Principes fondamentaux des droits réels et de crédit en droit espagnol

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Article I. Les droits réels et les droits de crédit

1. Cinq différences entre les droits réels immobiliers et les droits des créanciers

  1. Transmission contractuelle (Titre et Mode) : Dans les transferts onéreux, la théorie du Titre et du Mode (Art. 609 CCi) s'applique aux droits réels (qu'ils portent sur des biens mobiliers ou immobiliers). Cette disposition ne s'applique pas au transfert de créances (mais Art. 1526 et suivants CCi).
  2. La prescription acquisitive : C'est un moyen d'acquérir les droits réels (qu'ils portent sur la propriété ou qu'ils affectent l'immobilier), mais pas les droits de crédit (Art. 1930 CCi).
  3. Le statut des délais de prescription extinctive : Les délais applicables aux droits réels sur les meubles ou immeubles sont différents de ceux applicables aux créances privées (Comparer Arts. 1962, 1963 et 1964 CCi).
  4. L'enregistrement au Registre des biens : Les droits réels immobiliers sont enregistrables dans le Registre des biens (Art. 2 LH), tandis que les créances portant sur ces biens ne peuvent pas être inscrites, sauf si une règle spéciale le permet (Arts. 98 LH et 9 RH).
  5. L'exigence de document public : Les actes et contrats relatifs à la création, la transmission, la modification ou l'extinction de droits réels sur les biens immobiliers «doivent être inclus dans un document public» (Art. 1280.1º CCi). Ceux relatifs aux droits de crédit portant sur des biens ne sont pas soumis à cette obligation. Cette exigence n'est pas substantielle ou solennelle pour la naissance de ces droits, mais elle donne la possibilité aux parties de l'exiger.

2. Caractéristiques distinctives des droits réels et des droits de créance

Le point de vue traditionnel met en évidence deux caractéristiques qui différencient les droits réels et les droits des créanciers :

  1. Pouvoir immédiat et direct sur la chose (Droit absolu) : Le droit réel confère à son titulaire un pouvoir immédiat et direct sur la chose qui en est l'objet (le ius possidendi ou droit de posséder), permettant la satisfaction directe de ses intérêts, sans collaboration extérieure. En revanche, le droit de créance est relatif et axé sur un comportement particulier (donner, faire ou ne pas faire) d'une personne spécifique (le débiteur), de sorte que la satisfaction de l'intérêt du créancier nécessite la collaboration de cette personne.
  2. Opposabilité à tous (Erga omnes) : Les droits de propriété sont opposables à toute personne qui entrave l'exercice du droit sur la chose, ainsi que contre tout sous-acquéreur de la même chose (sauf règle spéciale limitant ces effets, comme la Loi hypothécaire ou l'Art. 464 CCi). La règle générale est que les droits de crédit ne sont opposables qu'à la partie obligée et à ses héritiers, sans préjudice des obligations qui incombent à tous de respecter les situations juridiques d'autrui.

Exemple d'un droit réel qui n'est pas direct et immédiat sur la chose, car il n'accorde pas le droit à la possession immédiate : les servitudes négatives ou l'hypothèque.

3. Thèse du Numerus Apertus ou Clausus pour les droits réels

Arguments en faveur du Numerus Apertus :

  1. L'article 1255 du CCi consacre le principe de l'autonomie de la volonté.
  2. L'article 2.2º de la LH parle des droits susceptibles d'inscription en concluant par la clause «et tout autre droit réel...», ce qui suggère qu'il n'y a pas de liste fermée (numerus clausus).
  3. L'article 594 du CCi établit la possibilité de servitudes atypiques, ce qui pourrait être vrai pour d'autres droits réels, la source principale de leur réglementation étant le titre constitutif.

Arguments contre le Numerus Apertus :

  1. L'autonomie de la volonté est le pouvoir des individus de se donner des règles, mais le droit réel a une incidence sur des tiers non impliqués dans sa constitution.
  2. La disposition de l'Art. 2.2 LH peut faire référence à d'autres droits de propriété généralement non inclus dans la relation précédente (par exemple, les droits de surface), et non à des droits réels atypiques.
  3. L'Art. 594 CCi autorise la création de figures qui ont les caractéristiques de la servitude, il ne s'agirait donc pas d'une dérogation au numerus clausus, mais plutôt d'un taux d'ouverture du numerus clausus.

Spécialité des droits de sécurité :

Les droits de privilège accordent aux créanciers une sécurité pour recouvrer le montant de la vente forcée. Étant donné que ces privilèges sont régis par la loi (Arts. 1921 et suivants du Code Civil), il ne semble pas possible de garantir des formes atypiques par l'autonomie de la volonté.

