Espagne : Économie, Société et Politique (1959-1978)
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Nouvelle politique économique (Espagne, 1959-1975)
Plan de stabilisation (1959)
L’objectif est de surmonter la crise des années 1950. Franco intègre des technocrates (Ullastres, Navarro Rubio, López Rodó) liés à l'Opus Dei. Mesures : gel des salaires, augmentation des taux d’intérêt, réforme fiscale, convertibilité de la peseta, promotion des investissements étrangers. Résultat : l’Espagne se modernise économiquement et s’intègre au marché international.
Plans de développement (1964-1975)
Réalisé par Laureano López Rodó. Trois plans quadriennaux (1964-1967, 1968-1971, 1972-1975). L’État favorise la croissance par des investissements publics et des incitations. Des pôles de développement sont créés (Valladolid, Vigo, Saragosse). En Catalogne : Zone Franche de Barcelone, Tarragona Petrochemical.
Croissance économique sous Franco
Industrialisation accélérée et croissance soutenue depuis 1961. Le PIB par habitant a augmenté de 6,4% par an jusqu'en 1973. Secteurs clés : chimie, sidérurgie, construction, métallurgie. En Catalogne, l'industrie métallurgique se distingue (SEAT, Pegaso, ENHER). Zones industrielles : Barcelonès, Baix Llobregat, Vallès, Maresme, Tarragone.
Reconversion de l'agriculture
- Exode rural massif (plus de 1,5 million d'agriculteurs quittent les campagnes).
- Mécanisation, intensification des cultures, utilisation d'engrais chimiques.
- Changement des habitudes alimentaires : moins de céréales, plus de viande, de fruits et de légumes.
- En Catalogne, la culture fruitière et l'élevage intensif sont en augmentation.
Évolution du secteur tertiaire
- Poussé par l'urbanisation, le commerce et le tourisme.
- Boom touristique : de 6 millions de touristes en 1960 à 34 millions en 1973.
- La Catalogne reçoit 30% du tourisme.
- Le commerce extérieur augmente : l'Espagne importe plus qu'elle n'exporte.
- Importance du financement étranger.
- L'investissement étranger : une main d'œuvre bon marché, sans droits du travail.
- Devises étrangères provenant du tourisme : l'Espagne est une destination bon marché.
- Devises étrangères provenant de l'émigration espagnole vers l'Europe (1,3 million de travailleurs).
Limites de l'économie espagnole
- Dépendance à la technologie et aux capitaux étrangers.
- Infrastructures insuffisantes et fiscalité peu redistributive.
- En 1973, la crise pétrolière met en évidence les faiblesses du système.
Changements sociaux en Espagne
Augmentation de la population
- De 30,4 millions (1960) à 33,8 millions (1970).
- La mortalité infantile diminue, l'espérance de vie augmente.
- Politique de natalité et amélioration des conditions de vie.
- La Catalogne croît davantage grâce à l'immigration interne.
Migrations (Exode rural et émigration)
- Exode rural : 4 millions de personnes vers les villes (1962-1973).
- Zones de destination : Catalogne, Pays Basque, Madrid, Valence.
- Croissance urbaine désordonnée et bidonvilles.
- La Catalogne reçoit beaucoup d'immigration en provenance d'Andalousie, d'Estrémadure et de Castille.
- Émigration étrangère : 1,3 million de travailleurs vers la France, l'Allemagne, la Suisse.
Nouvelle structure sociale
- Les agriculteurs passent de 50% (1950) à 21% (1975).
- Les ouvriers de l'industrie et des services augmentent.
- Consolidation de la classe moyenne (fonctionnaires, techniciens, commerciaux).
- Catalogne : 85% des ouvriers sont des employés de l'industrie.
Nouvelles orientations sociales et culturelles
- Apparition de la société de consommation (électroménager, voiture Seat 600).
- Loi sur l'éducation générale (1970) : amélioration de l'éducation et diminution de l'analphabétisme.
- Passage de la famille élargie à la famille nucléaire.
