Sémantique et Syntaxe : Relations entre Mots et Phrases
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Sémantique de la phrase et de l’énoncé
Ce chapitre porte sur la relation qui s’établit entre la signification des mots et l’emploi qu’on en fait dans un contexte particulier : que ce soit à l’intérieur d’une phrase, en cooccurrence avec d’autres unités de la langue, ou à l’intérieur d’un énoncé comme partie d’une structure plus large, d’un échange communicatif ou d’un raisonnement.
6.1. Sémantique et syntaxe : les mots dans la phrase
L’étude des champs sémantiques concerne essentiellement les relations que les signes entretiennent paradigmatiquement (paradigme : classe d’éléments présentant un fonctionnement équivalent). (Exemple : chien, cheval, chat…). La relation syntagmatique, en revanche, est une relation horizontale, qui établit des liens essentiels de signification entre les unités qui sont co-occurrentes dans un contexte donné. (Exemple : cheveux, blonds ou chien, aboyer…).
Dans ce chapitre, nous aborderons le sens des unités lexicales en prenant comme paramètre d’analyse leur position dans une construction syntaxique donnée, c’est-à-dire, suivant un axe syntagmatique.
Nous analyserons donc le lexique non pas à partir de son contenu, mais à partir de son insertion dans un cadre syntaxique particulier et nous poserons la question de savoir dans quelle mesure le lexique et la syntaxe sont des secteurs interdépendants.
N. Chomsky (1954) a introduit les rapports syntactico-sémantiques dans son modèle de grammaire générative et transformationnelle sous le terme de « restriction de sélection » : selon ce concept, chaque mot de la langue restreint la sélection des mots avec lesquels il entretient une relation syntagmatique (horizontale). Comparons l’exemple (1) à (2) et (3) :
(1) L’enfant au chapeau vert lisait le livre
(2) * D’incolores idées vertes dorment furieusement (Chomsky)
(3) *Le fer lisait la maison (Chomsky)
L’exemple (1) est parfaitement bien construit : les restrictions de sélection de chaque mot sont respectées, il n’y existe aucune irrégularité. Les exemples (2) et (3), en revanche, posent problème : dans (2), les restrictions de sélection entre incolores et vertes, d’une part, et dormir et idée, de l’autre, sont violées. Les deux adjectifs incolores et vertes s’excluent sémantiquement et pourtant sont associés à un même substantif, ce qui suppose une contradiction ; dans ce même exemple, le mot idée ne peut prendre la place « sujet » de dormir, alors que seuls des éléments lexicaux satisfaisant au trait [+ animé] peuvent être insérés à cette place. L’énoncé (3) contient également des violations évidentes de restrictions de sélection : dans ce cas, le syntagme la maison ne peut remplir la fonction objet du verbe lire, verbe qui exige aussi un sujet animé.
L’analyse de la polysémie a déjà montré que les propriétés syntaxiques d’un terme, c’est-à-dire les constructions dans lesquelles il est possible de l’employer, peuvent être un moyen de faire apparaître des différences de sens. C’est là le premier aspect où la syntaxe peut se révéler intéressante pour l’étude du lexique. Par exemple, on peut mettre en relation pour certains verbes une spécialisation de sens avec une différence de construction, selon qu’un même morphème verbal soit ou non accompagné d’un complément explicite. Ainsi, on pourrait opposer :
Boire du vin, de l’eau vs boire
Jouer au ballon vs jouer
et constater que, lorsque le verbe est construit sans complément, le sens du verbe, sauf indication contraire du contexte, est restreint : il boit, c’est quasi inévitablement il boit de l’alcool ; il joue, c’est il joue aux courses, au casino, avec de surcroît un sens péjoratif.
L’opposition des sens propre et sens figuré correspond aussi parfois à des constructions spécifiques. Les verbes de mouvement, par exemple, ne se construisent pas avec la même préposition selon que leur complément est un nom de lieu ou un terme figuré. On pourra ainsi opposer :
Courir vers la maison vs courir à la victoire
Nager en piscine vs nager dans la félicité
Dans le premier cas, le verbe présente un sens propre et le complément respectif un sens locatif ; dans le second, le sens du verbe est figuré (poursuivre / être dans la plénitude d’un sentiment) ; et les compléments respectifs n’expriment pas un lieu précis.
De même, il existe dans le lexique une série de verbes qui indiquent une atteinte (un coup) exercée sur quelqu’un :
Frapper quelqu’un
Blesser quelqu’un
Ces verbes s’emploient très facilement au sens figuré, auquel cas ils sont pris dans un sens psychologique (et non pas physique) :
Ce récit m’a frappé
Mes remarques l’ont blessé
On note alors une différence de comportement dans la syntaxe : la préposition qui introduit le complément de moyen varie.
(4) Il a frappé le ballon du pied
(5) Il a frappé le public par ce récit (*du récit)
(6) Je l’ai blessé d’un coup de pistolet
(7) Je l’ai blessé par mes remarques (*de mes remarques)
L’explication en est simple : le sens figuré du verbe entraîne un changement de statut syntaxique du complément, de complément de moyen physique (exemples 4 et 6) on passe à un complément de moyen psychologique tout près de la cause (exemples 5 et 7). (Paraphrase en à cause de).
L’impératif, très normal dans les emplois propres, est très difficile –pour ne pas dire impossible- dans les emplois figurés :
Touche-le en plein cœur !
