La Restauration Espagnole (1874-1931) : Crise et Dictature

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La Restauration des Bourbons (1874-1923)

Après la tentative d’instaurer un régime démocratique pendant le Sexennat, la monarchie des Bourbons est restaurée en Espagne, et le pays retourne au libéralisme censitaire. Un nouveau système politique, conçu par **Cánovas del Castillo**, est implanté. Il est fondé sur l’alternance au pouvoir de deux grands partis politiques : le conservateur et le libéral.

La Restauration dure presque 50 ans, depuis le *pronunciamiento* de Martínez Campos jusqu’en 1923, marqué par le coup d’État et la dictature de Primo de Rivera. Cette étape englobe les règnes d’Alphonse XII et d’Alphonse XIII. Un régime constitutionnel et parlementaire est consolidé, bien qu'il n’arrive pas à être totalement démocratique. Certains historiens y voient une stabilité institutionnelle, tandis que d'autres estiment qu’il s'agit d'un système politique fictif où les pratiques frauduleuses des élections et le *caciquisme* empêchent l’instauration d’un régime véritablement représentatif.

Les Fondements du Système Canoviste

Ce système politique se caractérise d'abord par la promulgation de la **Constitution de 1876** par Sagasta. Fondée sur le libéralisme doctrinaire, elle inclut une déclaration complète des droits (comme le droit d’association) et établit la souveraineté partagée entre le Roi et les Cortes, qui sont bicamérales.

Avec cette Constitution, l'objectif est d'assurer la stabilité politique, de pacifier le pays, de mettre fin aux révolutions démocratiques et sociales, et de cesser l’intervention de l’armée dans la vie politique. L’alternance des partis au pouvoir (*turnismo*) est établie, configurée par Cánovas del Castillo (artisan de la Restauration) :

  • Le **Parti Conservateur**, dirigé par Cánovas.
  • Le **Parti Libéral**, dirigé par Sagasta.

De plus, il faut mentionner l’opposition (républicains, nationalistes, socialistes et ultra-catholiques), qui représente une menace importante contre le système. Poursuivis et arrêtés, ces groupes se renforcent à la fin du siècle en raison de la lutte pour les intérêts politiques et deviennent des partis politiques après 1898.

Fraude Électorale et Caciquisme

Cette étape est caractérisée par la fraude électorale et le *caciquisme*, qui maintiennent les classes populaires en dehors du système afin d'éviter les risques révolutionnaires.

Le ministre de l'Intérieur (*Gobernación*) élabore la liste des députés qui doivent être élus dans chaque circonscription électorale. Cette liste est envoyée aux *caciques* et aux maires. Grâce à la confection du recensement (on compte même les votes des morts), à l’achat de votes et à la manipulation des actes, les candidats désignés sont élus. Les *caciques*, grâce au contrôle des mairies, rédigent des rapports, contrôlent le tirage au sort des *quintas* (conscription) ou font des offres d’emploi, récompensant la fidélité électorale et discriminant le reste de la population. Ils manipulent continuellement les élections, surtout avec l'aide des gouverneurs civils des provinces. L’ensemble des fraudes électorales réalisées est connu sous le nom de *« el pucherazo »*.

Vers la fin du siècle, on note l'essor du **mouvement ouvrier** avec la naissance de l’**UGT** en 1888, un syndicat ouvrier qui vise l’indépendance du prolétariat et de la paysannerie par rapport à la bourgeoisie. Ce mouvement, dont les tactiques de lutte sont modérées, représente une force de grève révolutionnaire.

Le Désastre de 1898 et le Régénérationnisme

En 1898, l'Espagne perd Cuba et les dernières possessions de son empire colonial. La pression des États-Unis sur l'Espagne augmente : les intérêts économiques et politiques causent une guerre au cours de laquelle les États-Unis détruisent la flotte espagnole. Ce désastre militaire, économique et politique, appelé le *« Desastre del 98 »*, crée un grand mécontentement et diffuse le pessimisme en Espagne.

