Théories de la Restauration : de l'Antiquité à nos jours

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Conservation et Restauration : Unité 5 - Cesare Brandi

1. La Restauration des Biens Culturels : Origine et Évolution du Concept

Chaque génération modifie sa perception et la valeur accordée aux biens du passé. Ceci influence la conservation des œuvres, pouvant entraîner des changements d'évaluation (ajouts, suppressions, modifications d'usages ou de significations...). À cela s'ajoutent les perturbations causées par le passage du temps et l'action d'agents nuisibles (biologiques, physiques, chimiques...).

Le concept de restauration est d'origine moderne (fin du XVIIIe - début XIXe siècle). Il est entendu sous deux aspects :

  • Maintenir une production humaine avec des valeurs historiques et artistiques, indépendamment de sa chronologie et de la culture à laquelle elle appartient.
  • Restaurer l'efficacité de ce bien.

Il est difficile de déterminer précisément quand l'homme a manifesté son désir de préserver les biens culturels (principalement pour des motivations politiques, religieuses, mais aussi par plaisir esthétique...).

Exemple : Égypte Antique (IIe millénaire av. J.-C., Temple d'Abou Simbel, Pharaon Séthi II).

L'Époque Classique

De nombreuses sources de la période classique attestent de l'existence de personnes dédiées à la conservation et à l'entretien des œuvres (par exemple, Damophon de Messène).

  • La conservation préventive existait déjà.
  • Volonté de rendre aux œuvres leur apparence initiale.

À Rome : forte volonté de collectionner des œuvres grecques. La restauration est alors perçue comme une profonde innovation. Par exemple, un ancien bâtiment pouvait être démoli pour être remplacé par un plus grand (ex : le Panthéon d'Hadrien).

L'Époque Médiévale

  • Destruction de nombreuses œuvres des périodes précédentes (païennes, islamiques...) ou réutilisation, avec de nouveaux usages et significations (chrétiennes).
  • Spoliation des monuments antiques, réutilisation des matériaux pour de nouvelles constructions...

La Renaissance en Italie

  • Bulles papales interdisant la destruction des monuments de la Rome antique et médiévale.
  • Transformations des œuvres selon des critères esthétiques (nouvelles tendances).
  • Transformations de sculptures classiques : il était habituel de compléter les sculptures. Le cas le plus célèbre est celui du Laocoon.

Un événement d'une influence considérable sur la conservation des arts visuels fut la Contre-Réforme et le Concile de Trente (1545-1563). La préoccupation concernant les images en tant qu'objets de culte a conduit à intervenir sur de nombreuses représentations préexistantes afin d'éviter des interprétations jugées inappropriées. Pendant des siècles, il était courant de recadrer ou d'agrandir des tableaux pour des raisons décoratives (adaptation à un nouvel emplacement). Dans la restauration des sculptures du XVIIe siècle, la tradition de compléter les œuvres anciennes s'est poursuivie (les restaurations étaient presque toujours libres).

2. Théories sur la Restauration des Monuments

La Première Restauration Archéologique (XVIIIe siècle)

Intérêt des Lumières pour la connaissance. Développement d'études scientifiques (archéologie). Formation et création de grandes collections de musées pour collecter et étudier les vestiges antiques. Le Grand Tour (axes : Italie, Grèce...). Objectif principal : Rome.

Le Pape Pie VII : Édit de 1802 : premier instrument opérationnel pour la protection des Beaux-Arts.

Premières restaurations de monuments archéologiques romains : Réalisées par des architectes et archéologues influencés par le néoclassicisme (connaissance approfondie des œuvres antiques).

La « restauration archéologique » visait à compléter ou reconstruire les monuments restaurés. Les procédures incluaient la récupération, par des fouilles archéologiques, des pièces d'origine et leur remontage. Les parties manquantes étaient comblées avec des matériaux différents, afin de distinguer clairement l'original de la reconstitution.

