Manifeste d'Alphonse XII : Restauration monarchique et constitutionnelle en Espagne

Contexte de la Restauration

La fin de l'ère élisabéthaine (1868)

La période élisabéthaine avait marqué la domination du parti modéré, favorable à une interprétation restrictive des droits et libertés libérales et à l'idée de souveraineté partagée (Roi et Cortes). Ce régime favorisait également le pouvoir politique des propriétaires terriens et conservateurs, bénéficiaires des confiscations, et bloquait l'accès au pouvoir des partis d'opposition (libéraux, démocrates), les contraignant à la révolution.

Le gouvernement provisoire et la monarchie démocratique (1869)

En 1868, l'objectif révolutionnaire était clair : instaurer la démocratie. Le gouvernement provisoire (Serrano et Prim) établit un système démocratique par la Constitution de 1869. Il répond aux revendications populaires (abolition de la taxe du cinquième et de la consommation), mais les circonstances l'empêchent de les satisfaire pleinement. La Constitution définit une monarchie démocratique et Amédée de Savoie, fils de Victor-Emmanuel II, est choisi comme roi.

L'échec d'Amédée de Savoie et la Première République (1873-1874)

Amédée de Savoie ne parvient pas à consolider la monarchie. Isolé après l'assassinat du général Prim, rejeté par l'aristocratie, la bourgeoisie et le clergé, soutenu seulement par une petite faction du parti progressiste, confronté aux républicains, attaqué par les carlistes (déclenchant la troisième guerre carliste), et incapable de résoudre le problème cubain (guerre ouverte depuis 1868), il abdique en février 1873.

La Première République, immédiatement proclamée, voit les problèmes s'intensifier : non reconnue internationalement (sauf par la Suisse et les États-Unis), divisée entre républicains unitaires et fédéraux, confrontée à l'agitation sociale, à la guerre carliste et au problème cubain, elle doit gérer le cantonalisme, visant à établir des cantons (républiques indépendantes) sur le territoire national.

Le général Pavia met fin à cette situation chaotique en janvier 1874 en entrant au Congrès des députés avec ses troupes.

La République, dirigée successivement par Figueras, Pi i Margall, Salmerón et Castelar, continue théoriquement sous la dictature militaire du général Serrano.

Le retour à la monarchie

Les troubles sociaux et la nature dictatoriale du régime poussent les classes conservatrices à restaurer la monarchie. Cánovas doit convaincre ces classes que la monarchie élisabéthaine est révolue. Il faut une solution garantissant leur domination tout en évitant les erreurs du passé (soulèvements, marginalisation des groupes d'opposition).

Cánovas défend la restauration d'Alphonse XII et obtient le soutien du Parlement. Le général Martínez Campos proclame Alphonse XII roi d'Espagne le 29 décembre 1874 à Sagunto. Alphonse XII débarque à Barcelone le 9 janvier 1875, marquant le début de la Restauration.

Conditions favorables à la Restauration

Contexte international

Au niveau international, le contexte est favorable. L'Europe sort de la répression des mouvements ouvriers, l'AIT est dissoute (en partie à cause des divisions entre anarchistes et marxistes). Le continent est plus stable politiquement et économiquement, avec une ouverture des échanges et des investissements. Les pays européens et le Saint-Siège reconnaissent rapidement le nouveau régime.

Commentaire sur le Manifeste d'Alphonse XII

Précisions sur le contexte

Alphonse XII est le candidat unique au trône. Isabelle II, déchue en 1868, abdique en faveur de son fils en 1870. Cánovas prépare le terrain pour la restauration des Bourbons.

L'Espagne, nominalement républicaine, est dirigée par le général Serrano après le coup d'État du général Pavia contre la République fédérale en janvier 1874. Serrano suspend les droits constitutionnels et instaure une dictature militaire pour maintenir l'ordre. Cánovas profite de cette situation pour promouvoir son projet.

La référence aux institutions libres de 1812 évoque la Régence et les Cortes qui ont lutté contre Napoléon et mis fin provisoirement à l'absolutisme, une victoire consolidée en 1840 après la guerre carliste.

Le projet politique du Manifeste

Le Manifeste d'Alphonse XII préconise une monarchie héréditaire et constitutionnelle, suffisamment souple pour résoudre les problèmes du pays. Pour Cánovas, la monarchie est la forme d'État idéale. Il défend la notion de « constitution interne » : avant les constitutions écrites, l'Espagne avait les Cortes, représentant la nation, et la monarchie, garante de l'unité et désignée par Dieu. Cortes et monarchie sont titulaires de la souveraineté.

La Constitution de 1876 organise le nouveau régime. Elle est un compromis entre les Constitutions de 1845 et 1869, intégrant les principales tendances politiques. De 1845, elle reprend la souveraineté partagée et la prédominance du monarque. La Déclaration des droits est similaire à celle de 1869, mais son application est laissée aux lois ordinaires.

La question religieuse est un compromis entre État confessionnel et liberté religieuse.

Le turnismo

Le turnismo est un autre pilier du système. Seuls les partis anti-monarchiques (républicains, carlistes, socialistes, anarchistes, etc.) sont exclus du jeu politique.

Deux grands partis, les partis dynastiques (Parti conservateur de Cánovas et Parti libéral de Sagasta), représentent la société. Ce ne sont pas des partis de masse, mais des groupes d'influence. Leurs différences programmatiques sont minimes : les libéraux sont plus favorables à l'extension des droits et aux réformes sociales, les conservateurs privilégient l'ordre, l'autorité et la tradition.

Pour éviter les coups d'État, le roi désigne le parti au pouvoir. Le parti désigné organise des élections qu'il remporte par la fraude, obtenant la majorité au Parlement et formant le gouvernement. Ce système permet une alternance politique pacifique et une stabilité.

L'armée défend la loi et le pays, mais n'intervient pas en politique.

Consolidation du système

Le système de Cánovas consolide la Restauration et la société libérale-capitaliste. Cánovas surmonte les obstacles : départ des républicains, fin du cantonalisme et victoire sur les carlistes en 1876. La pacification de Cuba suit avec la paix de Zanjón en 1878.

Le projet de Cánovas ne se limite pas à la situation intérieure. L'Espagne ambitionne une place parmi les grandes puissances coloniales.

Le Manifeste insiste sur l'importance de l'esprit libéral et de la foi catholique, pour contrer les carlistes qui bénéficient du soutien du clergé.

Définitions

Monarchie constitutionnelle

Système de gouvernement présidé par un roi soumis à une constitution.

Libéral

Partisan du libéralisme, doctrine défendant la suprématie de la loi naturelle, l'exaltation de l'individu et de ses droits, la non-ingérence de l'État dans la vie sociale et économique, et la souveraineté populaire.

Cortes

Autorité législative et représentante de la nation. Le texte fait référence aux origines médiévales de cette institution en Espagne.

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