Article II. Structure de la relation juridique réelle

4. Exigences de l'objet du droit réel et différences avec l'objet du contrat

  1. Existence actuelle : L'objet doit exister actuellement, car il n'y a pas de pouvoir direct et immédiat sur des choses inexistantes. En revanche, pour l'objet d'un contrat, il suffit qu'il soit possible, dans le sens qu'il ait l'occasion d'exister dans le futur (Art. 1271 alinéa 1 et 1272 CCi). L'avenir peut être l'objet d'un droit sous condition suspensive, mais pas d'un droit réel effectif présent.
  2. Légalité : Les choses hors commerce (domaine public, parties du corps et droits de la personnalité indisponibles, etc.) ne peuvent faire l'objet ni d'un droit réel ni d'un contrat (sauf disposition expresse de règles spéciales, comme celles régissant le don de sang et d'organes). Cette exigence coïncide avec celle applicable à l'objet du droit de propriété et à l'objet du contrat.
  3. Détermination parfaite : En vertu du principe de spécialité, la nécessité d'individualisation des choses pour exercer le pouvoir de fait sur celles-ci, caractéristique des droits de propriété, exige que l'objet du droit réel soit parfaitement déterminé. Il ne suffit pas qu'il soit déterminable, comme c'est le cas pour l'objet du contrat (Art. 1273 CCi), et les biens génériques ne peuvent faire l'objet d'un droit réel.

5. Exigences de validité des interdictions volontaires d'aliéner

Les interdictions volontaires d'aliéner, pour être valides, doivent respecter les exigences suivantes :

  1. Elles ne peuvent être imposées que dans des actes à titre gratuit, et non dans des actes à titre onéreux.
  2. Elles sont inefficaces si elles sont perpétuelles (Art. 785.2º CCi), et même si elles excèdent la limite temporelle fixée à l'article 781 du CCi pour les substitutions fidéicommissaires.
  3. Elles nécessitent généralement le contrôle de la gravité de l'intérêt qui motive la création de l'interdiction (Jurisprudence), car elles impliquent une restriction à un principe d'ordre économique aussi important que la libre circulation des marchandises sur le marché.

Différence entre les interdictions d'aliéner à efficacité réelle et les obligations de non-disponibilité :

Les restrictions qui ne répondent pas à ces exigences strictes sont considérées comme de pures restrictions obligatoires. L'obligation de ne pas aliéner n'affecte pas le pouvoir d'aliéner. Par conséquent, l'acte qui viole une obligation de non-disponibilité peut transmettre efficacement la propriété ou le droit de propriété, indépendamment des effets compensatoires qui peuvent survenir entre l'imposant et l'obligé en cas de manquement. En revanche, dans le cas d'une interdiction d'aliéner à efficacité réelle, l'acte qui la viole n'est pas perfectionné, le pouvoir ne glisse pas sur le cédant et, par conséquent, même s'il y a titre, la propriété ou le droit réel n'entre pas dans le patrimoine du tiers.

Article III. Naissance, transfert et extinction de la relation juridique réelle

6. Modes d'acquisition des droits réels en droit espagnol

Les modes d'acquisition sont énumérés à l'article 609 du CCi :

  • La propriété s'acquiert par l'occupation.
  • La propriété et les autres droits sur les biens s'acquièrent et se transmettent par la Loi, par donation, par succession testamentaire et ab intestat, et par suite de certains contrats par la tradition.
  • Ils peuvent également être acquis par prescription.

Particularité de l'acquisition par Titre et Mode en droit espagnol :

Lors de l'acquisition par contrat dérivé, le contrat est une condition nécessaire pour le transfert de propriété. On parle d'un système causal ou «casualisé» (si la cause du contrat de transmission était nulle ou annulée, la transmission ne se produirait pas ou disparaîtrait rétroactivement). Mais le contrat ne suffit pas, car sans le complément indispensable de la tradition (le mode), la transmission ne se produit pas. C'est le système dit du Titre et du Mode, où le titre est le contrat orienté vers la transmission du bien, et le mode est la livraison ou la tradition sous toutes ses formes (réelle, symbolique ou instrumentale).

Notre système diffère :

  • Du modèle français, où le contrat est la condition nécessaire et suffisante pour le transfert de propriété.
  • Du modèle allemand, où le contrat n'est pas une condition nécessaire pour transmettre la propriété.

