Le darwinisme social et la construction de l'Argentine
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Les origines du darwinisme social
Au cours du XIXe siècle, une nouvelle idéologie à caractère social s'est formée et a perduré, devenant particulièrement influente entre 1890 et 1945. Elle est entrée en crise dans les années 1960, mais malgré son déclin, ses vestiges persistent encore aujourd'hui.
La persistance de ce concept s'illustre dans certaines expressions courantes, par exemple : « Tu as un cerveau de moustique », « Il n'a pas la moitié d'un cerveau » ou « Que veux-tu qu'il fasse si son père était un ivrogne ? ».
Cette idéologie postule la supériorité ou l'infériorité intellectuelle en fonction de caractères héréditaires, anthropophysiques ou acquis.
Cette idéologie est née par erreur lorsque l'échec de la Révolution française a conduit les souverains et les dirigeants à mépriser et à persécuter le libéralisme, durant la période connue sous le nom de « Restauration » ou, politiquement, de la « Sainte-Alliance ».
La révolution était alors considérée comme une utopie, une impossibilité, et ses principes libéraux comme une théorie pure, sans applications pratiques dans la réalité.
Ainsi, alors que certains libéraux continuaient de lutter pour les principes d'Adam Smith et de John Locke, d'autres ont tenté de prouver la validité de la théorie libérale en s'appuyant sur un domaine qui ne laissait place à aucun doute : les sciences de la nature.
Herbert Spencer et la survie du plus apte
Un scientifique, Herbert Spencer (1820), s'est consacré à l'étude de la nature pour y trouver une confirmation des principes libéraux. Par exemple, Spencer a prétendu prouver scientifiquement que le principe libéral de la « survie du plus apte » se vérifiait dans la nature, tout comme celui de l'« adaptation à l'environnement ».
L'influence de Spencer s'est étendue tout au long de sa vie. Il est mort au début du XXe siècle et a eu une influence majeure, notamment aux États-Unis.
Charles Darwin et la phrénologie
Le travail de Spencer a été poursuivi, mais dans le domaine de la biologie, par l'auteur de la « Théorie de l'évolution des espèces », Charles Darwin, qui a donné son nom à un concept qu'il n'aurait jamais imaginé. Darwin a ainsi énoncé les principes de l'adaptation à l'environnement et a également jeté les bases des principes de l'hérédité.
Pendant ce temps, un groupe de médecins belges et français se sont lancés dans des études anthropométriques, découvrant les trois types de crânes humains :
- Brachycéphale
- Mésocéphale
- Dolichocéphale
Le problème est que ce groupe, appelé les « phrénologues », a tenté d'associer les caractéristiques des crânes à des niveaux d'intelligence. Ils en sont arrivés à la conclusion absurde que les individus brachycéphales étaient plus intelligents car ils possédaient une plus grande masse cérébrale. Une logique tout aussi absurde que de penser que les éléphants sont plus intelligents que les autres animaux. C'est de là que vient l'expression « cerveau de moustique ».
Ces hommes mesuraient les crânes des dirigeants pour déterminer s'ils seraient de bons ou de mauvais gouvernants.
Friedrich Ratzel et la naissance du racisme
Peu de temps après, au milieu du siècle, Friedrich Ratzel, un autre scientifique et géographe, s'est consacré à l'étude des groupes humains et a fondé la « géographie humaine », qu'il a appelée à l'époque « anthropogéographie » (1856).
Dans ses études, il a découvert l'origine des différentes espèces humaines et les a classées comme suit :
- La race blanche
- La race jaune
- La race noire
- La race rouge
Il est ainsi devenu, sans le vouloir, le père du racisme. Selon lui, l'origine de la race jaune se situait dans le cercle arctique, celle de la race noire à l'équateur africain, et celle de la race blanche entre les tropiques et le cercle polaire américain, avant de se propager à travers le monde.
Lorsque les principes phrénologiques ont été croisés avec les conclusions de Ratzel, il est apparu que les races jaune et noire étaient brachycéphales, tandis que la race blanche était dolichocéphale.
On en déduisait que si un individu de race jaune était déplacé du cercle polaire arctique pour vivre à l'équateur africain, il mourrait, et vice versa. Cependant, si un individu de race blanche est déplacé au cercle polaire ou à l'équateur africain, il survit. La conclusion tirée était donc que « la race blanche est supérieure à la jaune ou à la noire ».