Pour l’opposition, cela démontre l’incapacité de la monarchie. La population exige une régénération du pays, le *Régénérationnisme*. À cet effet, **Joaquín Costa** a pour objectif de former un mouvement politique de classes moyennes pour remplacer la politique de la Restauration qui protège les intérêts de l’oligarchie. Il vise à moraliser la gestion publique, réformer l’État, favoriser la richesse et promouvoir l’enseignement public. De plus, il y a un groupe d’écrivains, comme **Unamuno** ou **Valle-Inclán**, qui sont préoccupés par le pays et son retard.

Conclusion de la Première Phase

Le *Desastre del 98* met en évidence les failles du système de la Restauration conçu par Cánovas. L’apparition d’une nouvelle génération de politiques et d’intellectuels commence à agir sous le règne d’Alphonse XIII. Cependant, la continuité du système empêche la mise en œuvre d’une politique réformiste régénérationniste. Avec le règne d’Alphonse XIII, la Restauration entre dans une nouvelle phase. À partir de 1912, la décadence permanente et la fragmentation du régime conduisent au renforcement de l’opposition républicaine, ouvrière et nationaliste. L’incapacité de démocratisation et de rénovation du système se termine par le coup d’État et la dictature de Primo de Rivera en 1923.

La Crise Définitive de la Restauration (1898-1923)

La Restauration, qui s'est déroulée sur 50 ans, fut une période de stabilité politique divisée en deux périodes principales :

  • La stabilisation du régime canoviste (*turnismo*) (1874-1898).
  • La crise après le « Désastre de 1898 » (1898-1923), suivie de la dictature de Primo de Rivera (1923-1930).

La catastrophe de 1898 a provoqué un choc général dans le pays. En conséquence, les nouveaux dirigeants politiques tentent de réformer le système de la Restauration, mais les tentatives de régénération et de démocratisation échouent. La croissance des classes sociales et des organisations ouvrières a entraîné une fragmentation de la société et un déclin du système politique, permettant le renforcement de l’opposition. La période 1923 marque la crise définitive avec le coup d’État de Primo de Rivera, qui entraînera la chute de la Monarchie en 1931 et la proclamation de la Deuxième République.

Le système de la Restauration était libéral mais non démocratique. Dans ce contexte apparaît un courant idéologique de régénération, associé à la perte des colonies américaines et à la crise morale, sociale et politique, qui dénonce ce système et formule des propositions pour la modernisation politique, économique et sociale.

Les Tentatives de Réforme (Maura et Canalejas)

Avec l’arrivée sur le trône d’Alphonse XIII en 1902, le Parti Conservateur (**Maura**) et le Parti Libéral (**Canalejas**) ont promu une série de réformes, malgré la crainte d'une véritable participation démocratique. Le *turnismo* continue.

Les Réformes de Maura (Parti Conservateur)

Le gouvernement de Maura a lancé sa « révolution par le haut » dans le but d'introduire la propreté électorale, d'éradiquer le *caciquisme* et d'obtenir le soutien des classes moyennes. À cette fin :

  • La **Loi Électorale de 1907** a été adoptée, mais elle n'a pas réussi à mettre fin au *caciquisme* ni à démocratiser le système.
  • Son projet le plus important était la **Loi sur l'Administration Publique**, qui visait à mettre fin au système de *caciquisme*.
  • Il a encouragé l'industrie nationale et les mesures sociales telles que le repos dominical obligatoire et le droit de grève.
  • Une **Loi pour la Répression du Terrorisme** a été proposée contre les attaques anarchistes, créant une alliance entre les républicains modérés et les libéraux.

C'est à cette époque qu'a eu lieu la *Semaine tragique de Barcelone* en 1909, qui a précipité la chute de Maura à la tête du gouvernement. L'Espagne et la France ont établi un protectorat sur le Maroc, qui est devenu l'axe de la politique étrangère espagnole. L'Espagne s'est vu attribuer la région du Rif, située au nord du Maroc.

