banque émettrice, le bénéficiaire et la banque confirmatrice si existante). Une fois que le bénéficiaire est satisfait des termes du crédit et de ses amendements éventuels, il procède à l’expédition de la marchandise et remet à la banque désignée (notificatrice, confirmatrice ou émettrice, selon les termes du crédoc) les documents requis pour la réalisation du crédit documentaire.
Étapes Clés du Déroulement d'un Crédoc
Le processus d'ouverture et de réalisation d'un crédoc comprend typiquement les étapes suivantes :
- L'acheteur (donneur d'ordre) rédige une demande d'émission de crédit documentaire, précisant les instructions nécessaires à son ouverture, qui seront reprises sur la notification au bénéficiaire.
- La banque émettrice ouvre le crédoc auprès de la banque notificatrice (transmission par courrier, télex, ou SWIFT). Elle ajoute son engagement irrévocable au crédoc.
- La banque notificatrice informe le bénéficiaire (exportateur) qu'un crédit documentaire a été ouvert en sa faveur. Si la banque notificatrice confirme également le crédoc (devenant banque confirmatrice), elle s'engage à payer le bénéficiaire si les documents présentés sont conformes.
- Le bénéficiaire expédie la marchandise avant la date limite d'expédition. S'il ne peut respecter cette date, il doit en informer l'acheteur et, avec son accord, demander un amendement au crédoc pour fixer une nouvelle date limite.
- Le transporteur remet au bénéficiaire le document de transport conforme aux exigences du crédoc. Le bénéficiaire réunit la liasse documentaire exigée, la contrôle scrupuleusement pour éviter les irrégularités (réserves), et la remet à la banque désignée (notificatrice, confirmatrice ou directement à l'émettrice) dans les délais impartis par le crédoc.
- La banque désignée (notificatrice si elle est également payeuse/confirmatrice, ou la banque émettrice) vérifie la conformité des documents par rapport aux termes du crédoc et aux RUU. Si aucune irrégularité n'est constatée, elle paie le bénéficiaire, accepte une traite ou s'engage à payer à terme, selon les conditions du crédoc.
- La banque émettrice, après avoir payé ou s'être engagée à payer (directement ou en remboursant la banque confirmatrice/payeuse), débite le compte du donneur d'ordre et lui remet les documents. En possession de ces documents, le donneur d'ordre peut prendre livraison de la marchandise.
B. Avantages du Crédoc pour le Bénéficiaire (Exportateur)
L’exportateur (bénéficiaire) tire plusieurs avantages de l'utilisation du crédit documentaire. Ces avantages sont les suivants :
- Sécurité de paiement : Le bénéficiaire ne procède à l’exécution du contrat (expédition des marchandises) qu’après réception de l'avis d'ouverture du crédoc, qui constitue un engagement bancaire en sa faveur. Étant irrévocable, cet engagement est celui de la banque émettrice. S'il est confirmé, l'engagement de la banque confirmatrice s'ajoute à celui de la banque émettrice, offrant une double garantie et réduisant le risque de non-paiement.
- Facilité de financement : En disposant d’un crédit documentaire irrévocable (et a fortiori confirmé), l’exportateur détient une créance de qualité qu'il peut plus facilement mobiliser (escompte, avance sur documents, cession de créance) auprès de sa banque pour financer son cycle d'exploitation.
- Efficacité du recouvrement : La présentation de documents strictement conformes aux termes et conditions du crédoc déclenche automatiquement le règlement, l'acceptation d'une traite ou la prise d'un engagement de paiement différé par une banque en faveur du bénéficiaire.