*Touche-le par ta gentillesse !
Ce rapport entre propriétés syntaxiques et propriétés sémantiques concerne aussi d’autres parties du discours que les verbes. Les adverbes sont aussi regroupés en fonction de leurs propriétés distributionnelles : par exemple, parmi les adverbes fonctionnant comme réponse à une question totale et qui ne dépendent pas du verbe de la phrase interrogative correspondante (exemples 8b et 9b, face à 8a et 9a), on constate qu’il existe aussi une correspondance entre type de construction et type de sens, notamment en ce qui concerne leur co-occurrence avec les morphèmes négatifs non et pas :
(8a) A : Est-ce qu’il a plu ce matin ? B : Abondamment (il a plu d’une manière abondante).
(8b) A : Est-ce qu’il a plu ce matin ? B : Vraisemblablement (*il a plu d’une manière vraisemblable / c’est vraisemblable qu’il a plu ce matin).
(9a) A : Est-ce qu’il est intelligent ? B : Extrêmement (Il est très intelligent).
(9b) A : Est-ce qu’il est intelligent ? B : Sûrement (*Il est très intelligent / C’est sûr qu’il est intelligent).
À l’intérieur de la classe des adverbes assertifs de ce type (sûrement, bien sûr, forcément, certainement, naturellement, nécessairement, etc.), on peut délimiter trois sous-types, sur la base de leurs propriétés syntaxiques ou distributionnelles. Ces adverbes se distinguent selon qu’ils sont ou non compatibles avec les adverbes non ou pas dans les séquences [non,Adverbe] ou [pas Adverbe] :
(a) *non, Adverbe ; *pas adverbe : *non, sûrement ; *pas sûrement
(b) non, Adverbe ; *pas adverbe : non, bien sûr ; *pas bien sûr
(c) non, Adverbe ; pas adverbe : non, forcément ; pas forcément
Explication : la première classe (a) exprime une certitude intérieure, c’est-à-dire, qui dépend de l’opinion personnelle du locuteur (certainement, sûrement, probablement, peut-être ont le sens de quelque chose est certaine, sûre, probable, possible aux yeux du locuteur); la seconde classe (b) traduit une certitude que le locuteur appuie sur la prise en compte du réel, c’est-à-dire, qu’il constate (naturellement, évidemment, bien sûr ont le sens de cela paraît naturel, évident, logique, d’après les circonstances réelles); finalement, le troisième type d’adverbes assertifs (c) exprime une certitude déduite par raisonnement logique (forcément, nécessairement et fatalement impliquent un raisonnement du type de P s’ensuit de manière forcée, nécessaire, fatale que Q).
La spécificité sémantique propre à chacune de ces trois sous-classes d’adverbes se heurte à la nature des deux morphèmes négatifs : non et pas. Le premier nie une phrase complète ; le second, en revanche, nie un élément précis de la phrase (verbe –à côté de ne-, substantif, adverbe) ; autrement dit, dans l’exemple (10), la réponse de B1 porte sur la phrase il a plu ce matin, voulant dire de par là « il n’a pas plu ce matin », tandis que la réponse de B2 porte sur l’adverbe, voulant dire « il n’a pas plu forcément ce matin ». Pour ce qui est de la réponse de B3, celle-ci se veut double : le locuteur B3 répond de manière négative à la question de A et ajoute un commentaire à cette réponse (réponse qui repose sur un raisonnement).
(10) A : Est-ce qu’il a plu ce matin ?
B3 : Non, forcément.
Les adverbes du groupe (c) acceptent les deux positions, étant donné la nature du jugement qu’ils véhiculent (un jugement déductif, un raisonnement) ; le locuteur peut nier soit les contenus de la question (B1) de (10), soit la base du raisonnement (B2) de (10) ; il peut même nier les contenus (non) et ajouter un commentaire qui justifie cette négation (forcément) (B3) de (10).
Les adverbes du premier groupe (a) portent sur les contenus interrogés et traduisent une opinion subjective du locuteur sur le degré de certitude accordé aux contenus de la phrase interrogative ; ils ne peuvent donc être niés (B2) de (11), ni accompagner une réponse négative (B3) de (11), les deux cas impliquent une contradiction.
(11) A : Est-ce qu’il a plu ce matin ?
B1 : Non / B2 : *Pas probablement.
B3 : *Non, probablement.
Quant au deuxième groupe, il contient des adverbes qui traduisent un jugement qui s’appuie sur un constat. Là encore, la négation de l’adverbe n’est pas possible, le lien entre le réel et le fait constaté est naturel, évident ou logique, le sujet parlant ne peut que le constater (il ne peut pas le nier). Par contre, il peut nier les contenus et ensuite ajouter un commentaire qui explique la nature de ce jugement négatif.
(12) A : Est-ce qu’il a plu ce matin ?
B1 : Non / B2 : *Pas bien sûr.
B3 : Non, bien sûr (bien sûr que non).
Notez que seuls les adverbes qui n’acceptent ni la présence de pas ni celle de non, présentent un adjectif de base susceptible d’être accompagné d’un préfixe négatif : improbable ; incertain ; impossible (sauf sûr qui prend le préfixe pas) ; face à *innecessaire, *inévident, *infatal, *innaturel, *inforcé.
On a donc une convergence très claire entre critères formels et critères sémantiques.
B1 : Non / B2 : Pas forcément.