Les Réformes de Canalejas (Parti Libéral)

La chute de Maura provoque des élections, et en 1910 Canalejas arrive au pouvoir. L'objectif de ses réformes était d'élargir les bases sociales du régime et sa démocratisation progressive, ainsi que la sécularisation de l'État. L’objectif était la séparation de l'Église et de l'État, la liberté religieuse et l'obtention du contrôle de l'Église, en la séparant de l'Éducation.

  • La **Loi du Cadenas** est adoptée, limitant l'établissement des ordres religieux.
  • Des réformes sociales sont mises en place : réglementation des conditions de travail, réduction de la journée de travail, loi sur les accidents du travail, droit de grève.
  • Avec la **loi sur la conscription**, le service militaire obligatoire a été établi.
  • Concernant les régions autonomes, la **loi des *Mancomunidades*** a été adoptée, prévoyant la possibilité de regrouper les députations.

Le Renforcement de l'Opposition

L'opposition se renforce. Dans le mouvement ouvrier, le socialisme se consolide (PSOE de **Pablo Iglesias**) et l'anarchisme maintient son refus de participer à la politique, privilégiant la stratégie terroriste et le syndicalisme (**CNT**). D'autre part, les partis nationalistes, en particulier le parti catalan (*Lliga Regionalista* de **Cambó**), ont continué à élargir leurs bases et sont devenus de plus en plus importants politiquement, ainsi que le PNV (Parti Nationaliste Basque).

La Crise de 1917

La crise de 1917 est provoquée par l’impact de la Première Guerre Mondiale (1GM), qui a entraîné une hausse des prix non accompagnée d’une hausse des salaires. Cela a provoqué une grande agitation sociale et l’essor du mouvement ouvrier. Cette crise se manifeste par trois conflits majeurs :

  1. **Conflit Militaire :** La surreprésentation des officiers conduit à la formation des **Juntes de Défense** qui réclament une amélioration des salaires et la réforme du système politique.
  2. **Crise Parlementaire :** Entraînée par l’initiative de la *Lliga Regionalista* de demander la décentralisation et l'autonomie de la Catalogne, initiative rejetée par les Juntes.
  3. **Conflit Social :** Provenant de la grève générale des syndicats socialistes et anarchistes (UGT et CNT) afin d’abolir le système actuel et de proclamer une république démocratique. Elle fut toutefois réprimée.

Cette crise suppose l'affaiblissement du régime.

La Décomposition du Régime (1917-1923)

À partir de 1917, la décomposition des partis dynastiques obligea à former des gouvernements de concentration (Parti Conservateur et Parti Libéral) qui furent incapables de donner de la stabilité au système. L’expansion du mouvement ouvrier et l’augmentation des conflits sociaux à travers les grèves, l’occupation et le partage des terres ont conduit à l’extrémisme aussi bien des employeurs que des ouvriers, ce qui a donné lieu à l’apparition du *pistolerismo* (affrontements armés sanglants entre tireurs des deux camps).

La répression du gouvernement, qui a cédé aux militaires l’ordre public, et le désastre d'Annual au Maroc ont conduit au coup d’État de Primo de Rivera en septembre 1923.

La Dictature de Primo de Rivera et la Chute de la Monarchie

L'incapacité du système de la Restauration à se renouveler et à se démocratiser a favorisé la solution militaire. En 1923, **Primo de Rivera** se prononça contre l'ordre constitutionnel. Sans grande opposition, le coup militaire donna naissance à une dictature militaire inspirée des régimes autoritaires en plein essor dans l'Europe de l'entre-deux-guerres, qui dura jusqu'en 1930.

L'engagement de la monarchie elle-même envers la dictature a provoqué sa chute, et en 1931, la IIe République fut instaurée en Espagne.