- Augmentation de la présence des femmes dans les études et le travail, malgré les inégalités.
- Renouveau de l'Église (Concile Vatican II) : curés ouvriers, distanciation du régime.
- Culture de masse : télévision, cinéma et musique modernes.
- Jeunesse critique du régime, influencée par Mai 68.
Catalogne et l'opposition culturelle
- Mouvement culturel et démocratique d'origine civile.
- Revues comme Serra d'Or, projets comme Enciclopèdia Catalana, Òmnium Cultural.
- Nova Cançó : Raimon, Llach, Serrat, Maria del Mar Bonet.
- Actions comme les Fets del Palau (1960), "Volem bisbes catalans" et "Català a l'escola".
- Mouvement pédagogique Rosa Sensat : démocratisation et catalanisation de l'éducation.
Réformisme contre immobilisme sous Franco
À partir de 1957, les technocrates gagnent en influence au sein du gouvernement aux dépens des phalangistes et des militaires. Leur priorité est le développement économique. Ils croient que la prospérité peut remplacer le manque de libertés. Une réforme politique est menée pour donner une image plus moderne du régime, sans modifier son caractère dictatorial.
Réformes législatives notables
- Loi sur les conventions collectives (1958) : permet la négociation des conditions de travail. Les agents de liaison syndicaux sont élus par les travailleurs. Cela permet aux opposants d’infiltrer le système officiel. En 1966, les Comités ouvriers obtiennent des succès électoraux.
- Tribunal de l'ordre public (1963) : remplace la justice militaire par la justice civile dans les délits politiques, mais la répression continue.
- Loi sur la presse (1966) : promue par Manuel Fraga. Elle abolit la censure préalable, mais maintient les amendes et les suspensions.
- Loi sur la liberté religieuse (1967) : introduit la tolérance envers les autres religions, mais l'État reste confessionnel.
- Loi sur la représentation de la famille (1967) : droit de vote réservé aux chefs de famille alliés au régime.
- Loi sur la sécurité sociale (1967) : étend la protection sociale, mais le système fiscal est faible et injuste.
- Loi organique de l'État (1967) : modifie les lois fondamentales et sépare les fonctions de chef de l'État et de président du gouvernement.
En 1969, Franco nomme Juan Carlos de Borbón pour lui succéder.
Relations internationales
- En 1962, l'Espagne a demandé à adhérer à la CEE, mais sa demande a été rejetée car elle n'était pas démocratique. En 1970, un accord commercial est conclu.
- Lors de la décolonisation, l'Espagne cède Ifni (1959), la Guinée (1968) et ne conserve que le Sahara jusqu'en 1975.
Triomphe de l'immobilisme
- Le régime est divisé entre réformistes et immobilistes. Franco se positionne avec ces derniers.
- En 1969 éclate l'affaire Matesa, une affaire de corruption liée au secteur immobilier.
- Cela affaiblit le secteur technocratique et Franco nomme un nouveau gouvernement plus dur avec Carrero Blanco.
- La répression s'intensifie : état d'urgence, arrestations et procès de Burgos (1970) avec condamnations à mort pour les membres de l'ETA (non exécutées).
- Franco paralyse un projet de réforme qui cherchait à légaliser les associations politiques au sein du Mouvement.
Conflits sociaux et opposition politique
À partir de 1960, l'opposition grandit, même de la part de secteurs jusqu'alors favorables au régime. En 1962, lors du congrès du Mouvement européen à Munich, 118 exilés espagnols et opposants (Gil-Robles, Madariaga...) réclament que l'Espagne n'entre dans la CEE que si elle se démocratise. Franco réagit par la répression et qualifie l'acte de « collusion ».
L'Église et le régime
À partir du Concile Vatican II, des secteurs de l'Église se distancient du régime. Actions notables : déclarations de l'abbé de Montserrat (1964), manifestations de prêtres, la Caputxinada (1966) et la nomination du cardinal Tarancón (1969).
Parti communiste et mouvements sociaux
- Le PCE est le parti clandestin le plus fort et contrôle les Comités ouvriers (CCOO).