Parmi les monuments restaurés, le Colisée se distingue. En 1826, certaines arcades furent reconstruites en briques (différenciation entre la substance ancienne et la nouvelle). Entre 1818 et 1822 : Restauration de l'Arc de Titus (Stern, Valadier). Les parties manquantes furent complétées avec une rigueur scientifique, en utilisant un matériau différent de l'original (marbre) pour ne restituer que la volumétrie et permettre une lecture correcte de l'œuvre. Il s'agit d'un jalon dans l'histoire de la restauration.

Le Concept Moderne de Restauration

Le concept moderne de restauration est né de la Révolution Française de 1789 :

  • Destruction du patrimoine de l'Église, de la monarchie et de la noblesse pour faire disparaître les symboles de l'Ancien Régime.
  • Principe de la conservation des monuments (1794).

En 1801, Napoléon signe le Concordat avec le Saint-Siège : le culte catholique est rétabli dans les églises de France. Celles-ci sont détenues par l'État, qui devient responsable de leur conservation et restauration. Le manque de moyens financiers conduit à la démolition et à la vente de nombreux temples en ruine.

Après la restauration de la monarchie, un intérêt pour la récupération des monuments les plus représentatifs de ce pouvoir est apparu (châteaux et cathédrales gothiques : expression de l'identité nationale française).

Problème : les architectes néoclassiques, ne comprenant pas l'architecture gothique, ont procédé à des interventions arbitraires, des démolitions...

Viollet-le-Duc et la Restauration Stylistique

Figure clé de l'histoire de la restauration monumentale (1814-1879). Il rejette l'enseignement universitaire (néoclassicisme) et étudie non seulement l'architecture classique, mais aussi le médiéval.

« Restaurer un bâtiment, c'est le rétablir dans un état complet qui peut n'avoir jamais existé à un moment donné. »

Le restaurateur doit se mettre dans la peau de l'architecte-créateur primitif pour comprendre l'esprit de l'œuvre et l'appliquer à sa reconstruction. Liberté d'amener les œuvres d'art à une prétendue unité formelle : l'unité de style (recherche de la pureté stylistique, conduisant à des faux historiques). Il légitime les reconstructions, les ajouts ou les suppressions... (Interventions à Notre-Dame de Paris : flèche de la croisée, sculptures).

Avis : ses détracteurs l'ont accusé de produire des œuvres non authentiques et de créer ainsi de faux historiques. Points forts : il a sauvé un grand nombre d'œuvres, possédait une grande formation théorique et pratique, et une connaissance approfondie des monuments.

John Ruskin et la Restauration Romantique

Angleterre : pas le même caractère d'urgence qu'en France pour la restauration des monuments.

John Ruskin (1819-1900) : sociologue, écrivain, critique d'art, et figure de proue de la restauration romantique. Il n'était pas architecte ni restaurateur, mais sa contribution au monde de la restauration fut principalement sa réflexion théorique, qui influença puissamment la culture de son temps.

La position de Ruskin contre l'intervention sur l'œuvre d'art se rapproche d'une contemplation mystique de la nature. Il proclame le respect absolu de l'œuvre, telle qu'elle est parvenue jusqu'à nous. C'est la base de la « Restauration Romantique » (aucune intervention).

Il met en avant la valeur exceptionnelle des œuvres du passé, qui appartiennent uniquement à leurs créateurs. Nous devons contempler leur décadence, leur état de ruine... mais ne pas les toucher.

On passe de l'action décisive de la « restauration stylistique » à une situation de contemplation et d'attente du cycle de vie des monuments.

Concept de restauration selon Ruskin : « Ne parlons pas de restauration. C'est un mensonge du début à la fin. Vous pouvez faire un modèle d'un bâtiment comme vous le feriez d'un cadavre, et votre modèle peut contenir la coquille des vieux murs comme votre moule peut contenir le squelette, mais je ne vois pas quel avantage il peut y avoir à détruire ainsi l'ancien bâtiment. »

3. L'École Moderne de Restauration Architecturale

Après l'unification de l'Italie, le débat sur la restauration de son passé architectural s'ouvre : les monuments sont identifiés aux gloires nationales.

