La Philosophie Scolastique : Thomas d'Aquin et Guillaume d'Ockham

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La Scolastique Chrétienne : Thomas d'Aquin

Contexte Historique : Moyen Âge et Ordre Féodal

La société d'ordres, avec une forte hiérarchie sociale rigide, comprenait le clergé, la noblesse et les paysans. La vie sociale était fondée sur la morale chrétienne, et le Pape était l'autorité suprême de la chrétienté.

Le système de classes était fondé sur la double propriété de la terre : le droit d'usage (pour les paysans) et le droit de propriété (pour les seigneurs féodaux).

La culture était préservée dans les monastères, où les communautés de moines étaient soumises à une règle dont les piliers étaient la prière, l'étude et le travail. Ils se consacraient à la copie et à l'enluminure de livres, assurant ainsi la transmission des connaissances.

À partir du XIIIe siècle, les villes se développent avec l'essor des commerçants et artisans, donnant naissance à de nouveaux ordres religieux (Franciscains et Dominicains) et à l'émergence d'universités et de centres de recherche : Paris, Oxford, Salamanque, Bologne, etc.

La Philosophie Scolastique

Caractéristiques Générales

  • La scolastique chrétienne est une tradition de pensée de l'Europe médiévale, débutant au XIe siècle avec des penseurs de diverses tendances, principalement néoplatonicienne augustinienne au XIIIe siècle. Elle est influencée par la pensée islamique et d'Aristote à travers les traductions de l'arabe (École des Traducteurs de Tolède d'Alphonse X le Sage).
  • La métaphysique aborde le problème des universaux (ce qui est commun à tous les individus d'une même espèce) :
    • Réalisme (Platon) : Les universaux ont une existence réelle dans un monde transcendant.
    • Réalisme Modéré (Aristote) : Seul l'individu existe ; les universaux sont les essences des choses matérielles et se manifestent dans les individus (plusieurs représentations).
    • Réalisme Augustinienne (variante du platonisme) : Les universaux sont des types idéaux qui existent dans l'esprit divin et forment la substance essentielle des choses.
    • Conceptualisme (variante de l'aristotélisme) : Les universaux sont des idées conçues et n'existent qu'en tant que telles dans l'esprit.
    • Nominalisme (version radicale du conceptualisme) : Les universaux ne sont que des noms sans réalité extra-mentale ; il n'y a que les individus singuliers.

Étapes et Auteurs

Premiers Systèmes
  • Jean Scot Érigène (IXe siècle) : Condamné plus tard pour hérésie panthéiste.
  • Saint Anselme de Cantorbéry (XIe siècle) : Connu pour l'argument ontologique.
Première Synthèse Doctrinale (XIIe siècle)
  • Pierre Abélard : Enseigne la dialectique, comprise comme une méthode de discussion rationnelle, et aborde le problème des universaux.
  • Pierre Lombard : A écrit le Livre des Sentences.
Apogée (XIIIe siècle) : Deux Courants
  • Le courant augustinienne traditionnel, intégré à la métaphysique d'Avicenne, promeut le développement scientifique à l'Université d'Oxford en utilisant la méthode expérimentale : Grosseteste, Roger Bacon, Duns Scot.
  • L'Aristotélisme, influencé par la culture musulmane d'Andalousie, se divise en deux volets : l'averroïsme latin ou hétérodoxe (avec Siger de Brabant), et le courant orthodoxe (avec Albert le Grand et Thomas d'Aquin).
Crise et Déclin (XIVe siècle)
  • Critique de la synthèse thomiste : la séparation entre la foi (théologie) et la raison (philosophie), par Guillaume d'Ockham (nominalisme).
  • Développement de la mystique (Maître Eckhart).

Thomas d'Aquin

Métaphysique

  • La création du monde à partir de rien par Dieu implique la contingence radicale (le monde dépend de Dieu pour exister).
  • Distinction entre l'essence (puissance) et l'existence (acte) :
    • L'essence est ce qui définit les choses, ce qu'elles sont.
    • L'existence est l'actualisation de l'essence, ce qui la fait exister.

Hiérarchie des Êtres (Métaphore de l'Ordre Féodal)

  • a) Substances séparées (sans matière) :
    • Dieu est simple, l'acte pur ; son essence est son existence.
    • Les anges ou intelligences sont composés d'essence et d'existence.
    • L'âme de l'homme est un esprit qui se lie à un corps.
  • b) Êtres composés de matière et de forme (hylémorphisme d'Aristote) :
    • Le corps humain est uni substantiellement à l'âme.
    • Les êtres matériels sont composés de matière et de forme.
    • La matière première est la puissance pure et le principe d'individuation.