Développements et figures du darwinisme social
Génétique et déterminisme
Gregor Mendel, le père de la génétique, était un moine et prêtre autrichien. Il a établi les « trois lois de l'hérédité » et a même défini les caractères dominants et récessifs des individus.
L'idée que les animaux ont développé des nageoires, des branchies et des écailles simplement parce qu'ils vivaient dans l'eau est une simplification erronée de la pensée de Darwin. De même, il est erroné de croire que l'hérédité est un facteur immuable où tout est déterminé par les gènes.
On a tendance à croire que tous les descendants d'un couple A et B auront exactement la même information génétique. En réalité, chacun aura sa propre information génétique, avec des mutations et des altérations probablement héritées de ses ancêtres.
Ratzel n'a pas compris que la couleur de peau, jaune ou noire, était simplement due à la zone géographique où l'espèce humaine avait vécu.
Cesare Lombroso et Friedrich Nietzsche
Deux penseurs aux idées extrêmes ont marqué la fin du siècle : Cesare Lombroso et Friedrich Nietzsche.
- Lombroso : Vers 1887, il publie un ouvrage intitulé « L'anthropologie criminelle ». Il est, par accident, le père de la criminologie moderne. Il a développé une théorie connue sous le nom de « criminel-né », selon laquelle les criminels le sont avant même d'avoir commis un crime ; ils naissent criminels, cela est inscrit dans leurs gènes. Il affirmait que le dicton « L'occasion fait le larron » est faux ; en réalité, « l'occasion permet au larron de voler ». Malheureusement, Lombroso a étudié un groupe d'individus, classé leurs crimes, puis les a examinés anthropophysiquement à la recherche de traits communs. Croyant les avoir trouvés, il a commencé à identifier les criminels par leur apparence physique : « Ce visage est celui d'un voleur, celui-ci d'un escroc, celui-là d'un violeur, etc. ». Il a ainsi créé le concept du visage de l'individu vertueux. Il suffisait d'étudier le visage d'un sujet pour savoir ce qu'il deviendrait. De là viennent les expressions « ne pas avoir la moitié d'un cerveau » ou « avoir le front bas ».
- Nietzsche : Il conclut qu'il n'existe que deux types d'hommes :
- Les hommes-lions : la minorité, née pour commander.
- Les hommes-agneaux : la majorité, née pour obéir.
De là découle la théorie du leadership, qui prétend aider le processus de sélection naturelle.
Conséquences et influences mondiales
Cette idéologie malheureuse du darwinisme social s'est répandue dans le monde entier et est devenue très influente aux États-Unis.
À l'hôtel Waldorf dans les années 1930, se tenait une fois par an le « Festival des millionnaires ». Cet événement était réservé aux entrepreneurs ayant gagné au moins un million de dollars l'année précédente. On suppose qu'il s'agissait exclusivement d'hommes, car chaque participant recevait un cigare enveloppé dans un billet de cent dollars. Ce billet était destiné à allumer le cigare, car il était jugé préférable de brûler l'argent plutôt que de le donner à un pauvre. Selon cette logique, donner un billet à un pauvre ralentit le processus de sélection naturelle : si on lui donne de l'argent, le pauvre survit au moins un jour de plus, interrompant ainsi le processus. Certains pensaient cependant qu'améliorer les conditions de vie des pauvres pouvait améliorer la qualité de l'espèce humaine, et que le problème n'était donc pas l'hérédité mais l'environnement. L'idée dominante restait d'aider le processus de sélection naturelle.
Les réformateurs libéraux et la Première Guerre mondiale
Une partie de la société pensait différemment. À la fin du siècle, lorsque l'idéologie libérale a pris le contrôle de tous les gouvernements, une série de « réformateurs libéraux » a émergé. Ils souhaitaient conserver le libéralisme tout en corrigeant ses erreurs, notamment sans laisser les pauvres à leur sort.
En Angleterre, en 1892, le Parti travailliste est fondé par des réformateurs libéraux.