Une sensibilité artistique particulière (façade du Dôme). Dans les années 1880, deux courants émergent en Italie pour la restauration des monuments :

A) Restauration historique : Basée sur la documentation (sources graphiques, données d'archives...). Théoriquement une bonne posture.

B) Restauration scientifique moderne : Camillo Boito (1836-1914). Importants travaux théoriques dans le domaine de la restauration.

Pour Boito :

  • Les monuments doivent de préférence être consolidés et réparés plutôt que restaurés, en évitant les ajouts.
  • Si des ajouts sont nécessaires, ils doivent être réalisés sur la base de données documentées, et avec des matériaux distinctifs.
  • Les différentes phases des monuments doivent être respectées.
  • Nécessité d'afficher les interventions.

Grâce aux disciples de Boito (Gustavo Giovannoni), ses idées se sont répandues et ont été adoptées au niveau international dans la Charte d'Athènes (1931).

Gustavo Giovannoni a également favorisé la rédaction d'un document important : la Carta Italiana del Restauro (1932).

Création de l'Istituto Centrale del Restauro (1938). Un de ses promoteurs : Cesare Brandi, expert en restauration d'œuvres d'art.

Cesare Brandi

Des décennies plus tard, Cesare Brandi contribue à la rédaction de la Charte de la Restauration de 1972. La Charte était adressée aux responsables des centres de restauration et aux restaurateurs, avec des dispositions obligatoires sur tout le territoire italien ; sa structure est recommandée dans les autres pays.

Structure de la « Carta del Restauro » de 1972 :

  1. Présentation et explication de son but.
  2. 12 articles sur la protection et la restauration.
  3. 4 annexes.
  4. Actions interdites (par exemple, les ajouts stylistiques).
  5. Actions permises.

1987 : nouvelle « Charte de la Restauration » (son titre est plus large : « Charte de 1987 de la Conservation et de la Restauration des œuvres d'art et de culture »).

  • Elle montre une grande préoccupation pour la définition claire des termes « entretien, prévention, sauvegarde, conservation et restauration ».
  • Elle souligne la nécessité de s'attaquer aux conditions environnementales et la nécessité d'obtenir un microclimat idéal pour la conservation du bien.

La Conservation Préventive

  • Elle est la plus efficace pour la préservation du patrimoine culturel.
  • Objectif : minimiser les interventions a posteriori (réparatrices).

Elle cherche à inverser la procédure « d'urgence » : intervention opportune, travail de restauration, examen périodique, maintenance continue et prévention (meilleure et moins chère).

Pour mettre en œuvre ces idées, l'Italie a franchi une étape importante en produisant la Carte du Risque du Patrimoine Culturel (1987). Il s'agit d'un système d'information territorial pour déterminer la causalité et la probabilité entre le patrimoine culturel, son état et les facteurs de risque qui causent sa détérioration. C'est un outil pour l'administration du patrimoine culturel.

  • Le risque est défini comme la possibilité d'un événement indésirable qui cause des dommages à quelque chose auquel on attribue une valeur.
  • Le risque découle de la combinaison de trois éléments :
    • La valeur des œuvres qui constituent le patrimoine culturel.
    • Leur vulnérabilité, c'est-à-dire leur résistance aux dommages.
    • La présence ou la probabilité d'événements dommageables.

Les facteurs de risque sont regroupés en 3 catégories :

  • Statiques-structurels (risques sismiques, volcans...).
  • Environnementaux (climat, pollution...).
  • Anthropiques, liés à l'homme (vol, vandalisme, pression touristique...).

Mesures de conservation préventive : contrôle de l'environnement (température, humidité), de l'éclairage. Contrôle du nombre de visiteurs.

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