La Théologie Naturelle

  • C'est une partie de la métaphysique qui étudie Dieu en tant que connaissable par la raison.
  • Réfutation de l'argument ontologique : Thomas d'Aquin considère le passage de la pensée à l'existence comme injustifié.
  • Les cinq voies thomistes pour démontrer l'existence de Dieu : le mouvement, la cause efficiente, la contingence des êtres, les degrés de perfection, et l'ordre cosmique (cause finale).

Anthropologie Thomiste

  • Unité de l'âme et du corps (composés de matière et d'esprit) ; propriétés de l'âme : immatérielle, immortelle, créée par Dieu à son image (personne) et donc dotée d'intelligence et de volonté.
  • Épistémologie (théorie aristotélicienne de l'abstraction) : la connaissance distingue la matière et la forme, capturant l'universel dans le particulier.
    • Les sens capturent les objets sensibles en distinguant les matières, donnant lieu à une image ou un fantôme (représentation imaginaire des choses).
    • L'intelligence dépouille le fantôme de ses caractères individuels (espace, temps, nombre, etc.) et saisit l'essence intelligible ou universelle des choses, pour former l'espèce intelligible.
    • L'intellect patient recueille les espèces intelligibles (mémoire) et produit le verbum mentis, ou le concept universel.
    • Thomas d'Aquin défend, contre les averroïstes, l'unité de l'intellect agent et patient dans l'âme individuelle créée par Dieu.

Morale et Théorie Politique

  • Les êtres humains sont fondamentalement moraux :
    • Leur volonté tend vers le Bien universel (qui est Dieu), mais ils peuvent choisir entre le mal ou le bien (le libre arbitre de l'homme, source du mal moral).
    • La fin naturelle de l'homme vertueux est le bonheur dans la société ; la fin surnaturelle est la félicité éternelle ou la contemplation de l'essence divine.
    • Les vertus sont de bonnes habitudes qui aident à atteindre les fins naturelles (Aristote) ; les vertus théologales (foi, espérance et charité) aident à atteindre les fins surnaturelles, la grâce étant conférée par l'Église.

Quatre Types de Lois

  • La Loi Éternelle est la raison de la sagesse divine, qui régit toutes les actions et les mouvements, dirigeant l'homme vers sa fin.
  • La Loi Naturelle participe à la loi éternelle ; elle est promulguée par la lumière de la raison, suite à la réflexion sur les inclinations naturelles de l'homme, origine des droits naturels de tous les hommes.
  • La Loi Divine Positive, révélée par Dieu (les commandements moraux), prévoit la fin surnaturelle de l'humanité.
  • La Loi Positive Humaine, promulguée par l'État : si elle est en désaccord avec la loi naturelle, c'est une perversion, un acte contre la loi divine qui ne doit pas être respecté ; si elle est en accord avec la loi naturelle, elle est juste et exige en toute bonne conscience qu'elle découle de la loi éternelle.

Théorie Politique

  • L'ordre naturel de la société humaine est auto-dirigé par l'État.
  • Les traits fondamentaux de la nature humaine sont la raison et la sociabilité.
  • Le gouvernement cherche la société parfaite et le bien commun.
  • La fin de la société est la vie bonne et vertueuse.
  • Le bien particulier est subordonné à l'intérêt commun.
  • L'État est subordonné à l'Église, de même que le naturel au surnaturel et la raison à la foi.
  • Types d'États : leur qualité peut être bonne ou mauvaise ; par le nombre de dirigeants (un seul, un groupe, la majorité).

Nominalisme : Guillaume d'Ockham

Contexte Historique

  • Crise du système féodal, lutte entre la papauté et l'Empire, développement des États-nations. Schisme d'Occident.
  • Guillaume d'Ockham, après avoir critiqué l'Église romaine, est persécuté par la Curie romaine et se réfugie en Allemagne.

Philosophie d'Ockham

  • Critique de la théologie naturelle de Thomas d'Aquin : Dieu est omnipotent et ne peut être connu par la raison humaine. La seule restriction qui limite l'action divine est le principe de contradiction.
  • Le problème des universaux : Sa position se situe entre un nominalisme modéré et le conceptualisme aristotélicien. Il n'y a que des êtres individuels ; les universaux sont des signes linguistiques impliquant une perception confuse des objets.
  • Critique de la métaphysique et de la philosophie des sciences :
    • Les concepts de cause à effet sont des idées de l'homme, dont la réalité est à prouver.
    • Les essences n'existent pas ; il faut éliminer les entités inutiles (Rasoir d'Ockham : Non sunt entia multiplicanda praeter necessitatem – « Il ne faut pas multiplier les entités sans nécessité »).
    • Il n'y a qu'une connaissance intuitive d'objets singuliers ; la connaissance scientifique est de nature hypothétique.

