Madame Bovary : Rêve et Réalité, Analyse du Bovarysme
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Analyse Linéaire : Madame Bovary, Chapitre 12
Introduction
Nous allons analyser un extrait du roman Madame Bovary de Gustave Flaubert, publié en 1857. Ce passage se situe au chapitre 12 de la deuxième partie du livre. À ce moment du récit, Emma Bovary vit à Yonville avec son mari Charles, mais elle est profondément insatisfaite de sa vie. Elle a commencé une liaison avec Rodolphe, un homme séduisant mais volage. Juste avant cet extrait, elle lui a proposé de fuir avec elle. Dans ce passage, Flaubert nous plonge dans les rêveries d’Emma, alors que son mari dort à côté d’elle.
Nous allons maintenant procéder à la lecture du texte.
Ce texte nous interroge sur plusieurs aspects, notamment :
La rêverie d'Emma : illustration du bovarysme ?
Pour répondre à cette question, nous examinerons d'abord comment le début du texte présente une vie ordinaire en apparence. Ensuite, nous verrons comment le rêve d’Emma propose un bonheur totalement idéalisé. Enfin, nous terminerons sur le retour brutal à la réalité.
I. Une vie ordinaire, mais en apparence seulement
Dès la première phrase, la scène se déroule dans l’intimité d’un couple, au moment du coucher. Emma est dans le lit avec son mari. Cependant, cette image d’un couple uni est trompeuse. On lit : « elle faisait semblant d’être endormie ». Le verbe « faire semblant » trahit déjà une forme de jeu, de mensonge.
Cette phrase oppose clairement Emma et Charles. Tandis que lui s’endort, elle s’éveille à d’autres rêves. Il y a ici une véritable antithèse entre eux deux : Charles est plongé dans un sommeil lourd, presque insensible, tandis qu’Emma, elle, s’éveille… mais dans son imagination. Cela souligne leur éloignement émotionnel.
Un autre détail important : Charles n’est même pas nommé, il est juste désigné par « il ». Cela montre à quel point il est effacé dans l’esprit d’Emma. Elle ne pense déjà plus à lui. Et même si physiquement ils sont proches, dans le même lit, en réalité, tout les sépare.
On observe également un jeu de verbes pronominaux très révélateur : « il s’assoupissait » / « elle se réveillait ». C’est un véritable miroir inversé. Ainsi, ce lit, symbole normalement de l’intimité du couple, devient presque le lieu de leur rupture intérieure.
II. Un bonheur totalement rêvé et idéalisé
Dans la deuxième partie du texte, Emma s’évade dans un rêve très construit. Cela commence avec « au galop de quatre chevaux » : nous sommes directement plongés dans une scène romanesque, digne d’un roman d’aventure ou d’amour. Le verbe « elle était emportée » montre bien qu’elle ne contrôle plus rien, elle se laisse porter par son rêve.
Le style devient très lyrique, marqué par des accumulations et des images sensorielles. On y voit des « cités splendides », « des cathédrales de marbre blanc », « des forêts de citronniers ». Tous les sens sont sollicités :
- L’odorat, avec les fleurs et les fruits ;
- L’ouïe, avec les cloches et les guitares ;
- La vue, avec les couleurs et les statues.
Tout est très vivant et très riche.
Ce passage évoque un voyage exotique, entre l’Italie et l’Espagne, presque un collage de cartes postales. On y trouve aussi une série de verbes au conditionnel : « ils se promèneraient, ils se balanceraient ». Ce temps a une valeur d’irréel : Emma sait, inconsciemment, que ce bonheur n’est qu’un fantasme.
Il y a également des comparaisons très douces : « leur existence serait facile et large comme leurs vêtements de soie », ou « toute chaude et étoilée comme les nuits douces ». C’est très sensuel, très idéalisé. Emma rêve d’une vie libre, loin des contraintes, une vie de luxe et de plaisir.
Mais justement, cette perfection est suspecte : les jours « se ressemblaient tous », comme « des flots ». C’est beau, mais un peu vide. C’est une fuite du réel plus qu’un projet concret.
III. Le retour brutal à la réalité
Et puis… tout s’arrête, d’un coup. Il y a une rupture marquée par le mot « mais ». Ce petit mot ramène Emma à la réalité.
Plusieurs éléments concrets la ramènent au quotidien :
- Son enfant tousse, rappel de son rôle de mère et de ses responsabilités.
- Charles ronfle plus fort, renforçant l’image d’un homme ennuyeux, loin du romantisme.
- Justin ouvre les volets de la pharmacie, incarnant le réel de Yonville, la petite ville où elle est bloquée.
Tout est redevenu banal, quotidien, et surtout, très éloigné du rêve.
Le texte finit sur « la pharmacie » : un mot très concret, presque froid. C’est aussi un mot qui annonce la fin tragique, puisque c’est dans cette pharmacie qu’elle trouvera le poison de son suicide.
Emma finit par s’endormir… mais au petit matin. Là encore, on observe une inversion totale : quand les autres se réveillent, elle, elle s’endort. C’est une manière de montrer qu’elle vit à contretemps du réel.
Conclusion
Cet extrait nous montre bien la double vie d’Emma : extérieurement, elle est une femme mariée, mère de famille, mais intérieurement, elle rêve d’une passion impossible. Sa rêverie est une forme de fuite, une illusion qu’elle entretient pour échapper à une vie qu’elle trouve vide et sans amour. Cette opposition entre rêve et réalité, entre idéal et quotidien, est au cœur même du bovarysme.
Ouverture
Ce conflit entre le désir d’un amour idéal et la réalité décevante se retrouve aussi chez un autre personnage célèbre : Anna Karénine, dans le roman de Tolstoï. Elle aussi cherche à fuir un mariage sans amour, elle aussi s’invente un bonheur qui finira par la détruire. Comme Emma, elle est victime de ses illusions.