La Première Guerre mondiale a eu des conséquences désastreuses, mais aussi quelques effets bénéfiques. L'une des conséquences les plus positives de la guerre fut la libération des femmes. Pendant la guerre, les femmes ont dû prendre la place des hommes, travaillant dans des domaines qui leur étaient jusqu'alors réservés. À la fin de la guerre, lorsque les hommes ont voulu retrouver leurs postes, les femmes, désormais émancipées, n'ont jamais cessé d'être des travailleuses, tout comme les hommes. Les femmes se sont mises à fumer et à boire en public, ont abandonné les tenues vestimentaires contraignantes pour des robes simples s'arrêtant au genou. Elles se maquillaient, cherchant à imiter les hommes pour atteindre leur niveau, ne portaient plus de corset, se coupaient les cheveux courts et consommaient de l'héroïne et de la cocaïne.
L'émergence des totalitarismes
Dans les années 20, le monde a connu une explosion démographique. Cette explosion a atteint un tel niveau que les masses sont devenues indisciplinées. Dans une Europe dévastée par la Première Guerre mondiale, des formes politiques alternatives pour la gestion des masses humaines ont commencé à émerger : les modèles totalitaires. Basés sur le concept des hommes-lions et des hommes-agneaux, des leaders se sont imposés :
- Benito Mussolini (Italie)
- Adolf Hitler (Allemagne)
- António de Oliveira Salazar (Portugal)
- Francisco Franco (Espagne)
- Philippe Pétain (France)
- Joseph Staline (URSS)
- Franklin D. Roosevelt (USA)
Dans ces régimes, l'individu est subordonné à l'État ; l'État est tout. L'État s'incarne dans son chef, réaffirmant la théorie du leadership. Ce fut le grand fléau de la Première Guerre mondiale : la création de systèmes totalitaires. Les résultats furent :
- La surpopulation
- Des gouvernements dépassés
- Le recours à des systèmes totalitaires lorsque le système démocratique échoue, rendant la société ingérable.
Lorsque ces gouvernements tombent entre les mains d'esprits malades comme Hitler, adepte du darwinisme social, celui-ci déclare vouloir « aider la nature à éliminer les masses inférieures », ce qui a conduit à l'extermination des Juifs, des Noirs et des Slaves.
La contestation des années 60
Dans les années 60, en 1968, a eu lieu le « Mai français », un mouvement de jeunesse qui a éclaté à l'université de la Sorbonne à Paris et s'est propagé dans le monde entier. Les manifestants affirmaient vouloir mettre fin au monde décadent que leurs aînés leur avaient laissé. C'était un mouvement subversif, las des formalismes externes.
Le positivisme et la deuxième révolution industrielle
Jean-Paul Sartre est considéré comme le père de l'existentialisme.
Les progrès techniques et scientifiques des XIXe et XXe siècles ont eu une influence considérable. Ces courants de pensée sont génériquement appelés « positivisme », une science positive qui vise à améliorer la qualité de la vie humaine. En revanche, la science en elle-même est neutre, elle n'a pas de sens moral. Avant cela, face aux connaissances limitées, l'initiative revenait aux « académiciens », ces personnages du XIXe siècle qui étudiaient des sujets sans application pratique (par exemple, « Quelle est l'altitude de l'Aconcagua ? »). La pensée positive soutenait que la connaissance devait servir à quelque chose. Toutes ces connaissances devaient mener à ce qu'on appelait le « progrès indéfini » : plus nous aurions de connaissances, plus nous progresserions, pensant que ce progrès ferait disparaître les guerres, la pauvreté, etc. Une vision bien naïve.
Alfred Nobel et la dynamite
Alfred Nobel était un scientifique qui voulait apporter un bienfait à l'humanité en évitant le nombre énorme de décès survenant dans les mines. À l'époque, pour creuser rapidement, on utilisait de la nitroglycérine, un explosif très instable, qui coûtait la vie à de nombreux mineurs.
Nobel menait des expériences et, un jour dans son laboratoire, il laissa tomber un peu de nitroglycérine sur ses mains sans qu'il ne se passe rien. Elle était tombée dans un récipient contenant une substance qui, mélangée à la nitroglycérine, la rendait stable. C'est ainsi que naquit le TNT, ou la dynamite.
Lorsque les guerres éclatèrent, Nobel vit que sa découverte était utilisée pour faire le mal. Pris de remords, avant sa mort, il légua sa fortune pour récompenser les personnes qui apporteraient une contribution bénéfique à l'humanité.