Primo de Rivera rendit publiques ses intentions dans un manifeste, présentant le régime comme transitoire, capable de libérer le pays du *caciquisme* et de mettre fin au désordre. L'opinion publique l'accueillit favorablement, et le coup bénéficia du soutien des secteurs d'affaires, des banques et de l'Église. Les républicains ne s'y opposèrent pas, et les socialistes restèrent dans l'expectative ; seuls les communistes et les anarchistes condamnèrent le coup. Le roi Alphonse XIII chargea Primo de Rivera de former le gouvernement.

Le Directoire Militaire (1923-1925)

Le Directoire proclama l'état de guerre (pendant deux ans), suspendit les garanties constitutionnelles, dissolut les Cortes, instaura la censure de la presse et interdit les activités des partis politiques et des syndicats. Il élabora un Statut Municipal et un Statut Provincial, et les mairies furent dissoutes, leur fonctionnement étant désormais entre les mains des gouvernements civils. Durant cette étape, le conflit du Maroc fut assumé directement par Primo de Rivera, qui organisa avec la France le **débarquement d'Alhucemas**, un grand succès. En 1927, le gouvernement déclara l'occupation du protectorat terminée.

Le Directoire Civil (1925-1930)

Cette phase vit l'introduction de civils au gouvernement, bien que le poids des militaires restât important. Primo de Rivera s'entoura de politiciens de droite. La difficulté de revenir à un régime constitutionnel devint évidente : la dictature ne semblait plus transitoire, mais affirmait plutôt la volonté de construire un régime inspiré des dictatures totalitaires européennes, notamment du modèle fasciste italien.

En 1926, Primo de Rivera annonça la convocation d'une **Assemblée Nationale Consultative**, dont les membres seraient choisis par désignation parmi les citoyens appartenant aux grandes institutions, le suffrage universel étant oublié. Afin de consolider le régime, un parti unique fut créé, l'***Unión Patriótica***, un parti gouvernemental sans programme idéologique clair dont la fonction était de fournir un soutien social à la dictature. Ses premiers affiliés provenaient des rangs du catholicisme, des *caciques* et des fonctionnaires.

Politique Économique et Sociale

La dictature profita de la bonne conjoncture économique (les « Années Folles »). Elle se caractérisa par l'interventionnisme étatique et le nationalisme économique, dont les objectifs étaient d'impulser l'industrie nationale (droits de douane protectionnistes, aides aux entreprises et augmentation des dépenses publiques). L'encouragement des travaux publics et l'octroi de grands monopoles (téléphonie) entraînèrent une augmentation de la dette extraordinaire. Le monde agraire ne subit aucun changement, restant aux mains des grands propriétaires.

Dans le domaine social, la dictature mit en place une **Organisation Corporative Nationale** (syndicats verticaux) pour éviter les conflits du travail. Le système ne fut pas mal vu par l'UGT, qui put se développer en toute liberté, mais les anarcho-syndicalistes et les communistes furent persécutés (clandestinité). La faible conflictualité sociale s'explique par la répression (surtout des anarchistes), par la politique sociale menée (construction de logements, écoles...) et également par l'Organisation Corporative Nationale.

Opposition à la Dictature

L'opposition comprenait les leaders des partis dynastiques, les républicains, les nationalistes, les anarchistes, certains secteurs de l'armée et tous les intellectuels. Il y eut des conspirations militaires avec le soutien de leaders dynastiques, comme la *« Sanjuanada »*.

Le monde des intellectuels et des étudiants universitaires fut le théâtre de troubles et de conflits contre la censure. Les protagonistes furent **Unamuno**, **Ortega y Gasset**, etc. Le conflit le plus important fut avec le républicanisme et le nationalisme catalan, qui formèrent l'**Alliance Républicaine** et menèrent une grande campagne à l'étranger. En Catalogne, Primo de Rivera liquida la *Mancomunidad*. Par ailleurs, la CNT radicalisa ses positions et le PSOE changea sa position initiale.

Conclusion : La Chute

L'opposition à Primo de Rivera s'intensifia lorsque la monarchie et sa camarilla prirent conscience du danger que la dictature représentait pour la Couronne. Le roi choisit alors de retirer sa confiance au dictateur.

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