Théorie Morale et Politique

  • La morale est conventionnelle : les lois morales ne sont pas prescrites par Dieu, mais sont le résultat d'un accord entre les hommes pour vivre en société.
  • La loi naturelle, établie par Dieu, produit des droits naturels (à la vie, à la propriété), qui peuvent être connus par la raison humaine.
  • Séparation de l'Église et de l'État.

Influence Historique (Annonce de la Renaissance)

  • Dans la théologie : Les racines de la Réforme protestante en Allemagne.
  • Dans la philosophie de la science : Le mouvement nominaliste développe la recherche scientifique au XIVe siècle. Nicolas d'Oresme souligne la possibilité de l'héliocentrisme.
  • En politique : En soutenant l'indépendance des princes vis-à-vis de l'autorité papale, il est à l'origine de l'État-nation moderne.

Les Voies Thomistes pour la Démonstration de l'Existence de Dieu

  • Les voies thomistes partent de l'expérience sensible pour s'élever à la connaissance de Dieu. Il y a cinq voies, toutes avec le même schéma de base, mais chacune choisit un point de départ différent : le mouvement (via manifestior), la causalité, la contingence, la perfection et la finalité.

Aperçu de l'Exposition (Quatre Étapes)

  • 1. Partie sensible de la preuve : Les êtres matériels (objet immédiat de la connaissance humaine) :
    • Sont en mouvement (passent de la puissance à l'acte) (appelée via manifestior par Thomas).
    • Sont causés par un autre être.
    • Sont contingents (dépendent d'un autre être pour exister).
    • Sont imparfaits dans les qualités qu'ils manifestent (le bien, la vérité, la beauté, etc.).
    • Sont ordonnés vers une fin de perfection, comme on le voit dans l'ordre du cosmos (la preuve téléologique).
  • 2. Mise en œuvre d'un principe métaphysique :
    • Tout ce qui bouge est mû par un autre.
    • Tout est causé par une autre cause.
    • Il y a un être nécessaire.
    • L'imparfait participe à un degré suprême de perfection.
    • L'ordre cosmique exige une cause finale qui l'établit.
  • 3. On ne peut pas expliquer l'existence des êtres, ni leurs qualités qualitatives et quantitatives, par une généralisation ou une « régression à l'infini », car :
    • Le mouvement éternel n'existe pas (Aristote).
    • Les effets perdent leur réalité existentielle à l'égard de leurs causes (Platon).
    • Le contingent ne peut pas exister parce qu'il n'est pas par lui-même (Avicenne).
    • Les qualités des êtres proviennent de perfections éternelles (Platon).
    • Il est impossible qu'un ordre provienne d'un désordre aléatoire (Platon).
  • 4. Conclusion : Il y a quelque chose ou quelqu'un qui donne un sens à l'ensemble du processus cosmique, et ce quelque chose est Dieu : Moteur Immobile, Cause Première, Être Nécessaire, Être Parfait, Intelligence Suprême.

Critiques des Preuves Thomistes

  • Contre le second principe : La critique de la métaphysique affirme que la causalité est une idée subjective (Hume) et que la généralisation des autres catégories avec lesquelles nous pensons le monde (substance, accident, espace, temps, etc.) sont également des constructions conceptuelles de l'entendement humain pour comprendre le monde, mais ne peuvent pas prouver qu'elles correspondent à une réalité objective (Kant).
  • Contre le troisième principe : La conception moderne de l'univers admet :
    • Le mouvement de la matière est éternel, car la matière est énergie.
    • Il peut y avoir une chaîne infinie de causes et d'effets, car l'effet n'est pas moins vrai que la cause.
    • Il existe une matière universelle qui est la substance de toute réalité.
    • Les perfections des choses sont relatives, et la plus haute perfection est un idéal inaccessible.
    • La théorie du chaos affirme que des processus aléatoires peuvent produire de l'ordre (par exemple, le processus de l'évolution biologique).
  • Contre la conclusion : Il ne peut être prouvé que le Moteur Immobile, la Cause Première, l'Être Nécessaire, l'Être Parfait, ou l'Intelligence Suprême, soit le Dieu personnel tel que conçu par le christianisme. Pour cela, il faut avoir la foi.

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