Auguste Comte et la sociologie
Les positivistes se basent sur les travaux d'un certain Auguste Comte. La plupart des positivistes sont athées et ne croient en aucune religion. Pour eux, la religion est presque un fardeau qui ne fait que ralentir le progrès de l'humanité. Ces hommes ont fini par créer une sorte de religion parallèle positive, avec un calendrier positif où chaque jour de l'année était consacré à une personnalité de la science, de l'art, etc.
Ils ont créé une discipline entièrement nouvelle : la « sociologie ». Pour eux, la sociologie, qui étudie les sociétés humaines, est la mère de toutes les sciences.
La deuxième révolution industrielle : l'ère de l'acier
Ils accordaient une grande importance à la première révolution industrielle (1770-1820), marquée par la machine à vapeur appliquée au tissage, aux mines, aux navires et aux trains. Cependant, tous ces progrès étaient limités par un facteur : tout était fait de bois, avec quelques pièces métalliques en bronze ou en fer forgé. Le fer ne pouvait pas être fondu à l'époque, et le cuivre était trop mou. Le problème était que le fer nécessite une température de 1200 °C pour fondre, et aucun four n'était capable d'atteindre cette température.
Jusqu'au milieu du siècle, un Allemand du nom de Bessemer a mis au point un four qui porte aujourd'hui son nom : le « haut-fourneau ». En utilisant du coke, le combustible le plus puissant qui existe, et en injectant de l'oxygène dans le four, Bessemer a réussi à faire fondre le fer.
Il a produit de la fonte fraîche en plaques, mais elle se brisait immédiatement car elle avait perdu tout son carbone et donc son élasticité. La seule chose qu'on pouvait en faire était du mobilier de jardin. On a alors pensé que si le fer perdait du carbone lors de la fusion, il fallait compenser cette perte en en ajoutant. Le problème est qu'on en a mis trop, plus que nécessaire. Le résultat fut la naissance d'un nouveau matériau : l'acier.
Avec l'acier, le fer a retrouvé son élasticité et est devenu encore plus résistant. Cela a déclenché la deuxième révolution industrielle, si profonde qu'on l'appelle aussi « l'ère des machines qui fabriquent des machines ».
- La première application de l'acier a été pour les voies ferrées.
- Ensuite, pour la construction de ponts, ce qui a permis de réduire les distances.
- Enfin, pour construire des navires avec des plaques d'acier.
Le développement des transports a entraîné une contraction de la planète, le monde semblant « rétrécir ».
L'Argentine de la Belle Époque
Le développement des transports et du capitalisme
Le développement des transports a provoqué une contraction de la planète. Cependant, la vitesse atteinte ne signifiait pas pour autant un voyage confortable. Dans le domaine ferroviaire, il a fallu attendre que l'Américain Pullman invente ses wagons pour voyager confortablement, avec des fauteuils rembourrés, des chambres, etc.
Le Titanic est le premier navire à proposer trois classes : première, deuxième et troisième.
Le confort et la vitesse ont favorisé le développement du capitalisme. Jusqu'alors, il était très difficile pour un homme d'affaires de voyager ; il envoyait un tiers, un représentant commercial. À partir de 1900, par exemple, les hommes d'affaires et éleveurs argentins pouvaient se permettre de voyager en Europe dans les meilleures conditions. Le mari, la femme, les enfants, les domestiques et même deux vaches voyageaient ensemble. On disait d'eux qu'ils avaient « la vache attachée » ou qu'ils « jetaient le beurre au plafond ». Une fois par an, ils faisaient un voyage en Europe, y passaient trois mois, louaient un palais et engageaient du personnel de service pour s'en occuper. En 1907, l'Argentine était la 4ème puissance mondiale et le 3ème plus grand producteur de blé.
La société argentine et l'élite
La société de l'époque était profondément divisée en classes. Ce n'est qu'à partir de 1900 que l'on a commencé à voir se former une classe moyenne en Argentine.