7. Portée de l'exigence de l'acte public (Art. 1280 CCi)

L'article 1280.1º du CCi stipule que «doivent être inclus dans les documents publics : 1. Les actes et contrats visant à la transmission... de droits réels sur les biens immobiliers». Quel est l'impact de cette exigence ?

Lorsque le contrat est formalisé dans un acte public, l'octroi de l'acte public vaut contrat et tradition (sous sa forme instrumentale de la traditio), conformément à l'article 1462.2 CCi. Ainsi, l'exigence de l'article 1280.1º et l'exigence de tradition de l'article 609 sont respectées.

Toutefois, si un contrat visant à transférer la propriété d'un bien est conclu et qu'il est complété par la tradition sous ses autres modes (réel ou symbolique), on pourrait se demander si l'article 1280.1º empêche le transfert de propriété.

Ce faux problème est résolu en rappelant qu'il n'y a pas d'exigence d'acte public quant à la validité du contrat orienté vers le transfert de propriété, mais en établissant le droit de chaque partie contractante d'exiger de l'autre l'élévation du contrat à l'acte public (s'il se réfère à des biens immobiliers). L'écriture n'est pas ad solemnitatem, mais simplement ad probationem, c'est-à-dire un moyen de preuve qualifié. Si l'article 1280 n'impose aucune obligation publique pour la validité des contrats visant à transférer la propriété ou les droits sur la propriété, il ne peut être compris comme une obligation liée à un mode de diffusion ou de tradition.

8. Relation entre Tradition et Inscription au Registre

L'article 38 de la LH établit une présomption de tradition réfutable par l'inscription, comme si la possession de l'ancien propriétaire inscrit était présumée, et, puisque l'inscription présume la possession de l'acquéreur, on doit conclure qu'il est également présumé un transfert de possession de l'ancien propriétaire inscrit au nouveau. Mais comme il s'agit d'une présomption de fait, elle est facilement destructible.

L'article 36 de la LH parle de l'acquisition ininterrompue des droits avec les exigences de l'article 34 de la LH. Cependant, il existe des cas particuliers où le cédant a perdu la possession en vertu de l'article 460.4 du CCi et où il y a contradiction avec une possession qui a duré plus d'un an. Dans ces cas, l'écriture qui précède l'inscription (car sinon ladite inscription n'aurait pas eu lieu conformément à l'article 3 de la LH, qui exige la cohérence dans un acte public pour pouvoir être inscrit au Registre foncier) ne peut pas être la tradition instrumentale selon la jurisprudence dominante, car, par hypothèse, le tradens n'est pas le titulaire de la possession.

Il faut alors suivre la thèse de Lacruz Berdejo, selon laquelle l'écriture est une autre façon d'acquérir un bien, et non une forme de tradition, ou que c'est l'inscription qui remplace la tradition en tant qu'intégrateur de la situation factuelle produite par le transfert de propriété (comme cela semble se produire dans le cadre de la réglementation de la double vente de l'article 1473 CCi, qui attribue la propriété d'un bien au premier qui inscrit, sans exiger qu'il y ait eu tradition en sa faveur).

9. Causes générales d'extinction des droits réels

  1. Perte ou destruction de la chose (non seulement la perte matérielle, mais aussi l'extinction légale ou l'extracommercialité survenue par la loi, par exemple, les enclaves de propriété privée dans la zone maritime, conformément à l'article 132.2 de la Constitution espagnole et à la loi actuelle du littoral), car il devient impossible d'exercer le pouvoir inhérent à tout droit réel (principe exprimé à l'article 513.5º CCi).
  2. Consolidation : Réunion dans la même personne de la qualité de propriétaire du droit immobilier et de titulaire du droit limité, car «nul ne sert de sa propre chose» (principe général énoncé dans le CCi). S'applique aux droits réels limités, et non à la propriété.
  3. Renonciation du titulaire du droit réel, à condition qu'elle ne contrevienne pas à l'intérêt ou à l'ordre public ou ne porte pas préjudice à des tiers (Art. 6.2 CCi). C'est une déclaration unilatérale de volonté qui doit être accompagnée de la cessation de l'exercice du pouvoir de fait sur la chose. Si un titulaire de droit réel limité renonce, le pouvoir correspondant est récupéré par le propriétaire en vertu du principe de l'élasticité du domaine. Si le droit de propriété est renoncé, s'il est mobilier, il devient une res nullius acquise par l'occupation ; s'il est immobilier, il devient la propriété de l'Administration de l'État.
  4. Prescription extinctive du droit réel ou possession néfaste de celui-ci par un tiers (Art. 1930 CCi).
  5. Expropriation forcée (Art. 53 de la Loi sur l'expropriation).

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