- Le mouvement ouvrier gagne en force : grèves, assemblées et manifestations.
- En 1962, il y a une grande vague de grèves.
- Les CCOO profitent des élections syndicales de 1966 pour s'infiltrer légalement.
- Un mouvement étudiant très actif et persécuté émerge également.
Terrorisme
- L'ETA, fondée en 1959, commence la lutte armée en 1968.
- D'autres groupes comme GRAPO et FRAP (extrême gauche) et des groupes d'extrême droite (Guerrilleros de Cristo Rey) augmentent la tension.
Partis d'opposition catalans
- Le PSUC est le parti le plus influent de Catalogne.
- Autres groupes : Mouvement socialiste de Catalogne, FOC, ERC, UDC, FNC.
- En 1969, la Commission de coordination des forces politiques de Catalogne a été créée.
Crise de la dictature franquiste
Crise économique (post-1973)
- En 1973 éclate la crise pétrolière. Grande inflation et déficit. Le régime est incapable d’y faire face.
- La société a changé mais le régime est resté immobile.
Décomposition interne du régime
- En 1973, Franco nomme Carrero Blanco président.
- Il veut réunir les familles du franquisme mais est assassiné par l'ETA en décembre 1973.
- La répression s'intensifie.
- En 1974, Arias Navarro propose des réformes, mais le secteur immobiliste l'en empêche.
- La Révolution des Œillets au Portugal (1974) effraie les secteurs les plus conservateurs.
- Les ministres réformateurs partent et le régime montre son incapacité à se renouveler.
Croissance de la contestation
- Entre 1973 et 1975, grèves, manifestations et actions armées se multiplient.
- Le régime décrète des états d'exception constants.
- Des exécutions comme celle de Salvador Puig Antich (1974) ou de cinq militants (1975) provoquent un rejet international.
- Franco répond par une manifestation sur la Place d'Orient et son dernier discours.
Organisation de l'opposition finale
- En 1971, l'Assemblée de Catalogne est créée. Ils réclament la liberté, l'amnistie et un Statut.
- En 1974, trois nouveaux partis naissent : 1. Convergència Democràtica de Catalunya (Jordi Pujol) 2. Reagrupament Socialista (Josep Pallach) 3. Convergència Socialista (Joan Reventós).
- Au niveau espagnol, Felipe González est élu secrétaire du PSOE à Suresnes (1974).
- Le PCE continue d'être le parti clandestin le plus influent.
- Le PCE crée la Junta Democràtica (1974) et le PSOE la Plataforma de Convergència Democràtica (1975).
- En 1976, ils se réunissent au sein de la Coordinación Democràtica, connue sous le nom de « Platajunta ».
Mort de Franco
- En 1973, le conflit autour du Sahara s’intensifie. Le Maroc organise la Marche Verte (1975) et l'Espagne se retire en signant les accords de Madrid.
- Le 20 novembre 1975, Franco meurt.
- Il laisse derrière lui un régime en crise, incapable d'arrêter la démocratisation qui s'amorce déjà.
La Transition démocratique espagnole
Réforme politique (1975-1977)
Après la mort de Franco le 20 novembre 1975, Juan Carlos Ier fut proclamé roi selon les lois franquistes. Ainsi commence la transition politique, non pas par une rupture, mais par une réforme progressive.
Les partisans de Franco sont divisés entre les immobilistes (ils veulent maintenir la dictature) et les réformistes (ils veulent des réformes des propres institutions du régime). Parmi les réformateurs, se distinguent Manuel Fraga et Adolfo Suárez.
L'opposition démocratique est très diverse : 1. droite libérale (Gil-Robles, Ruiz Giménez), 2. monarchistes favorables à Joan de Borbón, 3. nationalistes (CDC avec Pujol, ERC, PNB), 4. PSOE renouvelé avec Felipe González et Alfonso Guerra, PCE dirigé par Santiago Carrillo, 5. CNT (avec peu d'influence).