Le Palais San Martín, construit par la famille Anchorena sur la Plaza San Martín, a fini par appartenir à une seule personne qui l'a vendu à l'État. En face se trouve le Cercle Militaire, ancien Palais Paz, propriété du propriétaire du journal La Prensa, qui occupait un pâté de maisons entier et employait 95 personnes pour le service de 4 personnes. Le Musée National d'Art Décoratif est l'ancien palais Errázuriz Alvear, qui occupait un demi-pâté de maisons. La famille ne passait que 6 mois à Buenos Aires. Pendant les 6 mois de travail à Buenos Aires, lorsque la chaleur de l'été arrivait, ils n'allaient pas en Europe où il faisait un froid glacial, mais passaient les 3 mois d'été à la campagne. Ils appelaient alors la compagnie de tramway et demandaient qu'on attache deux wagons à leur propriété.
María Harilaos de Olmos était une jeune fille née à Córdoba, mariée à 14 ans avec le gouverneur de Córdoba et devenue veuve à 19 ans. Elle venait d'une très bonne famille espagnole, était orpheline et avait grandi à Paris. Olmos avait 73 ans. Elle a tout légué à l'Église et le Pape l'a faite marquise.
La construction politique de l'Argentine moderne
En Argentine, il n'y avait pas de concept de pays. L'Argentine n'était qu'un groupe de provinces gouvernées par une ville portuaire, Buenos Aires. Il n'y avait pas de conception de la nation, ni d'autorité de l'État.
Avellaneda, Mitre et la naissance du PAN
Ainsi, lorsque Sarmiento transmet la présidence de la nation à Nicolás Avellaneda en 1874, l'élection a de nouveau renforcé le pouvoir du président sur les provinces, ce qui déplaisait aux habitants de Buenos Aires. On le surnommait « taco » car il était de petite taille et portait des chaussures à plateforme. Face à lui se présentaient d'autres figures, dont le très influent Bartolomé Mitre, chef de file des autonomistes de Buenos Aires. Comme Mitre ne pouvait pas corrompre les électeurs, il décida de fomenter une révolution contre Avellaneda. La constitution de 1853 prévoyait un système électoral indirect : le peuple élisait des électeurs, qui étaient ensuite libres de choisir le président et le vice-président. Les électeurs pouvaient choisir le candidat ayant obtenu le plus de voix, un autre candidat ou n'importe quel citoyen de la République. C'est ainsi que Sarmiento fut élu, alors qu'il n'avait jamais été candidat à rien ; il était ambassadeur à Washington lors de l'élection de 1868. Les électeurs ne parvenant pas à se mettre d'accord, les militaires ont imposé leur choix et ont dit aux électeurs de le choisir.
Mitre a tenté de rendre la vie impossible à Avellaneda et de l'empêcher de prendre ses fonctions. Lorsqu'il a appris qu'Avellaneda avait soudoyé les électeurs avec plus d'argent qu'il ne pouvait en offrir, il a décidé que la seule option était de lancer une révolution. Il l'a fait en 1874, mais n'ayant pas suffisamment de soutien militaire, il a échoué. Mitre et tous ses partisans furent alors emprisonnés. C'est ainsi qu'Avellaneda a pris ses fonctions.
L'année suivante, en 1875, Avellaneda a mis en place ce qui allait devenir le Parti Autonomiste National (PAN), en commençant par un « accord des notables ». Il s'agit d'un rassemblement des chefs du pouvoir, réunissant les secteurs qui peuvent s'entendre. Le Parti Autonomiste et le Parti Nationaliste, au lieu de s'affronter, s'unissent puisqu'ils veulent tous la même chose.
Avellaneda a immédiatement libéré Mitre et ses partisans, qui ont rejoint le PAN. Comment fonctionnait le PAN ? D'abord, l'accord des notables : les puissants se réunissaient régulièrement dans des espaces sociaux comme le « Club del Progreso », le « Jockey Club », la « Sociedad Rural Argentina », le « Círculo Militar », des lieux de la haute société. À Buenos Aires, le pouvoir était endogame : tous les hommes qui l'exerçaient étaient liés, cousins au deuxième, troisième, quatrième degré, oncles éloignés, etc.
Une fois qu'une décision était prise par les notables, elle était transmise à l'exécutif. Les véritables secteurs du pouvoir étaient l'exécutif et le PAN, qui faisaient et défaisaient ce qu'ils voulaient. Les députés (représentant la nation) et les sénateurs (représentant les provinces) recevaient des ordres directs du président. L'exécutif choisissait les gouverneurs de province, qui à leur tour désignaient les sénateurs. Pour l'élection des députés, le système était celui de la « liste complète » : le parti qui remportait la majorité des voix obtenait tous les sièges. De plus, la fraude électorale était systématique : corruption des électeurs, vote des morts, changement d'urnes, ou encore blocage des opposants pour les empêcher d'atteindre les bureaux de vote. Peu de gens osaient aller voter, car cela n'avait aucun sens. Le PAN remportait ainsi toutes les élections. C'était un régime, car ils faisaient ce qu'ils voulaient.
Les défis économiques et la Conquête du Désert
Avellaneda avait réussi à pacifier la politique intérieure de l'Argentine. Mais l'un des problèmes majeurs du pays était la « mono-production ». Dans les années 1810-1820, l'Argentine vivait de :
- L'exportation de cuir, utilisé pour les courroies de transmission des machines d'usine, jusqu'à l'invention de la chaîne de transmission en 1830.
- La laine, pendant le « cycle du mouton ». Cependant, les moutons érodaient les sols en mangeant l'herbe jusqu'à la racine.
- À partir de 1875, avec l'arrivée des navires frigorifiques, l'exportation de viande de bœuf est devenue possible.
On a donc commencé à penser à exporter de la viande, d'abord d'agneau, puis de bœuf, vers l'Europe. Les moutons et les vaches ne pouvant pas vivre sur le même territoire, il fallait déplacer les moutons de la province de Buenos Aires vers la Patagonie. Mais en Patagonie, il y avait les Indiens.
La Conquête du territoire argentin
Jusque dans les années 1880, l'économie reposait sur la laine. D'abord exportée brute, elle fut ensuite envoyée pure. La nécessité de diversifier la production est apparue pour ne pas dépendre d'une seule ressource qui détruisait les pâturages. Il est donc devenu nécessaire d'acquérir des terres pour déplacer les moutons de la pampa vers la Patagonie, tandis que les vaches resteraient dans la pampa. Le territoire de la Patagonie n'était pas encore incorporé à l'Argentine. La comparaison des deux territoires (côtier et intérieur) révèle des réalités géographiques opposées, ce qui a donné lieu à un conflit entre les gouvernements fédéral et unitaire.
Caractéristiques spécifiques :
- Région côtière (Buenos Aires) : Économie libérale, terrain de plaine, climat tempéré chaud et humide, rivières permanentes, pluies abondantes et régulières.
- Intérieur : Économie conservatrice, terrain montagneux, climat continental et sec, cours d'eau saisonniers non navigables, précipitations saisonnières et irrégulières.
La Campagne du Désert (1878-1879)
La Campagne du Désert a eu lieu de 1878 à 1879, car des peuples autochtones, les Indiens, vivaient dans cette région. La politique suivie jusqu'alors était de les corrompre pour qu'ils ne fassent pas de raids, mais cela ne donnait aucun résultat. Lorsqu'ils volaient du bétail, ils le vendaient à des éleveurs du sud du Chili. Il y avait un conflit entre les Blancs et le gouvernement indien, qui profitait des confrontations entre Blancs pour mener ces raids. En l'absence de conflit, on soudoyait les Indiens en leur donnant de l'argent, des ponchos, du cuir et divers produits.
Il y avait de nombreuses tribus différentes, toutes originaires d'Argentine, mais elles étaient tombées sous la domination d'un groupe d'origine brésilienne, les Araucans (mal appelés « Mapuches »). Ils sont passés par le nord de l'Argentine, puis Mendoza, le Chili, et sont descendus en Patagonie. Le chef araucan le plus célèbre était Lautaro. Ils ont traversé du sud du Chili au sud de l'Argentine et ont soumis tous les Indiens pour faire face aux Blancs.
Lorsque Avellaneda a réussi à résoudre le problème des partis d'opposition avec le PAN, il a voulu déplacer les moutons en Patagonie. Son ministre de la Guerre était Adolfo Alsina, un autonomiste. Roca n'était alors que le commandant de l'armée aux frontières de Río Cuarto.