Au début de 1976, le gouvernement d'Arias Navarro fut durement critiqué pour la répression des grèves (comme celle de Vitoria, avec 5 morts). Le roi le força à démissionner en juin 1976 et nomma Adolfo Suárez Premier ministre.
Suárez promeut la Loi de Réforme Politique (LRP), approuvée par les Cortès franquistes en septembre 1976 et ratifiée par référendum en décembre (avec 94,1% des voix en faveur). Cette loi permet des élections démocratiques aux assemblées constituantes et d’entamer le processus vers une nouvelle constitution.
Le gouvernement de Suárez est confronté à des tensions : manifestations de rue, demandes d'amnistie, attaques terroristes (ETA, GRAPO) et pression de l'armée. Pour le contrôler, Suárez nomme le général Gutiérrez Mellado comme vice-président.
Premières élections démocratiques (1977)
En juin 1977, les premières élections démocratiques depuis la Seconde République ont lieu. Avant cela, les syndicats sont légalisés, une amnistie est déclarée pour les prisonniers politiques, le Mouvement national et le syndicat vertical sont éliminés. Le PCE est légalisé en avril malgré les réticences de l'armée. Il y a beaucoup de tension entre janvier et avril 1977 en raison des actions des groupes terroristes et d'extrême droite, comme l'assassinat des avocats d'Atocha. Cependant, Suárez maintient le processus de réforme et l’opposition soutient son gouvernement.
Partis principaux aux élections de 1977 : UCD (Suárez), PSOE (Felipe González), PCE (Carrillo), AP (Fraga). En Catalogne : PSC, PSUC, Pacte démocratique pour la Catalogne (CDC et UDC), ERC.
Résultats au niveau de l'État : l'UCD l'emporte avec 34,6%, le PSOE 29,3%, le PCE 9,4%, l'AP 8,3%. En Catalogne : le PSC l'emporte (28,4%), suivi du PSUC, du Pacte Démocratique et de l'UCD.
Les nouvelles Cortes ont deux objectifs : rédiger une constitution démocratique et faire face au terrorisme et aux menaces de coup d'État. Il est également nécessaire de s’attaquer à la crise économique provoquée par la crise pétrolière de 1973.
Le processus constitutionnel
Les nouvelles Cortes commencent à rédiger la constitution de 1978. Des représentants de tous les partis y participent : UCD, PSOE, PCE, CDC, AP. L’objectif est une constitution consensuelle, qui puisse être acceptée par tout futur gouvernement.
La constitution fut approuvée par les Cortes le 31 octobre, par le peuple lors d'un référendum le 6 décembre et par le roi le 27 décembre 1978.
Contenu fondamental de la Constitution de 1978
- L’Espagne est un État de droit démocratique et social, non confessionnel, doté d’une souveraineté nationale et d’une forme de monarchie parlementaire.
- Le roi est le chef de l’État avec une fonction représentative.
- L'armée est soumise au pouvoir civil.
- Le droit à l’autonomie des nationalités et des régions est reconnu.
Droits reconnus par la Constitution
- Droits individuels : à la vie, à l'éducation, à la liberté de religion, d'opinion, d'expression, d'association...
- Droits sociaux : à la santé, à un logement décent, à la protection sociale, à un emploi.
- La peine de mort est abolie. L'âge de la majorité est fixé à 18 ans.
Organisation de l'État selon la Constitution
- Les Cortes ont deux chambres (Congrès et Sénat) et sont élues au suffrage universel.
- Le gouvernement exerce le pouvoir exécutif.
- Le pouvoir judiciaire est entre les mains des juges.
- La Cour constitutionnelle est créée pour assurer le respect de la Constitution.
- La constitution réglemente l'autonomie territoriale : Des communautés autonomes peuvent être créées si certaines conditions sont remplies.
- Il existe deux chemins : rapide pour les nationalités historiques (Catalogne, Pays Basque) et lent pour les régions.
- Chaque communauté dispose d’un statut d’autonomie.
- La solidarité et l’équilibre territorial sont promus.