Alsina a lancé un projet visant à continuer de corrompre les Indiens, mais aussi à construire un mur pour séparer le territoire indien du territoire blanc, connu sous le nom de « fossé d'Alsina ». Roca, dans une lettre, a qualifié ce projet de farfelu, ce qui a tendu leurs relations. Il l'appelait la « Grande Muraille de Chine en Argentine ».
Heureusement pour Roca, Alsina est décédé subitement en 1877. Avellaneda a alors appelé Roca et l'a nommé ministre de la Guerre.
Le plan d'Alsina consistait à creuser un fossé et à utiliser la terre pour construire un mur, sur lequel on planterait des tiges de bambou taillées. Il pensait que les Indiens ne pourraient pas passer. Les Indiens, cependant, tuaient du bétail, coupaient les têtes et les jetaient dans le fossé pour créer un passage, puis sautaient de l'autre côté à cheval.
Roca a dit à Avellaneda que le mur ne fonctionnait pas. « Économisons ce que nous dépensons en pots-de-vin, et je vous assure qu'avec cet argent, je lève une armée et je leur marche dessus. » Ils ont cessé de payer les Indiens. Roca a envoyé des scientifiques pour comprendre comment les Indiens pouvaient parcourir de longues distances entre la pampa et la Patagonie sans eau. Ils ont découvert les « Salinas Grandes », où il y avait de l'eau salée.
En 1878, Roca a armé une petite armée qui a attaqué et occupé les Salinas Grandes, mettant fin aux raids. Il a alors lancé la campagne pour de bon, en utilisant des télégraphes et des fusils de dernière génération.
Le 25 mai 1879, Roca avait réussi à conquérir tout le territoire jusqu'au Río Negro. Il était accompagné de scientifiques et d'un photographe italien, Antonio Pozzo, qui ne prenait que des photos de paysages.
Tous les moutons ont été déplacés en Patagonie, jusqu'au Río Negro.
La présidence de Julio Argentino Roca
La dernière campagne en Patagonie s'est achevée en 1911, avec l'incorporation du territoire de la Terre de Feu. Les campagnes de conquête du territoire du Chaco ont eu lieu de 1892 à 1919. C'est donc en 1920 que l'Argentine a pris sa forme actuelle.
Les nationalistes, apparus en 1900, ont gagné en influence dans les années 1920 et, en 1930, la « Révolution fasciste » d'Uriburu a vivement critiqué la campagne contre les Indiens.
La Campagne du Désert a servi de tremplin à Julio Argentino Roca pour accéder à la présidence de la nation en tant que membre du PAN.
La fédéralisation de Buenos Aires
Alors que la présidence d'Avellaneda touchait à sa fin et que Roca avait déjà remporté l'élection de 1880, Avellaneda a publié un décret violant la Constitution, privant la province de Buenos Aires de sa capitale.
En 1880, deux mois avant l'investiture de Roca, Avellaneda déclare par décret que la ville de Buenos Aires est désormais la capitale de l'Argentine et que les autorités provinciales sont les invitées de la nation.
Le gouverneur de la province, Carlos Tejedor, a immédiatement protesté et a préparé les forces militaires de la province pour affronter l'armée nationale. Pour éviter un conflit, Avellaneda a déplacé le siège de la présidence et du Congrès dans la ville de Belgrano. Une guerre civile a éclaté, au cours de laquelle l'armée nationale a triomphé. Carlos Tejedor a été vaincu et destitué.
Le 12 octobre 1880, Roca assume la présidence. En se rendant au Congrès, on lui a jeté une pierre et il est entré dans l'hémicycle avec un bandage sur la tête. Le premier acte de Roca en tant que président a été de donner une forme juridique à l'illégalité commise par Avellaneda : Buenos Aires est devenue la capitale de la nation. Un ami de Roca, le Dr Dardo Rocha, a été nommé gouverneur de la province de Buenos Aires. Rocha a fondé une nouvelle capitale pour la province, La Plata, avec son port Berisso-Ensenada, mais le port de Buenos Aires est resté le plus important.
Roca a fait de l'Argentine un pays « moderne » à partir de 1880. Il a désigné son ami Torcuato de Alvear à la tête de la municipalité de Buenos Aires pour un mandat de 6 ans. Alvear a transformé toute la ville, notamment en construisant des systèmes de drainage pour lutter contre les inondations.